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La voix de Dark Chratis portait mal à travers les milliers de kilomètres qui le séparaient de son apprentie.
— As-tu repéré un Jedi dans la suite de l’émissaire de la République ?
— Aucun, Maître.
Ax percevait la déception dans ses propres intonations. Elle avait rêvé d’affronter un adversaire plus coriace que ces gardes du palais ineptes.
— S’il y en a ici, ils font profil bas.
— Il est donc clair qu’ils prévoient de voler l’artefact avant nous. Sinon, ils se montreraient. Tes ordres demeurent inchangés. Tu dois agir sans tarder afin d’avoir la certitude que tu seras la première à agir.
— Ce sera difficile, Maître. Les portes sont solides, et il y a certainement des systèmes d’alarme…
— À toi de t’en occuper. Déçois-moi et tu en répondras directement devant le Conseil.
La ligne fut coupée, et Ax sourit dans les ténèbres. Dark Chratis était aussi transparent que le verre. Si elle réussissait, il comptait bien s’attribuer tout le mérite de ce succès ; si elle échouait, elle en paierait seule les conséquences. Mais, dans ce dernier cas, une partie de cette ternissure l’atteindrait inévitablement, ce qui aurait pour effet de mettre en péril les projets d’avancement de son Maître. C’est pourquoi il était amusant d’alimenter sa nervosité. Cela le rendait prévisible.
Trois minutes à peine s’étaient écoulées depuis qu’elle avait placé les charges. Elles appartenaient aux rebuts d’une expédition minière stockés dans un des trois entrepôts que comptait le palais, mais elle en avait pris us nombre assez grand pour faire s’écrouler une petite partie d’une colline. Si les minuteries fonctionnaient correctement, les gardes de Tassaa Bareesh auraient bientôt de quoi s’occuper.
Dans cette attente, il allait lui falloir ramper. Les plans des coffres-forts piratés dans l’ordinateur central du palais montraient qu’ils bénéficiaient d’une structure indépendante, avec ses propres unités de ravitaillement en énergie et en air. Ces grandes boîtes en duracier étaient entourées de toute part d’un mètre d’espace libre où s’enchevêtraient en tous sens des rayons laser. Si quoi que ce soit franchissait cet obstacle et touchait simultanément la boîte et le mur extérieur, un circuit se déclenchait, qui actionnait une alarme assez assourdissante pour réveiller l’Empereur lui-même sur Dromund Kaas.
Le plan révélait également que le coffre-fort était maintenu en place par un système de répulseurs qu’alimentaient des bobines d’inductance situées à la base d’un arceau en ferrociment. Or cette matière était relativement facile à entamer avec un sabre laser. Ax rampa comme un ver jusqu’à se positionner exactement sous un coin du coffre contenant les restes du Cinzia. Les schémas ne montraient aucun câble à cet endroit. Il lui suffirait d’attendre une diversion, de se frayer un chemin vers le haut, de désactiver les faisceaux laser et de se hisser par la brèche. D’ici une heure, elle espérait toucher du bout de ses doigts nus l’extérieur du coffre. À partir de là, elle se fierait à son ouïe.
Elle se glissa tel un rat dans des espaces à peine assez larges pour qu’elle puisse y respirer, tordit son corps autour d’angles aigus, progressant presque imperceptiblement en s’aidant de ses doigts et de ses orteils. Elle tenait son sabre laser devant elle pour se frayer un passage. L’air était chargé de poussière et de fumée. Elle était souvent obligée d’effectuer une rapide succession de clignements de paupières pour éclaircir sa vision.
Un boom subsonique se propagea dans la maçonnerie autour d’elle, suivi très vite d’un autre. Elle retint son souffle tandis que tout le palais tremblait, ensuite elle puisa dans la Force pour exercer une poussée stable autour d’elle, juste au cas où quelque chose de lourd se déplacerait vers elle. Une série d’explosions moins fortes retentirent quand les charges déclenchèrent une réaction en chaîne dans le réacteur principal du palais, comme elle l’avait espéré, tille imaginait les Hutts et leurs esclaves courant dans tous les sens pour découvrir ce qui s’était passé. Qu’ils le comprennent ou non n’avait aucune importance pour elle. De même si le réacteur secondaire rétablissait immédiatement la distribution énergétique. Le coffre-fort était autonome, et elle avait concocté cette petite surprise avant tout pour occuper ses hôtes.
Elle rampa encore une minute et arriva enfin à l’endroit où elle devait être. Ici, l’espace permettait de s’accroupir, ce qu’elle fit, en tenant toujours la poignée de son sabre laser devant elle. Elle ferma les yeux, activa son arme et le dressa lentement la lame vers le plafond au-dessus d’elle. Le ferrociment se mit à faire des bulles en sifflant, et des particules incandescentes touchèrent sa peau. Quand la poignée du sabre pénétra le plafond lui-même, l’apprentie Sith s’immobilisa.
Le pouvoir de la Force s’écoula à travers elle, élevant la température du ferrociment jusqu’à l’ébullition. Elle respirait légèrement, par le nez, sans se soucier des brûlures éventuelles. Un halo rougeoyant irradiait de la surface au-dessus de sa tête. Elle maintint sa concentration pour former une bulle protectrice l’enveloppant. Le ferrociment liquéfié se mit à tomber goutte à goutte.
La bulle s’éleva doucement à travers la matière en fusion et l’amena sans effort dans l’espace situé sous la base du coffre-fort. Quand la bulle aborda la partie supérieure de la couche de ferrociment, elle abaissa son sabre laser été ouvrit les yeux. Grâce à la clarté rougeoyante, elle discernai le coffre-fort à travers le sommet de la bulle, ainsi qu’un entrelacs de câbles qui faisait partie de la structure autour d’elle. Ils demeuraient en l’état alors que la lave refroidissait. Aucun d’entre eux n’avait été sectionné. En théorie, donc, aucun système d’alarme ne s’était déclenché.
Elle y était presque.
Ne restaient que les faisceaux laser à neutraliser. Elle sortit prudemment la tête de la bulle, mais n’en vit aucun. Ils auraient pourtant dû être faciles à repérer, même dans la fumée, mais aucune ligne luminescente ne traversait son champ de vision.
Intriguée, elle plaqua ses mains gantées sur le rebord encore chaud de la bulle et se hissa au dehors.
Aucune alarme. Hormis celles activées par les explosions, bien sûr. Contre toute attente, le système de sécurité externe du coffre-fort semblait bien être hors d’état.
Se pouvait-il qu’un Jedi l’ait prise de vitesse ?
Elle s’accroupit dans l’espace sous le coffre, près d’ui des répulseurs qui faisaient flotter toute la structure au-dessus de sa tête, puis elle ralluma son sabre laser. Dan ! sa lumière rougeâtre, elle distingua les lentilles inertes du système laser qui la fixaient comme des yeux aveugles. Or ne les avait pas désactivées physiquement en tout cas. Elle toucha la base du coffre et ne décela aucun pas ou autre mouvement à l’intérieur. Un autre indice positif.
Un détail inattendu lui donna d’autres raisons de jouer la prudence. La partie médiane du coffre avait été physiquement connectée avec le berceau sous l’ensemble par une série de câbles argentés. Elle s’approcha de ceux-ci en prenant soin de n’en rompre aucun. Leur utilité lui était inconnue, tout comme la façon dont ils avaient empêché le déclenchement du second système d’alarme. En cas d’intrusion dans cette chambre forte, tout le palais de Tassaa Bareesh aurait dû être alerté.
L’imprévu s’était invité dans son plan, et elle n’aimait pas cela.
Ax éteignit son sabre laser et s’assit en tailleur sur le ferrociment encore chaud. Si quelqu’un désactivait les icpulseurs, elle serait écrabouillée comme un insecte sous le talon d’un promeneur. Repoussant cette éventualité, elle dirigea ses pensées vers l’espace autour d’elle, à la recherche de toute anomalie.
Première constatation : la chambre était déserte, si l’on exceptait le faible écho d’activité biologique à l’intérieur de l’artefact inconnu trouvé à bord du Cinzia. Elle profita de l’occasion pour se concentrer sur lui, et très vite un frisson remonta le long de son dos. Qu’y avait-il dans cette chose ? Les faibles signes de vie étaient rassemblés en quatre groupes, mais ils ne donnaient pas l’impression d’être des esprits, pas tout à fait en tout cas. Et il y avait quelque chose chez eux qui répugnait à son instinct.
Ma mère a fait cette chose, ne put-elle s’empêcher de penser. Ma mère, qui devrait être morte.
Elle chassa toutes ces spéculations de son esprit, puis passa à l’examen de l’antichambre et des trois autres chambres fortes. Bien que ce soit très improbable, il était possible qu’un voleur totalement indépendant ait eu pour cible quelque chose dans une de ces chambres et qu’il ait neutralisé tous les systèmes de sécurité. Un scan rapide prouva que cette hypothèse ne tenait pas. Il n’y avait personne d’autre.
Elle faillit bien se convaincre qu’elle en faisait trop et en rester là. La diversion qu’elle avait créée ne durerait pas éternellement. Et elle ne voulait pas que Maître Chartis s’inquiète trop longtemps. En partie, elle avait souligné le l’ait que cette mission serait difficile à effectuer pour avoir le plaisir de le surprendre par une réussite rapide. Cette idée l’emplissait d’une satisfaction anticipée.
Avant de se lever, elle sonda mentalement le sas atmosphérique de sécurité au dehors de l’antichambre.
Immédiatement, une grimace de déplaisir tordit ses traits. Un Jedi ! Elle aurait pu reconnaître n’importe où cette puanteur mentale inhibée et pleine de morgue. Un seul avait déjoué les systèmes d’alarme et déverrouillé la porte extérieure. C’était un résultat impressionnant, mais il n’allait pas assez vite. Elle pouvait passer sous la chambre forte et ressortir dans l’antichambre bien avant qu’il ait ouvert la porte intérieure. Et quand il l’aurait fait, il se trouverait face à beaucoup plus que ce qu’il avait escompté.
Avec un sourire sinistre, elle déplia les jambes et s’accroupit avant de se frayer un passage à travers le dernier obstacle qui se dressait entre elle et son ennemi.