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Du noir sur du noir, avec un soupçon d’acier brillant.
Les douze Seigneurs du Conseil Noir de l’Empereur considéraient Eldon Ax et son Maître avec la force combinée d’une avalanche glaciale.
— … et vous voyez donc, mes Seigneurs, conclut Dark Chratis, comment cette situation peut progresser par l’application d’une action rapide et appropriée : les bonnes personnes au bon endroit et au bon moment. Mon apprentie et moi sommes ces personnes. Hutta est le lieu. Et le moment de frapper est arrivé.
Ils se tenaient dans un renfoncement de la salle, et le Conseil Noir les entourait. Douze visages monstrueux qui les toisaient – certains visibles, avec leurs scarifications, d’autres cachés derrière un masque –, et de tous émanait une haine constante et froide. C’étaient là les confidents de l’Empereur, ses serviteurs les plus zélés. Eux seuls voyaient le visage de Dark Chratis et, à présent, ils voyaient celui d’Ax.
Pour la première fois, elle sentit la peur chez son Maître, et elle en fut ravie.
— Épargnez-nous les figures de rhétorique, Dark Chratis, dit l’un des Seigneurs Noirs, un être qui naguère avait peut-être été une femme et dont le visage était à présent celui d’un squelette asexué. Les discours ne nous émeuvent pas.
— Que voulez-vous précisément ? demanda un autre d’une voix haut perchée derrière son masque de fer. Exposez-nous votre plan.
— Mon apprentie s’infiltrera à la cour de Tassaa Bareesh, dit Dark Chratis, afin de dérober l’information aux Hutts. J’attendrai en dehors de la planète. Dès qu’elle aura réussi sa mission, je procéderai à la localisation de la colonie et j’entamerai son annexion pour la gloire de l’Empire.
Il s’inclina très bas, et Ax éprouva du mépris pour cette attitude.
— Un plan simple, commenta un autre Seigneur Noir, Dark Howl, dont les dents étaient taillées en pointe et le visage zébré de lignes au dessin aléatoire. J’admire son caractère direct. Nous ne négocions pas avec les criminels.
— Tassaa Bareesh nous a été utile, objecta un autre. Il ne serait pas sage de provoquer sa colère.
— Mon apprentie saura se montrer circonspecte, leur affirma Dark Chratis. Elle leur est inconnue. Ils ne la démasqueront pas.
— Quant à l’annexion elle-même, comment la faciliterez-vous ? Vous ne disposez certainement pas de ressources personnelles suffisantes pour vous rendre maître d’une planète entière.
— Non, mes Seigneurs. Il me faudra au moins une division pour écraser toute résistance.
Des murmures rauques parcoururent le demi-cercle des Seigneurs Noirs.
— Une division entière ? Vous demandez trop.
— Vous vous attendez à une résistance significative ?
Le Maître d’Ax marqua une seconde d’hésitation. On abordait là le point qu’il avait minimisé dans son exposé.
— Oui, Dark Howl. La colonie a été fondée par des fugitifs de l’Empire.
— Quelle sorte de fugitifs ?
Il expliqua dans les grandes lignes tout ce qu’ils avaient découvert sur le compte de Lema Xandret, tandis que le Conseil écoutait dans un silence glacial. Quand il en vint à décrire le lien existant entre Xandret et Ax, tous les regards se braquèrent sur cette dernière. Elle fit de son mieux pour soutenir cet examen, malgré la douleur physique qu’elle éprouvait à l’arrière des globes oculaires. C’était comme contempler un trou noir.
— Le Mandalorien a laissé vivre la fille des fugitifs, dit Dark Howl quand l’exposé fut terminé. Peut-on avoir la certitude qu’il n’y a aucun lien entre eux ?
— Je l’ai étudiée avec grand soin. Elle ne ressent aucune sympathie pour ceux que nous recherchons.
— Qu’en dis-tu, jeune fille ? Dis-nous tout ce que tu te remémores de ta mère.
Ax obligea sa langue à se détendre. On s’était adressé à elle, et elle devait répondre. C’était ainsi.
— Je n’ai aucun souvenir d’elle, mon Seigneur. C’est à la fois une malédiction et une bénédiction.
— Explique-toi.
— Mon absence de souvenirs les concernant signifie que je ne peux donner aucun détail sur les fugitifs. C’est une malédiction, parce qu’il serait plus simple d’éviter tout contact avec les Hutts. Mais si je me souvenais, mes sentiments pourraient en être affectés, et vous seriez en droit de vous méfier de moi. Je vous donne l’assurance de ma loyauté, et du fait qu’on peut se débrouiller avec les Hutts.
Elle sentit une pression sur son esprit, comme si une montagne pesait dessus.
— Tu as beaucoup d’assurance, souligna Dark Howl. Peut-être trop. Mais tu ne mens pas.
— Merci, mon Seigneur, répondit-elle en s’inclinant.
— Cela ne veut cependant pas dire que nous pouvons te taire confiance.
Elle se redressa.
— S’il m’est permis de m’adresser à nouveau au Conseil. Il y a une chose que je souhaiterais lui dire.
— Parle, ordonna Dark Howl.
Dark Chratis lui lança un regard de mise en garde, mais elle l’ignora.
— Cette mission est cruciale, et pas uniquement à cause du monde que nous pouvons annexer. Il y a un aspect de cette affaire que mon Maître n’a pas évoqué devant vous, et il concerne les actes de ce Mandalorien, Dao Stryver. Son maître a naguère été un allié de l’Empire mais, ces dernières années, Mandalore s’est montrée distante, pour ne pas dire menaçante. Et pourtant ce Mandalorien connaissait mon histoire personnelle, mon lien biologique avec Lema Xandret, où me trouver. Il savait toutes ces choses… Mais comment ? Je crois qu’obtenir une réponse de lui à cette question est de la plus haute importance pour la sécurité de l’Empire.
Cette déclaration provoqua une autre vague de murmures au sein du Conseil Noir. Un espion mandalorien dans l’administration impériale ? Impensable… mais potentiellement désastreux si c’était vrai. Ce pouvait être le signe d’une attitude hostile des Mandaloriens envers l’Empire. Des chaînes de commandement entières devraient être examinées. Des purges seraient nécessaires. Des têtes tomberaient, peut-être même celle du Ministre du Renseignement. Les conséquences risquaient d’être énormes.
Dark Chratis la regardait fixement, et ses lèvres étaient tellement pincées que sa bouche n’était plus qu’une cicatrice.
Et soudain, de manière pour le moins inattendue, Dark Howl se mit à rire. C’était un son atroce, plein de venin, de purulence et de cruauté, et il perça la tension comme une dague crève un ballon. Il se répercuta dans la salle du Conseil tel le vacarme du verre qui se brise dans un silence absolu.
— Eldon Ax, dit-il quand son hilarité maligne se fut tarie, tu ne me trompes pas.
Ax sentit le sang se figer dans ses veines.
— Mon Seigneur, je vous jure que…
— Ne m’interromps pas !
La phrase claqua comme un fouet, soutenue par toute la puissance de la Force.
— Je sais reconnaître une menteuse quand j’en rencontre une.
Ax était paralysée. Elle ne pouvait qu’attendre la suite, horrifiée, sans comprendre quelle faute elle avait commise.
— Tu parles d’agents infiltrés dans l’Empire, d’agents mandaloriens, poursuivit son accusateur. Mais je vois clair dans ton jeu, Eldon Ax. Je sais ce qui te motive, ce que lu t’efforces de nous dissimuler. Je sens ta haine pour le Mandalorien, et ta soif de vengeance. Je sais que cette mission n’a aucun rapport avec l’Empire. Tu veux seulement prouver que Dao Stryver a eu tort de te mépriser en ne te tuant pas. Tu rêves d’inverser les rôles, de le vaincre à ton tour, et ensuite de le tuer. C’est là tout ce que tu désires. C'est ce qui emplit ton cœur.
Un sourire sinistre s’étendit sur le visage de Dark Howl.
Elle s’apprêta à recevoir le châtiment qu’elle méritait.
— J’approuve cette attitude, lâcha le Sith.
La gigantesque main invisible qui écrasait Ax de la tête aux pieds desserra son étau.
— Mon Seigneur ?
— Tu viens de me démontrer que tu es une loyale servante du Côté Obscur, Eldon Ax. J’approuve ton plan, et j’enjoins mes pairs du Conseil à faire de même.
Le soulagement déferla sur Ax. Venant si soudainement après la certitude d’une mort imminente, la sensation l’étourdit presque.
— Merci, mon Seigneur.
Dark Howl leva une main pour intimer le silence à tous.
— Il reste un point que je veux clarifier.
Le Maître d’Ax leva les yeux vers le Seigneur Noir.
— Oui, mon Seigneur ?
— Le problème n’est pas la sécurité de l’Empire. Il existe une dizaine de sources différentes par lesquelles Dao Stryver a pu se renseigner sur l’héritage de la fille, y compris la mère de la fille elle-même, ne l’oublions pas. Le sujet n’est même pas cette planète que vous espérez nous apporter, quoique ce serait naturellement un butin précieux pour nos préparatifs de guerre. Non, Dark Chratis, le sujet est le défi. Il y a quinze ans, Lema Xandret s’est dressée contre les Sith et elle a échappé au juste châtiment qu’elle aurait dû connaître. Aujourd’hui vient l’occasion de corriger cet oubli. Nous devons donc saisir cette occasion afin de démontrer à tous que notre force n’a fait que croître, et que jamais nous ne pardonnons.
Le reste du Conseil accueillit cette déclaration par un murmure d’approbation. Quelques regards se tournèrent vers l’holoprojecteur placé au centre de la pièce, comme si même l’absence de l’image de l’Empereur suffisait à inspirer le respect et la peur.
Dark Chratis s’inclina très bas.
— Mes Seigneurs, vous avez ma parole qu’un exemple sera fait avec les parents rebelles de cette fille. Leurs noms seront effacés de l’histoire. Ce sera alors une mise en garde pour ceux qui osent nous défier.
Dark Howl ne porta pas son attention sur Dark Chratis. Il continuait de regarder Ax.
— Je comprends, dit-elle.
Et elle disait vrai. C’était un test de sa loyauté autant qu’une mission visant à punir des traîtres oubliés. Etre un Sith ne se résumait pas à éprouver la haine et la colère, c’était aussi trouver la manière de focaliser ses sentiments afin d’atteindre la maîtrise. Elle prétendait que sa mère n’existait plus pour elle, qu’elle ne lui inspirait aucune affection. Mais quand Lema Xandret se tiendrait face à elle et que l’heure serait venue de la châtier, Ax serait-elle capable de le faire ?
Elle se jura qu’elle ne faiblirait pas. Elle ne ressentait aucune affection, pour personne. Pas même pour son Maître.
Elle resta immobile et silencieuse pendant que Dark Chratis confirmait les détails de son plan. L’Empire lui fournirait une demi-division qu’il commanderait à sa guise. Ils attendraient le signal d’Ax sur Hutta avant de faire mouvement vers leur destination finale. Un représentant de l’Empire serait envoyé pour procurer une couverture à Ax, mais cette personne ne jouerait aucun rôle décisif dans l’affaire. Il ou elle assurerait simplement Tassaa Bareesh que l’Empereur ne montrait pas un désintérêt suspect envers sa mise aux enchères.
— Vos ambitions nous sont évidentes, Dark Chratis, lui déclara Dark Howl. Livrez-nous ce monde, et vous serez récompensé.
Après s’être longuement incliné une dernière fois, Dark Chratis prit congé du Conseil, suivi de son apprentie qui marchait respectueusement deux pas derrière lui.
C’est seulement lorsqu’ils eurent embarqué dans la navette qu’il laissa libre cours à sa colère. Son long bâton s’ouvrit de plusieurs longueurs à une extrémité, tandis que l’autre se rétractait, formant la lame rouge sang et la poignée de son sabre laser. Il la frappa au visage et n’arrêta son coup qu’à un centimètre de sa peau. Elle se figea.
— Tu m’as surpris devant le Conseil, dit-il d’une voix dangereusement calme. Ne me surprends plus jamais.
Elle ne lui répondit pas : Vous êtes un imbécile. Vous malmenez toute cette affaire. Si vous m’aviez laissée parler en premier, au lieu d’enrager quant à mon incapacité à me souvenir de quoi que ce soit, j’aurais pu vous le dire. Au lieu de vous trahir, je vous ai sauvé, ainsi que notre plan.
— Je ne le ferai plus, Maître, dit-elle seulement.
Satisfait de sa soumission, Dark Chratis désactiva son sabre laser et s’éloigna. Une trêve, pour le moment, songea-t-elle. Avec un grognement, il s’installa pour entreprendre le voyage de Korriban à Dromund Kaas. Et de là, à Hutta, où attendait la réalisation de tous leurs rêves.