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— Bonjour, mère. Désolé de ne pas avoir donné de nouvelles depuis si longtemps. J’ai été beaucoup pris par le travail, mais je t’en parlerai une autre fois. Rappelle-moi sur Coruscant quand tu pourras.
Ula coupa la communication et s’installa pour attendre. Il ne pensait pas que ce serait très long. Après la disparition de Dark Chratis, l’échec avec le Cinzia et l’effacement des banques de données de la flotte, il ne doutait pas que quelqu’un aurait envie d’entendre sa version des faits.
Ce qu’elle serait, il y avait beaucoup réfléchi.
Son comlink bipa pour l’avertir d’un appel imminent. C’était vraiment rapide. Si rapide, d’ailleurs, qu’il s’interrogea. D’ordinaire, quelqu’un sur Panatha notait son message puis relayait la demande codée à travers la chaîne de commandement jusqu’à Veilleur 3, lequel donnait ses instructions dans le sens inverse. Le processus pouvait prendre des heures. Occasionnellement, quelques dizaines de minutes. Jamais une poignée de secondes.
Ula survola du regard son appartement. Il lui paraissait plus exigu que dans son souvenir, et il y sentait maintenant comme un parfum d’hostilité. Il effectuerait un balayage de sécurité plus tard dans la soirée avec l’espoir de dénicher le micro qui, il en était maintenant sûr, se trouvait quelque part ici. Mais il ne savait pas encore s’il détruirait ou non ce micro.
L’holoprojecteur clignota. Il se plaça devant lui et adopta une expression neutre. Une des premières choses qu’il avait apprises sur l’espionnage était qu’un apparent manque d’émotion rehaussait la crédibilité de la personne qui faisait son rapport et conférait aussi une illusion d’autorité. Raison pour laquelle il n’avait jamais vu du visage de Veilleur 3 autre chose qu’un contour ténébreux.
Celui-ci apparut devant lui, instable, comme s’il provenait de l’autre extrémité de l’univers. D’après ses informations, Ula savait toutefois que Veilleur 3 se trouvait lui aussi sur Coruscant, peut-être en haut de la rue. Tout était possible. Il connaissait au moins deux autres agents des renseignements qui habitaient le même bloc d’immeubles que lui et qui cherchaient également un accès facile au Sénat et des possibilités de fuites pratiques.
— Rapport, dit Veilleur 3.
Il fallait qu’Ula remonte à son arrivée sur Hutta pour raconter les événements de façon cohérente. Il ne mentit pas une seule fois, mais il en dit beaucoup moins que ce qu’il aurait pu. Comme pour tout échange d’informations, la plupart d’entre elles étaient implicites. Il laissa Veilleur 3 déduire que sa promotion fulgurante d’émissaire à directeur des opérations de la flotte unifiée avait moins à voir avec ses aptitudes qu’avec le besoin de placer une marionnette à ces deux postes. Il laissa également son correspondant décider si Dark Chratis était la personne qui avait œuvré dans l’ombre pour qu’il obtienne ce deuxième poste. Après tout, qui était plus susceptible d’être accusé que quelqu’un ne pouvant plus se défendre ?
— Le dernier rapport reçu par Stantorrs que j’ai pu lire avant mon transfert suggérait que l’orbite de Sebaddon avait été perturbée, menant à sa destruction imminente dans le trou noir, conclut-il. Certaines quantités réduites de métaux rares ont été récupérées par la République, mais les attaques impériales ont permis de les limiter au minimum. Aucun débris n’a été récupéré sur les sites établis par Lema Xandret et les autres fugitifs.
Veilleur 3 ne daigna pas révéler si cela corroborait les rapports du colonel Kalisch. Il ne mentionna pas non plus la mystérieuse prise de contrôle des vaisseaux de Kalisch ni l’effacement des banques de données. Un virus informatique diffusé par les vaisseaux infectés suffisait à expliquer ce dernier point, et le peu d’enthousiasme du colonel à reconnaître qu’il avait pu perdre le contrôle de sa flotte arrangerait le premier. Mieux valait une mission considérée comme légèrement ratée dans un rapport que la reconnaissance d’un échec complet.
Ula n’était pas surpris. Jet Nébula avait parfaitement anticipé l’issue de toute cette affaire. Il avait poussé la flotte à faire ce qu’elle devait faire, en sachant pertinemment que son rôle dans ses événements n’apparaîtrait jamais nulle part. Le seul maillon faible de son plan avait été Ula lui-même. N’importe qui de moins assuré aurait tué Ula par crainte que son secret ne soit dévoilé. Mais Jet l’avait laissé vivre. Et à présent Ula s’acquittait de sa dette de la seule manière possible pour lui, en s’arrangeant pour que les deux camps croient à cette fausse version des faits.
L’affaire n’était pas totalement étouffée, bien sûr. Des soldats raconteraient des histoires folles sur Sebaddon pendant encore des années, comme les soldats le faisaient toujours quand on leur demandait des anecdotes extraordinaires. Mais personne ne les croirait. Et tout finirait par être enterré avec le temps.
— Et le Mandalorien ? demanda Veilleur 3.
— Disparu. Il est parti longtemps avant l’arrivée des renforts. Une fois les hex en pleine débandade, il n’a sans doute pas jugé intéressant d’assister à l’issue de la bataille.
— Pourquoi avoir consenti tant d’efforts pour remonter jusqu’à la source du Cinzia si c’était pour ne jouer aucun rôle par la suite ? Tout ça n’a pas de sens.
— Ce n’était qu’un Mandalorien qui se trouvait impliqué personnellement, ne l’oubliez pas. Un commando qui opérait sur à peine plus que sa propre initiative. Xandret espérait peut-être une sorte d’alliance avec le Mandalore, mais lui n’était pas vraiment intéressé, c’est évident. S’il avait jugé que les hex étaient réellement des créations remarquables, il n’aurait pas envoyé que Stryver pour s’occuper de cette affaire.
— Et ces hex n’étaient pas remarquables ?
— Je laisse cette évaluation à des gens plus qualifiés que moi.
Ula ne s’inquiétait pas à ce sujet, car il avait la quasi-certitude que Veilleur 3 n’aurait que très peu de renseignements. Une fois encore, le colonel Kalisch n’avait certainement rien fait pour qu’on puisse lui rappeler qu’il avait été mis en déroute par un troupeau de droïdes. Il avait évidemment préféré attribuer ses pertes à une embuscade de la République et minimiser le rôle des hex, tout comme le capitaine Pipalidi. Et les enregistrements qui subsistaient dans les deux camps ne se contrediraient pas, grâce à Jet.
Parfois, la rouerie du contrebandier éblouissait Ula, de même que son culot. Où était-il à présent ? Ula aurait donné sa main gauche pour le savoir.
— Le Ministre est mécontent de votre rétrogradation, dit Veilleur 3. Vous devez tout faire pour réintégrer votre poste précédent.
Voilà qui était intéressant… Non seulement cette exigence était totalement déraisonnable, puisque Ula ne pouvait trahir la République et conserver un poste aussi proche du commandant suprême, mais l’impatience qu’ils montraient à le voir revenir dans les bonnes grâces de Stantorrs suggérait fortement qu’ils ne disposaient d’aucun autre agent opérationnel pour le remplacer. Il saurait garder ce paramètre à l’esprit lors de ses futurs rapports avec les deux camps.
— Bien, monsieur. Je vous tiendrai informé de mes progrès.
— Vous pouvez disposer.
L’holoprojecteur n’affichait plus d’image.
Ula ne bougea pas.
Avant qu’il eût le temps de compter jusqu’à dix, un autre visage apparu devant lui.
— Bonjour, Ula, dit Shullis Khamarr, la Ministre de la Logistique. Ça faisait longtemps. Je commençais à m’inquiéter.
Naguère, Ula était abasourdi par ses avances spontanées. Dans leurs précédents échanges, il avait invariablement été celui qui suppliait. Qu’elle le contacte sans raison apparente révélait une altération considérable dans leurs rapports.
— Toutes mes excuses, Ministre. La quête de cette planète dont je vous ai parlé ne s’est pas très bien passée, et les ressources que j’espérais pouvoir fournir à l’Empire ne se sont jamais concrétisées. Je peux seulement vous affirmer que l’ennemi n’en a pas plus tiré profit que nous.
— Eh bien, c’est déjà ça. J’espère que vous n’êtes pas trop déçu.
— Non, Ministre. Mon rôle ici a été réduit de beaucoup, mais je suis sûr que d’autres s’élèveront pour me remplacer.
— Il y en aura d’autres, oui. Mais aucun qui soit comparable à vous, dit-elle avec un sourire. J’ai toujours admiré votre passion et trouvé nos conversations très propices à la réflexion.
— Justement, à ce propos, je crains que…
— Oui, Ula ?
— Je crains de m’être fourvoyé quant à une position que j’avais auparavant.
Son sourire vacilla.
— Comment ça ?
C’était le seul mensonge qu’il s’était autorisé à dire :
— Pendant cette mission, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Dark Chratis et son apprentie, et leur façon d’agir m’a poussé à reconsidérer les préjugés que j’avais envers eux. Je vois maintenant quel imbécile j’ai été de ne pas les prendre au sérieux. Leur rôle est crucial pour l’effort de guerre, et il fait partie intégrante du bon fonctionnement de l’Empire.
L’ombre de la méfiance s’estompa sur les traits de Shullis Khamarr.
— J’avoue que cette déclaration me soulage, Ula. Vous aviez embrassé une hérésie dangereuse. Elle partait de bonnes intentions, naturellement, mais c’est une chose qu’on ne peut tolérer à quelque niveau que ce soit du gouvernement.
— Je le vois bien à présent. Vous avez fait preuve d’une grande tolérance. Ministre.
— Allons donc, Ula, nous sommes amis, et les amis se pardonnent beaucoup de choses.
Il se demanda si elle n’était pas quelque peu déçue. Il devait exister un certain avantage – même s’il était surtout psychologique – à avoir un informateur aussi décidé à l’aider dans son propre avancement. Si tel était le cas, elle le cachait bien.
Je suis las de vous orienter vers ma façon de penser ; Shullis Khamarr, se dit-il, et il pensa à Larin et Shigar, qui l’avaient tous les deux sauvé de fins terribles, mais aussi au stoïcisme paisible du Grand Maître Satele Shan. Tous ceux qui avaient survécu à Sebaddon seraient à jamais changés par ce qui leur était arrivé là-bas, et il ne faisait pas exception à la règle. Je suis convaincu que gouverner ne se résume pas à des règles, des lois et une discipline. Une culture doit aussi avoir un cœur. Un cœur puissant, qui jamais ne vacille.
— Merci, Ministre, dit-il en s’inclinant respectueusement.
Elle termina leur conversation par une platitude quelconque et coupa. Ula se demanda s’il lui reparlerait un jour. Probablement pas. Les amitiés, de quelque nature qu’elles soient, avaient du mal à perdurer dans le monde du renseignement, surtout quand l’un des deux protagonistes avait été rétrogradé.
Dans les semaines à venir, il jaugerait les avantages qu’il y avait à jouer d’un camp contre l’autre, et il verrait comment jongler au mieux avec les différents intervenants, comme Jet l’avait si bien fait. Il ne disposait pas d’une armée d’hex impossibles à arrêter, ni d’un robot capable de prendre le contrôle de flottes entières, mais il en venait à penser que, parfois, la fin justifiait les moyens. S’il pouvait faire en sorte d’éloigner la République et l’Empire d’un conflit, ou au moins d’épargner à leurs citoyens respectifs le pire des excès d’une guerre, alors ce serait une bonne chose. Et une vraie chose, une chose réelle, pas comme tout ce qu’il avait tenté jusqu’à maintenant. Il serait dans son propre camp, son camp personnel, comme Larin quand elle avait été renvoyée à la vie civile – le camp de milliards de gens ordinaires pris au piège d’une galaxie en guerre.
Là, dans son petit appartement, il réfléchit à ce qu’il allait faire ensuite. Chercher ce micro ? Rédiger un message codé à destination de cet Ithorien à qui il avait parlé aux Services du Renseignement Stratégique ? Dormir ?
Il ne savait pas encore, et c’était un sentiment assez agréable.
Les murs se refermaient peut-être bien sur lui, mais ses perspectives étaient plus vastes que jamais. Coruscant elle-même ne lui paraissait plus aussi maudite qu’auparavant. Larin avait été réintégrée dans les Forces Spéciales. Et son visage avait rayonné quand elle avait parlé de l’avenir. Nous viderons quelques Cœurs de Réacteur, et nous parlerons du bon vieux temps. Aucune mention de Shigar, ni d’aucun autre survivant de Sebaddon.
C’était au moins une chose qu’il avait hâte de connaître.