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Larin était à mi-chemin de la chambre forte quand Yeama l’intercepta. Le Twi’lek se tenait au milieu du couloir et levait les deux mains dans le geste universel pour réclamer que la personne arrivant fasse halte. Elle l’aurait ; repoussé sans ralentir s’il n’avait pas été accompagné de ; cinq Weequays et d’une douzaine de Gamorréens armés de haches.

— Je vois que l’émissaire manquant a réapparu, dit-il en considérant le groupe se tenant derrière Larin d’un regard : rouge et sombre. Le pirate aussi. Ma maîtresse en sera ravie.

Larin n’avait pas le temps de discuter de la situation. La pensée de Shigar affrontant seul Dao Stryver l’emplissait d’un sentiment d’extrême urgence. Et s’il était déjà trop tard ? Ses tentatives pour le prévenir par comlink n’avaient reçu aucune réponse.

— Merci à elle de s’en être souciée, dit-elle. Nous escortons l’émissaire à ses appartements.

— Vraiment ? Excellent. Il se peut que vous soyez au courant des… heu… légers troubles survenus durant cette dernière heure. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter, je puis vous l’assurer, mais il vous est recommandé de rester dans, le secteur de haute sécurité jusqu’à nouvel ordre.

— On dirait bien que vous êtes attaqués, l’ami, fit remarquer Jet Nebula. Est-ce que Fa’athra s’est enfin décidé à passer à l’action ?

Le Twi’lek eut un sourire pincé.

— Nous avons un grand nombre de choses de valeur clans le palais, et les attaques ne sont pas si rares. Mais…

— Sauf que ça ne vient pas de l’extérieur, coupa Larin, qui s’impatientait. C’est le Mando dont je vous ai parlé plus lôt. Il veut le calculateur de navigation du Cinzia.

— Impossible. Aucune alarme ne s’est déclenchée dans ce secteur.

— La situation va changer, et très bientôt.

Larin releva le canon de son arme et se remit en marche.

— Pas si vite.

Le Twi’lek fit un pas pour lui bloquer le passage, les Weequays derrière lui.

— Vous allez dans la mauvaise direction. Les appartements de l’émissaire sont par là.

— Vraiment… Il est facile de s’égarer dans ce palais.

— Je ne crois pas que vous vous soyez égarée, répliqua le Twi’lek qui ne souriait plus. Je crois que vous savez très précisément où vous vous rendez. Vous n’êtes pas une visiteuse enregistrée. L’enlèvement était une diversion, ce qui vous a laissé le temps de vous consacrer à votre véritable objectif. Nous avons trouvé les traces que vous avez laissées dans nos systèmes de sécurité. Le sabotage est une autre diversion. Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous êtes tous ligués ou est-ce seulement une collaboration opportuniste ?

Son regard froid engloba le groupe immobile devant lui.

Larin n’aimait pas du tout la tournure que prenait la situation.

— Écoutez, dit-elle, nous ne voulons pas voler votre précieux calculateur. Mais quelqu’un d’autre va le faire, et nous essayons de l’en empêcher. Je suis sérieuse. Dao Stryver sera reparti avant que nous arrivions sur les lieux si vous ne me laissez pas passer immédiatement. Ne m’obligez pas à vous abattre.

L’ultimatum ne fit pas ciller le Twi’lek.

— Vous admettez que vous vous rendez à la chambre forte ?

— C’est ce que je viens de vous dire.

— Et pourtant, vous répétez que vos motivations sont bienveillantes ?

— Aussi bienveillantes qu’il est possible.

— Alors vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je contacte l’émissaire impérial afin qu’il nous retrouve là-bas ?

— Ce que vous voudrez ! Mais allons-y. C’est tout ce que je demande.

Yeama fit signe à sa garde qui entoura la jeune femme et ses compagnons. Une fois le passage dégagé, elle se mit en marche d’un pas rapide pendant que Yeama grognait en twi’leki dans son propre comlink.

Derrière eux, l’émissaire de la République se lança dans un discours outragé :

— Je suis extrêmement choqué qu’on sous-entende l’existence d’une conspiration, de quelque sorte qu’elle soit. De fait, c’est moi qui devrais avoir des soupçons. C’est quand même moi qui ai été enlevé et ai vu mon escorte neutralisée. J’ai été emprisonné et torturé, et ce sous le toit d’une hôtesse dont un serviteur me traite maintenant de criminel ! Vous aurez de la chance si nous daignons seulement attendre cette parodie de vente aux enchères.

Yeama l’ignora. Larin aussi. Toujours aucune nouvelle de Shigar.

— Pas d’alarmes, dit-elle au Twi’lek. Et au milieu de toute cette agitation, aussi. Tout ça ne vous semble pas curieux ?

Yeama la regarda pendant trois longues secondes. Sa seule réponse fut d’accélérer l’allure et d’aboyer de nouveaux ordres dans son comlink.

 

Ula poursuivit sa diatribe assez longtemps pour être sûr qu’on avait bien compris sa position. En fait, ce n’était pas sa position. Il jouait à l’émissaire de la République loyal plongé dans une situation difficile. N’était-ce pas ce qu’un vrai émissaire aurait fait ?

Ula n’en savait rien. Il était complètement dépassé par les événements, et de plus en plus. Il aurait aimé qu’ils aillent tous dans ses appartements sécurisés et non qu’ils se précipitent tête baissée dans le danger. La seule chose qui l’empêchait de demander à ne pas participer à l’action imminente était la façon dont Larin Moxla jugerait une telle déclaration de couardise. Elle ne semblait pas du genre à tolérer quoi que ce soit de la sorte.

Il ne pouvait détacher son regard de la jeune femme. Tout chez elle le fascinait, de son armure fatiguée aux tatouages sombres sur ses joues.

— N’y pensez même pas.

Ula jeta un œil à Jet. Le contrebandier observait lui aussi cette femme remarquable sortie de nulle part pour prendre la tête de leur groupe disparate.

— Que voulez-vous dire ?

— Elle n’est pas faite pour vous, et vice-versa.

Ula se sentit rougir. Il n’avait pas pensé que sa fascination pour elle était aussi visible.

— De quoi parlez-vous ? dit-il en baissant la voix pour n’être entendu que de Nebula. Vous en savez autant sur elle que moi.

— Je sais qu’elle joue un rôle. Et c’est à peu près la seule chose que vous avez en commun tous les deux.

Une fois encore, Jet soupçonnait Ula d’être plus que ce qu’il disait. Ou moins, si l’on se fiait à sa façon de le dire.

— Qu’est-ce que vous sous-entendez ?

— Moi ? Rien. Je faisais juste la conversation.

Ce qui devint rapidement difficile. Ils marchaient de plus en plus vite, et bientôt ils se mirent à trotter à côté de Potannin et de ses hommes, avec les Weequays aux longues jambes qui les encadraient et les Gamorréens qui Taisaient de leur mieux pour ne pas se laisser distancer. D’autres membres de la sécurité du palais se joignirent à eux, en majorité des Niktos et des Houks, formant une procession grossissante qui se hâtait vers les chambres fortes.

Il était difficile d’apercevoir ce qui se trouvait devant le Twi’lek et Larin, mais il semblait que d’autres gardes les attendaient. Et au-delà, il se passait autre chose.

À l’entrée du sas de sécurité, une scène de démolition s’offrit à eux. Les murs avaient été défoncés et le plafond s’était écroulé. Des tonnes de pierres et de ferrociment renforcé les séparaient de leur objectif. Des esclaves evocii et des gardes commençaient à déblayer, mais ils se gênaient les uns les autres tant leur hâte était grande. Des instructions contradictoires fusaient. Yeama se précipita dans cette cohue et tenta en vain d’imposer un semblant d’ordre.

— C’est un scandale, lança une voix autoritaire dans ce vacarme.

Un homme de grande taille et au nez trop long, vêtu d’un uniforme de l’Empire, se frayait un chemin pour les rejoindre.

— Si vous avez pris part à cette affaire frauduleuse…

— Nous avons autant à perdre que vous et nous sommes tout autant dans le noir, répliqua Ula.

Il aurait aimé pouvoir attirer à l’écart son allié et lui révéler le rôle secret qu’il jouait ici. Il n’avait aucune raison de s’opposer à lui, sinon pour sauver les apparences.

De l’autre côté des décombres une explosion retentit, puis le sol trembla. Ula plaqua les mains sur ses oreilles et recula. Deux énormes droïdes déblayeurs s’avancèrent pour se mettre à l’œuvre.

— Restez ici, lui ordonna Larin, et il ne fut que trop heureux d’obéir.

Elle rejoignit Yeama dans le sillage des droïdes. D’évidence, elle était déterminée à entrer dans les premiers. Le Twi’lek ne fit rien pour l’en dissuader. Une fois de plus, Ula admira l’assurance de cette femme. Mais qu’est-ce que Nebula voulait dire quand il affirmait qu’elle aussi jouait, un rôle ?

Un cri s’éleva. Une brèche avait été ouverte dans la barrière des décombres. Un nuage de poussière et de fumée roula sur eux tous. Les bruits du combat leur parvinrent alors, féroces et vibrants.

Larin lança quelque chose par-dessus son épaule.

— Qu’est-ce qu’elle a dit ? demanda Ula.

— Quelque chose à propos d’une Sith, répondit Jet. Je n’ai pas tout saisi.

Ula se tourna vers l’émissaire impérial, qui évitait soigneusement de croiser le moindre regard.

D’un geste, Yeama demanda des renforts. Une ligne de Weequays s’avança, suivie par le groupe de Potannin et son équivalent impérial. Il y eut un moment de confusion quand tous voulurent passer en même temps par l’étroite brèche. Ula perdit de vue Larin et se tordit le coup pour N tenter de la retrouver.

— Pourquoi vous ne vous rapprochez pas ? demanda Jet.

— Je, euh… Je crois que ce ne serait pas prudent. N’est-ce pas ?

— Je pense que c’est très relatif pour le moment.

Honteux, Ula se dirigea vers le passage. Nebula le suivit en laissant son droïde pour surveiller l’entrée. En voyant Ula bouger, l’émissaire impérial se mit lui aussi en mouvement parce qu’il ne voulait pas être laissé hors de l’affaire. Le tunnel à travers les décombres grouilla très vite de monde. Il était difficile de discerner ce qui se passait à l’autre extrémité. Les décharges de blasters créaient des variations lumineuses étranges dans la fumée et la poussière en suspension. Ula perçut distinctement le grondement du jetpack du Mandalorien et le bourdonnement des sabres laser.

Ils dépassèrent une énorme plaque de métal tordue qui avait sans doute été la porte extérieure du sas de sécurité. L’odeur d’ozone était intense.

— Baissez-vous, monsieur ! s’écria Potannin en le repérant.

Ula se laissa entraîner dans un endroit relativement abrité, derrière un amoncellement de débris. De là, il ne voyait rien de l’action, mais il apercevait l’arrière du casque de Larin. Elle était accroupie à côté de Yeama et visait quelque chose avec son arme. Dans les bruits de la bataille, sa voix sonna clairement :

— Toujours pas d’alarmes, hein ?

Ula n’entendit pas la réponse du Twi’lek.

Une explosion assourdissante fit s’écrouler la majeure partie du plafond. Ula s’adossa contre son bouclier de pierre et se couvrit les oreilles avec les mains. Des cendres et des débris tombèrent sur lui par vagues drues. Il ferma les yeux.

Quand il osa baisser les mains, un silence irréel s’était établi. Il ne voyait que des gens qui se bousculaient, aussi pâles que des fantômes. Les gravats continuaient de pleuvoir depuis le toit. À côté de lui, Nebula redressa lentement la tête pour contempler la scène.

La stupéfaction se peignit sur ses traits.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Avant qu’Ula puisse s’en rendre compte par lui-même, une voix s’éleva. C’était celle, furieuse, d’une femme.

— Nous ne reconnaissons pas votre autorité.

Un frisson glacé le parcourut. Il avait déjà entendu cette phrase.