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Avant même que les alarmes se mettent à hululer, Shigar sut que quelque chose n’allait pas. Le transport où il se trouvait en compagnie de Dark Chratis fit une embardée, comme s’il venait d’être touché, et le major dirigeant leur unité se tut en plein milieu de sa phrase. Le Jedi n’était pas raccordé directement au réseau com impérial, de sorte qu’il ne put dire en temps réel ce qui arrivait à l’appareil. Il recevait des renseignements des soldats de la République par l’intermédiaire du système neutre. Le retard entre les différentes sources d’information faillit bien lui être fatal.
— Quelque chose cloche, dit-il aux commandos assis en rangs serrés à côté de lui et prêts à sauter.
Son instinct lui disait d’agir. Activant les commandes de neutralisation de son harnais, il se leva d’un bloc. Le premier hex transperça la coque extérieure et apparut dans l’aire de déploiement des troupes.
Shigar était prêt à l’accueillir. Avec la Force, il repoussa violemment le droïde en arrière et l’envoya tournoyer dans l’espace. Mais d’autres arrivaient derrière le premier, qui agrippaient les bords métalliques déchiquetés du trou dans la coque. Il bondit sur eux, puis son sabre laser trancha des membres et perça des organes sensoriels avant que les droïdes aient le temps d’activer le bouclier de leurs électro-miroirs. S’il réussissait à les empêcher d’entrer, lui et les autres passagers conserveraient une chance de s’en sortir.
La paroi de l’aire de déploiement se déchira en un autre endroit, trop loin de lui pour qu’il puisse couvrit les deux accès en même temps. Heureusement, les soldats derrière lui avaient réagi et leurs armes parlèrent. Le déluge de décharges des blasters de la République comme de l’Empire déferla sur les hex, en rejetant un grand nombre dans le vide. Mais d’autres les remplaçaient aussitôt, qui montaient l’un sur l’autre en un grouillement horrible. Ils commençaient également à riposter, tirant à l’abri des premiers. Shigar comprit alors que la situation tournait à l’avantage des envahisseurs.
— Faites sortir tout le monde ! dit-il au major juste après avoir coupé en deux une paire de droïdes tueurs.
De l’autre côté de l’aire, il vit le casque orange qui acquiesçait. Ordre fut donné d’ouvrir les portes de largage et de faire sauter les troupes sans attendre. Les panneaux sous Shigar se dérobèrent rapidement, déversant leur précieux chargement dans le vide. Plusieurs hex les suivirent, ce qui sans aucun doute allait rendre leur chute encore plus intéressante.
Shigar resta en arrière. Une main refermée sur un étançon, il maniait son sabre laser de l’autre. Il repoussa un hex dans le vide. La créature tomba en chute libre, ses six pattes s’agitant inutilement.
Combien de temps avant que le droïde réagence sa structure à la ressemblance de ceux qui pullulaient en orbite ? se demanda-t-il.
Il n’allait pas s’attarder pour le découvrir. La quatrième aire de largage n’avait envoyé aucun message signifiant qu’on y avait entendu les ordres. Si ceux qui l’occupaient étaient en danger, il devait leur porter secours.
Le vaisseau se mit à tanguer sous ses pieds alors qu’il franchissait le sas et s’engouffrait dans les coursives désertes. Alors qu’il approchait de la quatrième aire, il entendit des explosions, le bruit des décharges de blasters et un crachotement insistant dans son circuit com. Les hex s’ingéniaient à brouiller les fréquences de la République comme celles de l’Empire. Cette évolution était pour le moins inquiétante.
Une cloison intérieure céda et des hex roulèrent en masse dans le couloir. Le Jedi se prépara à les affronter. Il recourut à un bouclier de Force pour dévier leurs décharges laser tout en frappant avec son sabre. Ils ne s’étaient pas attendus à le trouver là, c’était certain. Ils visaient quelqu’un qui les attaquait depuis l’intérieur de l’aire, et il leur fallut un moment pour dresser leurs propres boucliers. Shigar sectionna les pattes des trois plus proches, sans s’arrêter pour les empaler. Leurs corps étaient immobilisés, et cela suffirait pour l’instant.
Une silhouette sombre bondit à travers la déchirure dans la cloison. Elle brandissait un sabre laser à la lame rouge. Des éclairs jaillissaient de sa main libre ouverte et les droïdes fumants étaient rejetés dans toutes les directions. Pris en tenaille entre Dark Chratis et Shigar, ces créatures n’avaient aucune chance d’en réchapper. Quelques secondes suffirent au Padawan et au Seigneur Sith pour se retrouver seuls au milieu d’une multitude de débris métalliques d’où coulait un liquide sombre.
Le brouillage des communications faiblit, ce qui leur permit de se parler.
— Les autres ont sauté, dit Shigar. Nous devons forcer l’ouverture de cette aire de largage.
— Ne pense même pas à me donner des ordres, Padawan. Si tu as survécu jusqu’à cet instant, c’est uniquement par chance. Les mécanismes sont endommagés. Le lieutenant Adamek les réparera en notre absence ou agrandira la brèche existante. Si elle n’y arrive pas, elle s’échappera par une des aires de largage déjà ouvertes. Tu n’as pas à t’en soucier. Ta priorité, comme la mienne, c’est empêcher que les hex transforment cet appareil en une arme.
Shigar ravala son irritation devant ce discours infantilisant.
— La passerelle, alors ?
— La passerelle, oui.
Ils rencontrèrent trois concentrations d’hex en chemin. Par groupes de six, les droïdes semblaient parcourir le vaisseau secteur par secteur pour y détruire toute trace de l’Empire. L’apparition de Dark Chratis et de sa lame rougeoyante provoqua chez eux une frénésie immédiate. À deux reprises, les droïdes tueurs ignorèrent complètement le Jedi, ce qui lui permit de les contourner et de les attaquer par-derrière. Pour une fois, l’élément de surprise jouait en sa faveur et transformait une situation impossible en un affrontement difficile, tout au plus.
Le Seigneur Sith taillait dans les rangs ennemis sans effort apparent, laissant à Shigar le soin d’achever ses victimes. Le sabre laser de Dark Chratis possédait une portée inhabituelle car il prolongeait l’extrémité de son étrange bâton rétractable. Le Sith disposait également d’une arme qui faisait défaut au Padawan. Les éclairs qu’il lançait étaient beaucoup plus puissants que ceux d’Eldon Ax, et ils avaient des effets similaires aux filets électrifiés que Stryver avait déployés contre les hex sur Hutta. Les droïdes touchés étaient agités de convulsions incoercibles qui les rendaient vulnérables à une attaque classique.
— Ton Grand Maître t’a formé imparfaitement, commenta Dark Chratis en observant les efforts de Shigar pour se débarrasser du dernier hex présent. Elle laisse la philosophie mentale interférer avec l’issue du combat. C’est pourquoi les Sith triompheront de vous à la fin des fins. Vous ne voulez pas développer votre véritable potentiel.
Le Jedi cligna des paupières pour chasser la sueur de ses yeux. Satele Shan considérait les éclairs de Force comme un chemin menant au Côté Obscur, et en plusieurs occasions elle avait conseillé à Shigar de ne pas y recourir. Mais, dans les circonstances présentes, il voyait bien que Dark Chratis marquait un point.
Il n’était toutefois pas assez naïf pour ne pas voir dans quelle direction le Seigneur Sith cherchait à l’entraîner.
— Économisez votre souffle, Dark Chratis. Rien ne me donnera envie de me joindre à vous.
Malgré son masque transparent, le sourire que lui adressa le Sith était horriblement dépourvu d’humour.
La passerelle de commandement se trouvait deux niveaux plus haut, derrière des portes anti-effet de souffle que même les hex avaient du mal à pénétrer. Le réseau de communication fonctionnant de nouveau très mal, il n’y avait aucun moyen de prévenir les équipes bloquées à l’intérieur. Dark Chratis tenta de neutraliser les systèmes de verrouillage, mais ils avaient fondu sous les tentatives des hex pour s’introduire dans cet endroit stratégique.
— Ensemble, dit Shigar.
Il faisait allusion aux énormes masses déplacées par des Maîtres Jedi avec pour seuls leviers la puissance de leur esprit et le recours à la Force.
Le Seigneur Sith accepta d’un signe :
— À mon signal.
Ils agirent de concert et réussirent à plier les épaisses portes anti-souffle comme si elles avaient été en papier d’aluminium. Shigar crut que cette collaboration éphémère était pour lui une victoire, jusqu’à ce qu’il mette un terme à sa concentration et s’effondre à moitié, frissonnant. Quelque chose de Dark Chratis s’était instillée en lui pendant cet effort conjoint. Quelque chose de froid, de nocif. Il serra les poings, enjamba les vagues de métal tordu et entra sur la passerelle. Il avait envie de frapper un ennemi, mais il ne vit aucun hex. Seulement les officiers de l’Empire à qui ils venaient d’accorder au moins un sursis.
Le commandant apeuré du transport salua mécaniquement Dark Chratis quand celui vint se camper devant lui.
— Dites-moi que les propulseurs sont sous contrôle, lâcha le Sith.
— Je… Je… ne le peux pas, mon Seigneur. La salle des machines ne répond plus. J’ai envoyé une équipe de maintenance...
— Ils sont déjà tous morts. Restez ici. Nous effectuerons les réparations nécessaires nous-mêmes.
Dark Chratis repartait déjà. Avant de le suivre, Shigar lança au commandant :
— Vous devriez peut-être évacuer. Vous ne pouvez plus rien faire ici.
— Abandonner mon poste ? rétorqua l’officier de l’Empire, l’air offusqué. Jamais !
Le jeune Jedi aurait pu argumenter. Les portes étaient abattues, et les hex reviendraient d’ici peu. Si lui et ses subordonnés s’attardaient ici, ils n’auraient pour seule récompense que la mort.
Shigar haussa les épaules. Qui était-il pour combattre l’entêtement de cet homme ? Ce n’était pas la mission d’un Jedi.
— À vous de décider, je suppose.
Il les oublia dès qu’il leur eut tourné le dos et se hâta à la suite de Dark Chratis.
— Tu gaspilles ton temps, dit le Sith quand le Padawan l’eut rejoint.
— Vous gaspillez des vies.
— On peut remplacer un humain. Pas une seconde perdue.
Shigar n’avait aucune réponse adaptée, aussi préféra-t-il se concentrer sur ce qui les attendait. Dark Chratis le menait à travers le couloir central du transporteur, et ils passaient devant une théorie de hublots. Au dehors, la galaxie tournait autour d’eux pour décrire un circuit complet qui ne durait que quelques secondes. L’appareil tournait sur lui-même, bien que la gravité artificielle à l’intérieur ne le fît pas sentir. Des hex étaient visibles, qui dérivaient, désemparés, dans l’espace, ou qui rampaient sur la coque extérieure. Le globe de Sebaddon apparaissait puis disparaissait, et Shigar n’aurait pu dire s’ils s’en rapprochaient ou s’ils s’en éloignaient.
Une masse compacte d’hex les attendait un peu plus foin, à l’entrée de la salle des machines. Des éclairs de Force se propagèrent en vagues destructrices qui brisèrent cette unité pour isoler des individus plus faciles à combattre, Shigar bondit parmi eux, renvoyant les décharges laser à leur source et démembrant tout ce qui s’aventurait à sa portée. Quand il évalua mal une attaque et fut blessé au flanc, la douleur ne fit qu’exacerber sa concentration. À partir de ce moment, il se déplaça comme dans un rêve, avec la Force qui guidait chacun de ses gestes.
C’est presque avec regret qu’il atteignit l’autre côté. Là, Dark Chratis examinait déjà les commandes des propulseurs ioniques. Un des hex les avait partiellement démontées, sans doute dans le but de prendre le contrôle du transport et de l’envoyer infecter le reste de la flotte.
Le Seigneur Sith travaillait rapidement. Il reconnectait les commandes pour leur redonner approximativement leur fonctionnement antérieur. La passerelle se mit à vibrer quand l’accélération reprit.
— C’est vous ? demanda Shigar.
— C’est moi.
Le Sith leva une main, et une partie du mur se résorba, dévoilant l’espace au-delà. Mais il n’y avait plus d’espace, constata Shigar quand il entendit le hurlement autour d’eux : ils entraient dans l’atmosphère.
— Après toi, mon garçon.
Aussi peu enclin qu’il soit à tourner le dos à l’un des anciens ennemis des Jedi, le Padawan était conscient que, pour l’instant, il ne risquait rien. Le Grand Maître avait vu juste. La lame couleur sang était actuellement la dernière chose qu’il avait à redouter.
Quatre pas rapides menèrent Shigar à l’endroit où la coque était éventrée. Une enjambée de plus, et il abandonnerait le vaisseau en perdition pour plonger vers la surface de la planète.
Il s’élança avec cette pensée à l’esprit : Jamais je ne serai votre apprenti, Dark Chratis.
Une voix sinistre malgré ses inflexions soyeuses lui vint en retour :
Pas de promesses en l’air. Après tout, il se peut que j’aie très bientôt besoin d’un nouvel apprenti…
Shigar ferma son esprit à toute autre intrusion et se concentra uniquement sur sa chute.