25

À la seconde où le médikit indiqua par un bip qu’il en avait fini, Larin libéra sa main blessée et se dirigea vers la salle de bains. Elle était épuisée et elle avait mal partout, mais cela ne pouvait pas attendre. Elle avait vraiment besoin de se sentir propre. Une bonne douche était exactement ce qu’il lui fallait.

Ensuite, elle fit ce qu’Ula lui avait suggéré et fouilla dans ses sacs à la recherche de vêtements qui lui conviendraient. La plupart des tenues étaient pour des occasions officielles, et encore sous vide dans leur enveloppe scellée. Elles étaient taillées dans des étoffes précieuses et étaient donc peu adaptées à un voyage tel que celui-ci. Mais elle finit quand même par dénicher un pantalon bleu foncé et une veste coordonnée, à la coupe militaire. Ula n’étant pas beaucoup plus corpulent qu’elle, ni plus grand, manches et jambes tombaient à la bonne longueur, et pour les autres mensurations, elle parvenait à s’en accommoder. Avec sa combinaison noire moulante en dessous, elle avait presque un air stylé. Si bien sûr on oubliait les ecchymoses sur son visage et les doigts qui manquaient à sa main gauche…

 

Larin réfléchit à ce qu’elle avait dit à Ula. Elle était harassée, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas trouver le sommeil. Quand elle sortit de la salle de bains, la première chose qu’elle remarqua fut l’immobilité du vaisseau. Il était toujours en orbite autour de Hutta.

Elle explora le niveau principal de l’Auriga Fire. Hetchkee ronflait joyeusement dans le poste d’équipage et, comme tout bon soldat, n’avait pas été dérangé par sa fouille des bagages d’Ula. Les voix masculines provenant en sourdine de l’étage inférieur appartenaient à Jet et Ula. Toutes les soutes où elle jeta un œil étaient vides, hormis une.

Shigar était assis en tailleur, les avant-bras reposant sur les cuisses et les mains jointes, yeux clos. Le fragment argenté reposait innocemment devant lui, sur le plancher. Le visage de l’apprenti Jedi était dénué de toute expression, mais elle sentait la tension qui émanait de tout son être comme s’il émettait une vibration audibie. Il était très exactement l’image de ce qu’elle avait personnellement éprouvé une heure plus tôt : un être épuisé, sale et contusionné au point de se sentir à moitié mort.

Elle alla chercher le kit méd.

— Votre bras, dit-elle une fois revenue dans la soute. Comment allez-vous accomplir quoi que ce soit si vous vous videz de votre sang ici, dans le noir ?

Sans aucune autre réaction, il ouvrit les yeux.

— Je n’y arriverai pas, de toute façon, Larin.

— Vous savez quoi ? Vous ne pourrez jamais prouver que c’est vrai, répondit-elle en lui présentant le médikit comme si c’était un défi. Tout ce que vous prouverez, c’est que vous avez cessé d’essayer.

— Mais si vous venez me distraire…

— Ce n’est pas la même chose que renoncer. Ça, ça s’appelle un regroupement. Je suis vos renforts.

Il troqua enfin le masque de la concentration pour un faible sourire.

— J’échangerais volontiers ma place contre la vôtre.

Elle lui montra sa main blessée.

— Moi aussi.

Il prit le kit méd sans un autre mot.

Elle lui expliqua la situation pendant qu’il pansait son bras. Il acquiesça, l’air vague. Elle se laissa glisser contre la paroi jusqu’à se retrouver assise. Il ne fit rien pour l’en empêcher. À la lumière qui se déversait par la porte ouverte, il lui parut beaucoup plus vieux qu’elle ne l’avait jamais vu.

— Tout le monde attend que j’agisse, dit-il quand le kit méd cessa de bourdonner. Pas seulement vous et Maître Satele, le commandant suprême Stantorrs, des centaines de soldats et de pilotes de chasseurs, toute la République… Tout le monde attend que je fasse quelque chose que je n’ai jamais été capable de faire. Pas comme il le faudrait, en tout cas. Tout ça va et vient. Ce n’est pas fiable. Je peux vous dire d’où vient votre armure, mais cette chose…

Le fragment pris au nid de droïdes le narguait toujours du même éclat, là, devant lui.

— Et donc, pour mon armure ? dit-elle.

— Je l’ai effleurée une fois, et j’ai eu une vision de sa propriétaire précédente. C’était une tireuse d’élite originaire de Tatooine. Elle a été décorée pour avoir abattu un chef local de la Bourse.

— Qu’est-il advenu d’elle ?

— Elle n’est pas morte dans cette armure, si c’est ce qui vous inquiète.

Larin hocha la tête, un peu soulagée.

— Peut-être qu’elle a été promue et retirée des unités combattantes en emportant l’armure avec elle. Ça arrive de temps en temps…

— Mais elle a vendu son armure, souligna-t-il. Avait-elle un si grand besoin d’argent pour faire une telle chose ?

— Pour ses enfants, peut-être. C’est une vieille armure, Shigar, on n’en voyait plus beaucoup même avant le Traité de Coruscant. Il a vraiment fallu que j’insiste pour l’obtenir, dans l’état où elle était, je peux vous le dire.

— Vous auriez pu acheter une armure neuve, dit-il. Mais ce n’était pas ce que vous vouliez. Vous vouliez un symbole de toutes ces choses qui ont besoin d’être affirmées.

— C’est ce que vous pensez ?

— Une simple intuition.

Ses yeux gris la fixaient sans ciller. Elle avait parfois l’impression qu’ils voyaient jusqu’aux tréfonds de son être. Et parfois, cela lui plaisait. Parfois, non.

— Vous réfléchissez trop, lui dit-elle.

— C’est ce qu’on m’a appris à faire.

— Je suis sûre que c’est faux. Je suis sûre que le Grand Maître vous a entraîné à réfléchir juste ce qu’il faut, mais pas plus. Mais la leçon n’a pas encore porté ses fruits, parce que les gens n’apprennent qu’à la dure. Et c’est exactement la situation à laquelle vous êtes confronté maintenant. Non ?

Il ne détourna pas le regard.

— Peut-être.

— Peut-être que rien du tout, insista-t-elle. Vous savez que vous devez faire quelque chose. Vous savez ce que vous devez faire et vous savez pourquoi. Mais vous ne pouvez pas le faire parce que vous n’arrêtez pas de réfléchir pour décider si c’est vraiment ce qu’il faut faire. Une grande partie de votre personne sait que vous êtes sur le bon chemin, mais il y a toujours cette petite partie de vous-même qui vous dit qu’il faut prendre le temps de réfléchir, encore et encore. Aux raisons, à la méthode, aux conséquences… C’est comme si vous étiez capable de tout prévoir, et qu’ensuite vous restiez spectateur et que vous regardiez tout se produire, de façon si parfaite que vous n’avez même pas besoin d’être là pour faire aboutir les choses. Mais les choses peuvent arriver d’elles-mêmes. Peut-être qu’il n’est pas nécessaire que vous agissiez si vous pensez assez fort à la situation. Et ça vaut toujours le coup de croire que ça se passe comme ça.

— Vous parlez d’expérience, à ce que je vois.

— Et comment, répliqua-t-elle.

Puis elle se tut. Le flot de mots s’était soudain tari.

— Pas de problème, dit-il. Vous n’êtes pas obligée de m’en parler.

— Non. il le faudra bien que je le dise à quelqu’un un jour ou l’autre. Autant que ce soit vous, et aujourd’hui.

Elle sentit une chaleur subite envahir ses joues, et elle se détourna en espérant qu’il n’avait rien remarqué.

— J’ai dénoncé un supérieur.

— Je suppose que vous aviez une bonne raison pour le faire.

— Une excellente raison. Le sergent Donbar était corrompu. Mais ça n’a rien changé. Je suis allée contre la chaîne de commandement et je l’ai dénoncé à ses supérieurs. Ils lui sont tombés dessus et ils l’ont viré, mais la véritable raison a été étouffée. Par la suite, il y avait toujours des gens qui ne me croyaient pas, qui pensaient que je l’avais balancé parce que j’avais quelque chose sur lui, et à cause du secret je ne pouvais même pas me défendre. Personne ne veut que l’image des Forces Spéciales soit ternie, et lui était le pire des salauds ! Il a été viré, et j’ai fini par démissionner. Ça devenait intenable pour moi.

— Vous regrettez ?

— Parfois, dit-elle en pensant au Zabrak sur Coruscant. Mais je devais le faire. Si je vous racontais les semaines de torture que j’ai passées avant de prendre ma décision, je vous ferais mourir d’ennui.

Le regard du Jedi se fit plus sévère.

— Et maintenant, vous pensez que je devrais me décider et faire ce que j’ai à faire.

— Vous n’êtes pas de cet avis ?

— Pas du tout. Trouver une planète qui peut se trouver n’importe où dans l’Espace Inconnu n’est pas la même chose que rédiger un rapport, vous ne pensez pas ?

— C’est différent, bien sûr. Vous ne prenez pas le risque de perdre tous les amis que vous avez jamais eus si vous faites ce qu’il est juste de faire. Et pendant la majeure partie de votre vie, vous avez justement été formé à ça.

Souvenez-vous, Shigar, vous n’avez pas eu à vous hisser à partir de rien pour atteindre la position qui est maintenant la vôtre. Vous avez été choisi sur Kiffu pour devenir un chevalier Jedi. Quoi qu’il arrive aujourd’hui, vous reprendrez ensuite l’existence que vous connaissez. Alors vous pouvez le faire à votre propre rythme ou vous pouvez le faire quand il faut que vous le fassiez. Pour ma part, je pense qu’il n’y a qu’un bon choix.

Il tourna la tête et regarda ailleurs.

— Vous pensez que c’est facile pour moi, et c’est ce que vous êtes venu me dire. Voilà qui change tout. Merci.

Son sarcasme fit mouche. Larin ne savait pas pourquoi elle était venue le voir, en vérité, sinon pour le sortir de son indécision. Elle était surprise de la force de ses sentiments et de la dureté avec laquelle elle les avait exprimés. Il était difficile de dire dans quelles proportions elle l’avait fait pour lui.

— Bon, je vous laisse tranquille, dit-elle. À vous de décider.

Quand elle se leva, ses jambes tremblèrent de fatigue.

— Je vais le faire, déclara-t-il. Il le faut.

— Bien, alors que ce soit sans trop de bruit. Je vais rattraper un peu de mon retard de sommeil.

Elle n’attendit pas son commentaire ironique, s’il en avait un. D’un pas d’automate, elle alla jusqu’à une couchette dans le poste d’équipage et elle s’endormit avant que sa tête touche l’oreiller.

 

Shigar l’écouta qui s’éloignait. Il regrettait déjà la façon dont il avait réagi à son conseil et sa confession. À l’évidence, elle éprouvait le besoin de se livrer depuis un certain temps, et il aurait pu montrer un peu plus de compassion. Mais il était tellement accaparé par ses propres problèmes qu’il n’avait pas su voir la blessure profonde qu’elle lui révélait. Pas sa main, mais cette séparation à jamais douloureuse d’avec tout ce qui lui avait naguère tenu à cœur.

Comment réagirait-il s’il devait un jour tourner le dos à l’Ordre Jedi ? se demanda-t-il. Il ne pouvait imaginer que Maître Satele fasse quoi que ce soit de contraire au Code selon lequel il vivait, mais des Jedi célèbres avaient basculé du Côté Obscur par le passé. Et s’il découvrait qu’elle travaillait en réalité contre le Conseil ? Et s’il savait que ce serait la parole de son Maître contre la sienne ? Son sens de la justice était-il assez fort pour donner l’alerte quand même, comme Larin l’avait fait ?

Il y avait encore peu de temps, il aurait été totalement sûr de lui. À présent, après avoir eu affaire à Tassaa Bareesh, il n’avait plus une telle certitude.

Et il restait toujours cette question du monde mystérieux, qui attendait d’être résolue.

Le fragment de nid des droïdes brillait devant lui.

Larin avait raison sur un point : rester assis à réfléchir à tout cela ne le mènerait nulle part. Tout le temps qu’il avait passé isolé dans le noir, il n’avait même pas touché ce bout de métal argenté. Il avait tenté sans succès de plonger son esprit dans l’état requis, en pensant qu’il était inutile de seulement commencer tant qu’il ne serait pas parfaitement prêt.

La confiance que Larin place en toi n’est pas injustifiée. Peut-être devrais-tu lui faire confiance, toi aussi.

Shigar se souvenait de ce qu’il avait éprouvé lorsque Maître Satele lui avait ordonné de se rendre sur Hutta. Il avait proposé à Larin de l’accompagner parce qu’il avait eu la sensation qu’elle avait besoin de lui pour se prouver quelque chose à elle-même. La jeune femme était pleine d’allant, mais il lui manquait un but clair. Il comprenait maintenant pourquoi cet élément déterminant de sa vie lui manquait. Et c’était lui qui avait besoin de se prouver quelque chose. S’il n’y parvenait pas, il ferait bien pire que décevoir son Maître et la République. Il se décevrait lui-même.

Un seul choix est le bon.

Il ramassa le morceau de métal. Au toucher, il était froid, ses bords coupants. S’il le serrait dans son poing, il s’entaillerait certainement la paume.

Il le fit rouler au creux de sa main et la referma.

Le plancher de la soute s’effondra, et soudain il chuta.

Son premier réflexe fut d’agripper quelque chose et de s’y tenir, autant mentalement que physiquement. C’était totalement différent de toute réaction psychométrique qu’il avait pu connaître jusqu’à maintenant. Mais ce qu’il cherchait à découvrir cette fois était également différent de tous les autres objets qu’il avait touchés auparavant, et combattre sa vision risquait de le mener tout droit à l’échec. Peut-être fallait-il justement qu’il plonge sans retenue dans ce vide. Il lutta contre la sensation de vertige et s’efforça de tirer le maximum de cette expérience.

La chute. Dans un premier temps, il sembla qu’il n’y avait rien de plus que cela. Puis il remarqua certains détails rappelant beaucoup l’étrange géométrie bleutée de l’hyperespace. Était-ce bien ce qu’il apercevait ? Le dernier voyage du nid, ou le premier ?

Il y eut un éclair aveuglant, et il s’immobilisa brutalement. Tout redevint obscur. Des voix approchaient et s’éloignaient, trop indistinctes pour qu’il comprenne ce qu’elles disaient. Elles étaient nerveuses, comme lors d’une dispute. Il ne distinguait aucun visage, aucun lieu, aucune coordonnée. Une simple sensation : la chose à laquelle avait appartenu le fragment était déterminée à survivre.

Le Cinzia, songea-t-il. Il remontait l’histoire de l’usine de droïdes. Celle-ci possédait une conscience rudimentaire, c’était manifeste, ce qui n’aurait pas dû l’étonner puisque la chose avait effectué seule la création de quatre droïdes de combat perfectionnés, sans être détectée. Même si la plupart de ses algorithmes internes étaient automatisés, il lui avait fallu un certain degré de ruse pour savoir quand rester inerte et quand passer à l’action.

L’éclair était probablement l’explosion qui avait failli la détruire.

Shigar voulait se remettre en mouvement. Le saut suivant serait celui qui le propulserait à l’origine, là où l’usine de droïdes était née. Mais son empressement provoqua seulement un brouillage des contours de la vision – et subitement il se retrouva projeté sur le plancher solide de la soute, sans rien de plus.

Il resta assis et calma sa respiration tout en maudissant son impatience.

Quand il ouvrit sa main droite, le fragment métallique reposait dans sa paume, au centre d’une petite tache de sang qui croissait rapidement.

Qu’avait-il fait cette fois, en comparaison de toutes ses autres tentatives, qui avait fonctionné ?

Il devinait la réponse, et elle était d’une simplicité désarmante. Il n’avait rien fait de spécial. Il l’avait fait, simplement. La Force était passée en lui exactement comme il convenait, et le savoir qu’il recherchait lui était apparu. Il ne lui avait fallu aucun degré particulier de concentration, aucun état mental inédit. Il l’avait fait parce qu’il pouvait le faire. Il était très possible qu’il n’ait pas toujours été capable de réussir, et il avait la certitude que toutes ces années d’entraînement n’avaient pas été une perte de temps. Mais à un certain point, comme Larin l’avait dit, toutes ces réflexions supplémentaires sur le sujet avaient été inutiles. En fait, elles avaient même été contre-productives.

La question suivante était : pouvait-il recommencer ?

Il n’avait pas besoin de se poser la question. Il ne voulait pas se la poser. Le temps des questions était passé.

Il fit passer le fragment dans sa main gauche et ferma le poing.

Une deuxième vision de l’hyperespace le submergea. Cette fois, la chute était plus rapide. Le tunnel bleu était tordu, gauchi. Il se sentait étourdi. Des forces mystérieuses le tiraient, le secouaient violemment. Il avait l’impression de dévaler le versant abrupt d’une montagne, et qu’à tout moment il risquait de trébucher et de rouler jusqu’au bas de la pente. À mesure que l’histoire de l’usine de droïdes se déroulait à l’envers dans le temps, elle l’emportait dans les profondeurs d’un endroit ténébreux.

Shigar ne doutait pas de la vision. Il la laissait se développer à son propre rythme. Les secousses devinrent plus fortes alors qu’il approchait des origines du Cinzia, jusqu’à ce qu’il ait l’impression d’être physiquement mis en pièces.

Puis tout cessa, et le calme s’imposa. Il eut une sensation de retour au foyer, même si elle était sans aucun doute illusoire. L’usine était une machine, elle avait quitté son monde d’origine elle n’y était pas arrivée. Mais la sensation était convaincante. Il se sentait chez lui ici, et cet « ici » – où qu’il soit – était important et précieux. Unique. Shigar comprenait ce sentiment, même s’il ne l’avait jamais éprouvé pour Kiffu, son monde natal. Il avait été un citoyen de la galaxie trop longtemps pour conserver encore des liens intimes avec un lieu particulier.

De nouveau, il pensa à Larin et au basculement que son existence avait subi. Elle aussi avait sillonné la République et l’Espace au-delà. Mais, à présent, elle était coincée sur Coruscant – du moins, elle l’était quand il l’avait rencontrée. Elle n’avait jamais exprimé la moindre amertume au regard de ce confinement relatif, mais il pouvait imaginer ce qu’elle ressentait.

L’usine de droïdes donnait l’impression d’être à sa place. D’où qu’elle vienne, c’était ici qu’elle avait voulu être. Et Larin l’avait tuée.

Peut-être était-ce une chance pour elle.

D’autres voix, cette fois avec des visages aux traits vagues. Des humains, hommes et femmes. Shigar n’en identifia aucun. Il saisit quelques mots cependant, ainsi que le cri furieux des hex. Un groupe de personnes chantait, parmi lesquelles une femme blonde aux yeux bleus brillants d’intelligence, âgée d’une cinquantaine d’années.

Elle levait le bras au-dessus de la tête. Elle brandissait son poing vers le ciel – mais ce n’était pas du tout un ciel. C’était un toit. Elle se trouvait dans un vaste espace avec une cuve rouge tubulaire en son centre emplie de rouge.

Shigar ne combattit pas la vision. Il lui dit simplement : Je veux être dans sa tête.

Et c’est ce qui se produisit. Il se trouva enveloppé dans un flot turbulent de pensées et d’impressions sensorielles. Il vacilla, un peu effrayé de la facilité avec laquelle il avait réussi. Rien de comparable ne lui était jamais arrivé. Peut-être y avait-il quelque chose de spécial chez elle, cette Lema Xandret.

Car c’était bien elle. Il était ballotté par sa fureur. Il trouva de la force dans sa détermination à vivre sans entraves. Il fut agacé de comprendre que tout finissait toujours par des compromis, ou disparaissait. Il éprouva de la satisfaction face à ses réalisations. Il sanglota de son amour pour un enfant, et de la perte de celui-ci.

Shigar contempla à travers ces yeux le monde qu’elle avait adopté, et il ressentit de la fierté mêlée d’inquiétude, mais aussi un désir intense de vengeance.

Nous ne reconnaissons pas votre autorité !

C’était là, enfin. Tout ce qu’il avait recherché : le monde de métal, dense, riche de changements et de vigueur, où personne ne l’aurait cherché en un million d’années.

Ses yeux s’ouvrirent subitement. Il ne ressentait pas de douleur à cause des coupures dans ses paumes. Il avait oublié les souffrances diverses qui assiégeaient son corps, celles récoltées sur Hutta. Il n’éprouvait que de la gratitude, à un degré qu’il n’avait encore jamais expérimenté, associée à un sentiment puissant de réussite.

Il se leva et se rendit précipitamment dans le poste d’équipage. Larin y était déjà profondément endormie. Il songea à la réveiller pour la mettre au courant, mais réprima cette impulsion. Elle avait bien mérité de se reposer. Il pourrait la remercier plus tard.

Ula et Jet étaient dans le cockpit. Il gravit l’échelle et les interrompit dans leur conversation.

— Je sais où elle est !

— La planète ? demanda Ula, surpris.

— Oui. Je l’ai trouvée !

— Bien joué, l’ami, dit Nebula. Vous avez des coordonnées à me donner ?

— Pas exactement, répondit Shigar. Mais je peux vous la décrire. Je crois qu’elle sera assez facile à localiser.

— Eh bien, c’est une excellente nouvelle. J’en ai plus que marre de cette vue, ici. Asseyez-vous, et nous allons nous y mettre.

Son sentiment de triomphe diminua d’un coup quand Shigar pensa à ce qui les attendait.

— Quoi ? fit Ula, qui ne l’avait pas quitté du regard. Il y a un problème ?

— On peut le dire comme ça.

Leurs visages se fermèrent en même temps quand il leur expliqua.

Trouver la planète était une chose.

L’atteindre en était une autre.