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Une heure après le début de la bataille, Ula se rendit compte que trahir la République allait être beaucoup plus difficile qu’il l’avait imaginé, même dans la position privilégiée qu’il occupait, loin de toute menace. Le problème venait de la masse énorme des données envoyées du théâtre des combats et centralisées par l’Auriga Fire. Il était impossible de remonter à la source de toutes et de décider quelle partie isolée pouvait être manipulée au mieux pour bénéficier à ses maîtres. Il avait déjà du mal à tout recevoir, alors analyser…

Des missiles emplis d’hex avaient réparé leur bouclier orbital et donné de nouvelles armes avec lesquelles pilonner les flottes combinées, ce qui rendait très difficile tout soutien aux forces se trouvant au sol. La cible définie comme étant le centre de coordination ennemi était en feu, et le pôle dissimulé par une épaisse couche de fumée. Ula n’avait aucun moyen de savoir ce qui se passait là-bas, et la situation sur la lune n’était pas très différente. Les hex avaient été frappés encore et encore, mais sans l’envoi de troupes sur les lieux pour les affronter face à face, il était impossible de dire si l’infection avait été contenue. Chaque fois que l’alliance progressait, les créatures de Lema Xandret trouvaient moyen de riposter d’une façon inattendue et regagnaient le terrain perdu.

— J’ai verrouillé trois cibles au sol, annonça Stryver. Ce sont des relais en différents endroits de la planète.

Enfin de bonnes nouvelles.

— Envoyez les coordonnées à Kalisch et Pipalidi. Dites-leur de les anéantir.

— Nous devrions en garder une intacte, dit Jet. Comment allons-nous infiltrer leur système de communication s’ils n’en ont plus du tout ?

— Combien de temps encore avant de craquer leur encodage ?

— Je ne sais pas. Clunker a travaillé sur les protocoles de transmission et nous pouvons désormais nous faire passer pour leur centre de coordination, mais nous n’arrivons toujours pas à définir le langage qu’ils utilisent.

— Alors je ne peux pas prendre un tel risque. Nous savons qu’ils construiront de nouveaux relais de transmission de toute façon. De cette manière, nous profitons d’un avantage momentané. Et nous avons besoin de tous les avantages disponibles.

Jet coupa le système com du vaisseau pendant un moment.

— Il y a un autre motif d’inquiétude. Et si Stryver restait en dehors des combats uniquement pour craquer ces codes ? S’il réussit, il pourrait retourner les hex contre nous.

Ula n’avait pas pensé aussi loin.

— Vous avez raison, et nous ne pouvons pas prendre ce risque. Lorsque Clunker aura craqué leur encodage, nous ne lui en dirons rien.

— Avec cet atout, rien ni personne ne pourra plus nous arrêter, remarqua le contrebandier. Or vous ne me donnez pas l’impression de vouloir régner sur la galaxie. En revanche, pour vos maîtres, j’ai des doutes…

Ula n’avait aucun désir de régner sur quoi que ce soit. Quand on occupait le trône, il était impossible de se cacher une seule seconde. Et il n’avait pas l’intention de parler de ses maîtres, ceux qu’il prétendait avoir comme ceux qu’il servait en réalité.

— Et en ce qui vous concerne ?

La question était insidieuse, presque accusatrice, et Ula avait porté la main sur son blaster.

Jet éclata de rire.

— Quoi, vous pensez que j’accepterais de renoncer à ma vie remplie d’insouciance ? Je ne crois pas, l’ami. Il y aurait bien trop de paperasserie pour moi.

Un nouveau voyant rouge se mit à clignoter.

— Lancements multiples, grogna Jet, toute hilarité oubliée. Depuis la planète mais aussi la lune, cette fois…

Il se tut et examina les écrans un moment.

— Quelque chose vient dans notre direction. Leur centre de coordination a dû nous repérer et trouver que nous restions bien trop inactifs et discrets. Il est temps de dégager de là.

Ula notifia aux dirigeants de la flotte unifiée qu’il était pris pour cible et qu’il changeait donc d’orbite. Le Commenor accusa réception du message immédiatement, sans pour autant proposer un quelconque soutien tactique. Le Paramount ne répondit pas, mais il envoya une escadrille d’intercepteurs.

— Négatif, négatif, dit Jet au chef d’escadrille. Retournez au combat. Nous allons nous débrouiller, et en cas de problème nous vous recontacterons.

— Les ordres du colonel étaient très précis, lui fut-il répondu. Nous ne devons pas vous perdre de vue.

La phrase avait une connotation menaçante qu’Ula jugea intentionnelle.

— Kalisch, virez vos chiens de garde, dit Jet au Paramount. J’ai des choses plus importantes qui me posent souci. Pas besoin de m’inquiéter en plus de vos as à la gâchette facile.

— Passez-moi le directeur.

Pas de nom, remarqua Ula. Juste un titre.

— Colonel, dit-il, ici le directeur Vii. Vos forces sont requises ailleurs. Nous devons percer ce bouclier défensif pour avoir accès aux régions polaires…

— Dark Chratis vous a expliqué la situation, l’interrompit Kalisch. Je me dois vraiment d’insister.

Ula ferma les yeux. Ils conversaient sur une fréquence ouverte. S’il se pliait aux souhaits du colonel, cela reviendrait à reconnaître qu’il favorisait les Impériaux ou au moins qu’il les laissait l’influencer. Et le moment était mal choisi pour se dévoiler.

— Négatif, colonel. Je vous ai conseillé de diriger vos chasseurs ailleurs. Rappelez-les ou je me verrai obligé d’interpréter vos intentions comme hostile et je devrai demander l’assistance du capitaine Pipalidi.

Une fois de plus, le Paramount ne se manifesta pas, mais lui et ses vaisseaux d’escorte infléchirent leur course.

Ula s’essuya le front d’un revers de manche. Non seulement il ne réussissait pas à trahir la République, mais il était maintenant forcé de défier un officier supérieur de la flotte impériale.

— Pourquoi faites-vous ça, je vous le demande une fois encore ?

— Ça me dépasse, avoua Jet. Officiellement, j’espère toujours tirer un profit de toute cette affaire, mais ça semble de moins en moins probable.

— C’est vraiment tout ce qui vous intéresse, le profit ? lança Ula, que les prétentions du contrebandier irritaient subitement.

— Pourquoi pas ? rétorqua Jet.

— Je pense que vous ne vous rendez pas service. Si on savait ce que vous et votre vaisseau pouvez réellement faire…

— Plus personne ne me laisserait jamais me poser nulle part. Si l’on me prend pour un vagabond incompétent, ça me laisse de la marge. Comme avec Tassaa Bareesh. Si elle avait su que je pouvais récupérer mon vaisseau quand je le voulais, elle ne m’aurait pas laissé traîner pour voir ce qui se passait. Et si je n’avais pas traîné pour voir ce qui se passait, je ne serais pas ici. D’accord, la situation actuelle n’est pas vraiment confortable, mais ça pourrait changer. La vie est pleine de surprises. Je suis sûr que nous trouverons quelque chose à tirer de notre chapeau.

— Ça me semble malhonnête.

— Vous pouvez parler…

Ula se hérissa.

— Que voulez-vous dire ?

— Allons, l’ami. Je sais qui vous êtes. Je l’ai su à la seconde où je vous ai vu. Pourquoi croyez-vous que je vous ai proposé de boire un verre ?

Ula sortit son blaster et le braqua sur Jet.

— Dites-moi donc ce que vous pensez que je suis.

— Je pense que vous êtes un homme plus courageux que vous ne le montrez, répondit le contrebandier sans broncher. Pour vos supérieurs, vous n’êtes qu’un pion. Pour vos ennemis, vous êtes pire que malveillant. Vous êtes déchiré entre votre volonté de faire votre boulot et la nécessité de le garder secret. Ça vous rend dingue, mais vous ne pouvez vous confier à personne. Vous devez taire tout ça, et personne ne se rend compte à quel point c’est dur pour vous. Les types comme nous sont censés continuer sur notre lancée parce que, si nous trébuchons, nous n’avons rien pour nous rattraper. Nous travaillons sans filet.

— Je n’ai rien en commun avec vous, lâcha Ula, l’air outré.

— Nous sommes bien plus semblables que vous le pensez. J’ai été un pion, moi aussi, et récemment. Pourquoi croyez-vous que je travaille comme corsaire ? Pas pour la joie que ça me procure, je vous le dis.

— Vous n’avez aucun principe, vous êtes un être immoral.

— Heureux de savoir que c’est ce que vous pensez, parce que ça prouve que ma couverture est efficace.

— Ce que vous dites n’a aucun sens ! Pourquoi me racontez-vous tout ça ? Vous voulez que je vous abatte ou quoi ?

— Je veux que nous continuions à travailler ensemble exactement comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant.

— Et je suis supposé faire quoi ?

— Pour commencer, vous pourriez poser ce blaster avant que je dise à Clunker de vous le prendre.

Ula le regarda pendant un long moment. Ils avaient une bataille à orchestrer, et qu’est-ce qui avait vraiment changé ? Jet aurait pu révéler le secret à tout moment – tout comme Ula aurait pu révéler celui du contrebandier, ce qui les mettait à égalité. Rien n’expliquait leur affrontement présent, sinon sa propre incertitude, ses propres doutes. Si Jet le trouvait courageux, il était peut-être temps d’assumer ce courage.

— Très bien.

Il baissa son blaster. Clunker, qui s’était approché •sans que l’informateur le remarque, recula tout aussi silencieusement.

— Merci, fit Jet avec un sourire. Vous savez ce qui est le plus bizarre ? Je n’arrive pas à savoir pour quel camp vous travaillez. Je veux dire, je sais comment c’est supposé se passer, mais dans la réalité vous me laissez dans le brouillard. De ce que je constate, vous essayez simplement de faire ce qu’il faut.

Plusieurs alarmes se déclenchèrent en même temps.

— Aïe, grogna le contrebandier en recouvrant tout son sérieux. Voilà ce qui arrive quand on est trop négligent.

Ula consulta en hâte la télémesure. D’autres lancements. D’autres agglomérats d’hex qui se formaient, avec pour cibles les vaisseaux de la flotte unifiée. Toujours aucune bonne nouvelle parvenant du sol, et rien du tout sur Larin ou sa section. Une escadrille composée de chasseurs de l’Empire et de la République avait connu quelques désaccords internes dont avait résulté un échange de tirs, et un vaisseau de largage Turbodyne 1220 avait percuté un NR2 de la République pendant un assaut. Des récriminations furieuses étaient proférées par les deux camps, et ni le capitaine Pipalidi ni le colonel Kalisch ne répondaient aux appels.

— Et maintenant ? demanda Ula.

— Eh bien, si nous ne déguerpissons pas d’ici en vitesse, je propose que nous consacrions toute la capacité de nos esprits créatifs à trouver un moyen de survivre.

— Attendez une minute. Où est Stryver ?

— Je ne le vois pas. Il pourrait se trouver sur la face cachée de la lune, ou…

Un bip d’urgence se joignit à la cacophonie stridente des autres alarmes. Ula vit avec stupéfaction le bouclier défensif des hex s’ouvrir.

— Ils nous laissent passer ?

— Je ne parierais pas un crédit dessus.

Dans l’espace dégagé apparut l’appareil en croissant de lune de Stryver, qui s’éleva rapidement à la verticale.

— Qu’est-ce qu’il fait là ?

— Il s’enfuit, à mon avis.

Dans le sillage du Mandalorien montait un monstre surgi du cœur de la planète.