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Les canons trilaser de l’Auriga Fire étaient situés juste devant les hyperpropulseurs, à bâbord et tribord. Ils saillaient légèrement et étaient orientables, de sorte qu’ils pouvaient couvrir chaque centimètre carré de la coque. On y accédait par un boyau étroit qui sentait la graisse.
Larin avait choisi la tourelle bâbord, et elle s’installa dans le siège en cuir craquelé avec l’aisance que donne l’habitude. Le gant prothétique à sa main gauche lui permettait tout juste de saisir la poignée de l’arme, tandis que de la droite elle effectuait les mouvements délicats nécessaires pour cibler et tirer. Le canon lui-même pivotait parfaitement sur ses cardans, comme s’il venait de sortir de l’usine.
Ce n’était pas la première fois qu’elle remarquait ce genre de fossé entre l’apparence de l’Auriga Fire et ses capacités effectives. Elle s’était également intéressée à une autre étrangeté, celle que représentait le rayon tracteur installé derrière une trappe, dans le ventre du vaisseau. C’était un appareil tout à fait étonnant pour un cargo de cette taille. Elle aurait aimé savoir s’il avait souvent servi au cours des activités que Jet menait, mais elle doutait que le contrebandier lui révèle ce genre de détail. Pour l’instant, d’ailleurs, les performances du canon représentaient tout ce qui l’intéressait.
Une légère pression sur la détente et un maillage d’hex se transforma en gaz.
— C’est aussi facile que le tir aux lézards sur Kiffex, dit-elle à Shigar grâce au comlink de son casque.
— Attention, il y en a trois qui arrivent par en haut, fut tout ce que répondit le Jedi.
Larin réorienta le trilaser et les pulvérisa.
— Ne vous inquiétez pas pour le Grand Maître, dit-elle. Nous la retrouverons.
Depuis l’explosion du Corellia, il était resté inhabituellement sombre et s’était consacré à détruire les hex avec une rapidité et une précision mortelles. On avait maintenant des nouvelles des deux tiers des capsules de survie du croiseur, mais Maître Satele ne se trouvait dans aucune d’elles. Shigar avait tenté d’émettre sur tous les canaux, mais le spectre électromagnétique était en plein chaos. Ce qui n’était pas encombré par le parasitage dû au trou noir, les Impériaux et les échanges fébriles entre pilotes était envahi par les cris que poussaient les hex. C’était tout ce que le nouveau commandant des forces de la République présentes pouvait faire pour coordonner le ramassage des capsules par les vaisseaux sans embarquer accidentellement des hex.
— Droit devant, dit Jet depuis le cockpit.
Une capsule avait heurté deux hex qui essayaient de percer sa coque trop fine. l'Auriga Fire s’approcha pour intervenir.
— Un chacun, Hetchkee, dit Larin tandis que le rayon tracteur s’attaquait de manière invisible aux droïdes. Le favoritisme est très mal vu par ici.
Elle se demanda si l’ancien membre de la sécurité savait qu’elle plaisantait. Un hex fut arraché de sa proie et tournoya dans le vide vers bâbord, dans le champ de tir de Shigar. Après une lutte un peu plus longue, l’autre lâcha prise et dériva devant Larin. Puis ce fut au tour de Jet de transmettre aux occupants paniqués de la capsule les coordonnées du point de rendez-vous.
— Restez dans le canal que nous avons dégagé, leur dit-il. Ne prenez aucun raccourci.
— C’était horrible, bredouilla un jeune aspirant à l’autre bout de la ligne. D’un coup, il y en a eu des quantités, et ils se déplaçaient si vite…
— Vous êtes tirés d’affaire maintenant. Restez simplement dans le canal et faites comme le capitaine Pipalidi vous dira.
— Oui, oui… Et merci. Quelques secondes de plus et ils perçaient la coque, c’est sûr.
La capsule alluma ses rétrofusées et prit la direction indiquée. Larin espérait que ses occupants n’auraient plus de problèmes. Nombreux étaient ceux qui avaient été secourus et étaient retombés dans les griffes des hex un peu plus tard, par malchance ou à la suite d’une erreur de jugement. L’une s’était arrêtée pour aider une autre capsule en détresse et avait été submergée à son tour par les droïdes qui se cachaient à l’intérieur. L'Auriga Fire s’était trouvé trop loin pour intervenir, mais tous à bord avaient entendu les cris.
Le capitaine Pipalidi, l’Anx commandant le Commenor et par défaut ce qui restait de la flottille, avait une tâche difficile à accomplir. Elle répartissait les rescapés traumatisés dans les huit vaisseaux restant à sa disposition. Larin ne l’enviait pas du tout, avec les communications à longue distance brouillées et rien de plus imposant qu’un croiseur léger d’assaut pour occuper la place du Corellia. Néanmoins, ils avaient retenu la leçon : les hex ne semblaient peut-être pas très dangereux individuellement, mais ils étaient très résistants, et en nombre ils constituaient une menace très sérieuse.
— Il y a une autre capsule de l’autre côté du filet devant nous, dit Jet. Vous pensez être en mesure de nous faire traverser ?
Larin regarda dans son système de visée. Le filet en question était l’un des plus denses qu’ils aient vus jusqu’à maintenant, avec des centaines d’hex formant une structure qui rappelait vaguement celle d’un hex, justement, qui tournoyait au ralenti, avec la planète en arrière-plan. Les bras se recourbaient et se détendaient pour lancer des droïdes vers des cibles lointaines et en ramasser d’autres dans le nuage de débris qui entourait l’ensemble. La capsule que Jet avait repérée dérivait derrière la partie centrale de cette construction et ses rétrofusées semblaient hors d’état. L’éclairage intérieur clignotait sur un rythme rapide, envoyant un appel à l’aide dans le langage visuel de Mon Calamari.
— Facile, affirma Larin.
Elle savait que rien ne ferait plus plaisir à Shigar que tuer d’autres hex. Hormis retrouver le Grand Maître, bien sûr.
— Vous voyez ces concentrations près du centre ? dit le Jedi. C’est le meilleur endroit où frapper. Si on les détruit, toute la structure se déchirera.
— Affirmatif.
Larin referma les mains sur les poignées du canon et se prépara à l’action.
— Lancements, dit Ula alors que le vaisseau fonçait.
Larin jeta un œil à la télémesure, le temps d’avoir une vision du champ de bataille dans son ensemble. Celui-ci était dominé par plusieurs nuages de débris qui se chevauchaient en orbite basse au-dessus de Sebaddon, le plus vaste centré sur l’endroit où le Corellia avait explosé. Le segment « sauf » de la flotte de la République et plusieurs dizaines de capsules de survie se trouvaient maintenant loin du danger, regroupés près de la lune de la planète. La flotte impériale était en train de se scinder en deux. Les vaisseaux non infectés copiaient le mouvement de retraite adopté par la République. Deux escadrilles de chasseurs impériaux détruisaient les moteurs de plusieurs vaisseaux afin que ceux-ci ne puissent pas répandre l’infection en se percutant ou en explosant. Larin approuvait cette tactique. Elle l’aurait suggérée elle-même si les unités infectées de la République n’avaient pas paru si désireuses de cibler celles de l’Empire.
Les chasseurs de la République grouillaient autour de la section non infectée de la flottille pour empêcher les hex de l’approcher. Défiant la gravité et la distance, certains avaient réussi à arriver jusque-là. Si un seul transportait un nid, l’infection risquait de reprendre.
Son esprit se concentra sur cette pensée, et pendant un instant elle fut de retour sur Hutta à contempler l’usine miniaturisée de droïdes, puis la lame de la Sith passa une nouvelle fois devant ses yeux en un éclair écarlate. Ses doigts tombèrent au sol avec le comlink et un hurlement de douleur monta dans sa gorge.
Elle se reprit et revint au présent. Le cri retentissait toujours.
Lancements, avait dit Ula.
Cinq missiles s’élevaient dans l’atmosphère de Sebaddon en un groupe de deux et un de trois. La paire visait les forces impériales. Les autres ne se dirigeaient pas vers l’Auriga Fire ou ce qui restait de la flottille de la République, et elle fut soulagée de le constater. En fait, les trois missiles ne visaient aucun objectif visible.
Les motivations éventuelles de Lema Xandret et de ses partisans s’effacèrent de l’esprit de la jeune femme quand l’Auriga Fire arriva à portée de l’agglomérat d’hex géant. Elle fit ce que Shigar avait suggéré et logea décharge sur décharge dans la concentration intérieure la plus proche. Ses tirs eurent des effets satisfaisants dans un premier temps. La défense combinée des boucliers miroirs fut bientôt débordée, et l’agglomérat commença à se déliter comme une lune grêlée de cratères sur le point de se désagréger. Mais, une fois de plus, les hex démontrèrent alors leur adaptabilité face à une menace.
L’agglomérat se réarrangea en une structure tubulaire épaisse et courte avec une extrémité aplatie pointée sur le cargo. Larin tira sur le tube, puis les miroirs entrèrent en action, déviant les décharges laser pour les canaliser dans le centre du tube. Les décharges ricochèrent d’avant en arrière, s’unirent à celles qu’elle envoya encore jusqu’à ce que tout le tube se mette à luire. Elle cessa de presser la détente à l’instant où le tube lâchait toute l’énergie qu’il avait accumulée en une unique décharge visant l’Auriga Fire.
Malgré ses boucliers d’une puissance exceptionnelle, l’impact fut formidable. Larin fut collée contre son siège et elle leva un bras devant ses yeux. Un instant plus tard, une seconde décharge frappait le cargo, celle-là créée par les tirs répétés de Shigar. L’Auriga Fire fit une embardée très violente avant de se stabiliser à nouveau.
— … le feu ! Cessez le feu ! criait Jet.
— C’est bon, nous avons compris, dit Larin. Et maintenant, on fait quoi ? Des grimaces jusqu’à ce qu’ils s’en aillent ?
— Je ne sais pas, répondit le contrebandier, mais nous ne pourrons prendre un autre coup de cette ampleur. Nos boucliers ont perdu quarante pour cent.
— Orientez les boucliers vers l’avant, dit Shigar. Et mettez le cap sur le plus proche de ces tubes. Quand je vous le dirai, allumez les projecteurs secondaires à pleine puissance.
— C’est de la folie ! protesta Ula.
— Non, je vois ce qu’il veut faire, dit Jet.
Il fit pivoter le vaisseau pour le placer face au tube dans lequel Larin avait tiré. Des décharges brillantes fusaient encore d’un hex à l’autre, dans des vagues qui parcouraient toute la longueur du tube.
— Ils veulent de l’énergie ? grogna le contrebandier. Je vais leur en donner, moi !
L’Auriga Fire bondit en avant comme pour percuter l’obstacle. Les hex tirèrent sans conséquence sur les boucliers, et les bras de l’agglomérat se recourbèrent pour étreindre le vaisseau. Les mains de Larin étaient crispées sur les commandes du canon tandis que le tube grossissait à vue d’œil devant elle. Mais c’était une situation où un tir n’aurait pu qu’aggraver les choses, elle en était consciente.
De fait, elle était à la fois un élément du projectile et de la détente.
L’Auriga Fire atteignit l’extrémité ouverte du tube. L’orifice était juste assez grand pour que le cargo s’y introduise, ce dont Larin se félicita, car les deux trilasers se trouvaient constituer les limites de la largeur du vaisseau. Dès que celui-ci et ses passagers furent complètement à l’intérieur, Shigar cria :
— Maintenant !
Jet alluma les projecteurs secondaires au maximum de leur puissance.
Suivit un moment horrible pendant lequel le cargo lutta pour avancer, mais toute la poussée qu’il produisait était aspirée par les vagues denses d’hex qui l’entouraient. Larin vit les effets produits de très, très près. Les droïdes se contorsionnèrent et tremblèrent, puis se mirent peu à peu à luire. Les membres métalliques s’enflammèrent comme du magnésium se consumant dans de l’oxygène pur. Les nodules sensoriels noirs éclatèrent, tandis que les torses hexagonaux se dilataient. Elle ne pouvait rien entendre, mais elle imaginait les hurlements des hex.
Retourner une décharge laser à l’envoyeur était une chose. Absorber toute l’énergie nécessaire à l’accélération d’un vaisseau stellaire en était une autre.
L’Auriga Fire jaillit de l’autre extrémité du tube, suivi d’une traîne d’un bleu brillant. La structure composée d’hex frémit et gonfla comme elle tentait de contenir l’énergie absorbée. Une boule aussi éblouissante qu’un soleil se forma en son centre. Alors Larin craignit soudain d’être projeté sur eux et de les détruire instantanément.
Mais un soubresaut terrible secoua le tube d’hex quand la boule se déchargea dans tout l’agglomérat au lieu d’exploser. Des milliers de droïdes éclatèrent, arrosant le vide alentour de myriades de débris métalliques.
— Yahou ! s’exclama Larin, avant d’ajouter, plus sobrement : ne refaites plus jamais ça.
La capsule de survie condamnée se trouva soudain hors de danger. Il suffit ensuite de la prendre dans le rayon tracteur et de la sortir du champ de débris. D’autres vaisseaux pourraient prendre soin de ses occupants.
— Attendez, dit Shigar alors que l’Auriga Fire virait déjà pour rechercher une autre capsule menacée.
— Qu’y a-t-il ? demanda Larin, car la tension dans la voix du Jedi ne lui avait pas échappé.
— C’est elle. Maître Satele m’appelle.
— Je ne reçois aucune transmission, objecta Nebula.
— Elle ne m’appelle pas de cette manière…
Larin s’abstint de tout commentaire. Elle ne voulait pas le distraire, sachant qu’il était en train de se concentrer sur le message qu’il recevait à travers la Force.
— Vous voyez ce morceau du Corellia, là-bas, Jet ? dit Shigar. Dirigez-vous vers lui.
— Compris.
Le cargo accéléra pour approcher une portion relativement importante du croiseur détruit. Le fragment tordu affectait une forme plus ou moins ovale de cinquante mètres dans sa plus grande longueur, et un côté était doré, ce qui indiquait qu’il s’agissait d’un morceau de la coque. Il tournoyait librement parmi les hex et semblait être l’objet d’un effort concerté d’extraction à l’une de ses extrémités.
Larin attendait l’ordre de tir. Quand la capsule de Maître Satele apparaîtrait, la priorité serait de la mettre en sécurité aussi vite que possible.
— Je n’aperçois aucune capsule, dit Ula. Vous êtes sûr que c’est la bonne direction ?
Ce n’était pas la première fois que l’ancien émissaire exprimait ses doutes sur les aptitudes de Shigar. Larin se demanda s’il faisait partie de ces gens qui au sein du gouvernement de la République ne faisaient pas confiance aux Jedi et à leurs méthodes.
— J’en suis sûr, répondit Shigar. Elle n’est pas dans une capsule. Elle doit se trouver dans un compartiment pressurisé de ce débris.
— Je peux préparer un amarrage si vous êtes en mesure de m’indiquer précisément où elle est, proposa Jet.
— Nous n’aurons pas le temps pour ce genre de manœuvre, fit remarquer Ula. Les hex pullulent sur ce débris.
— Vous avez des combinaisons pressurisées, n’est-ce pas ? demanda Shigar. Approchez-vous et je sauterai du vaisseau sur le débris.
— Je viens avec vous, dit Larin.
— Non. J’aurai besoin que vous soyez au canon pour avoir l’assurance qu’aucun hex n’embarque avec nous. Jet, larguez-moi, écartez-vous, puis revenez nous prendre dès que nous aurons quitté le débris. Je prendrai une combinaison de plus pour elle.
— Et si son compartiment ne dispose pas d’un sas ?
— Alors je trouverai une autre solution.
Elle l’entendit qui rampait dans le boyau d’accès à la tourelle pour revenir dans le vaisseau, alors elle se retourna pour le regarder au passage.
— Vous êtes certain que c’est la chose à faire ? lui lança-t-elle de l’autre bout de son propre boyau.
Elle n’avait pu dissimuler l’anxiété qu’elle éprouvait. L’épave grouillait d’hex. Une erreur, et ni lui ni son Maître n’en réchapperaient.
— Absolument, dit-il. Elle est la personne la plus importante de cette galaxie. Il est de mon devoir de la sauver.
Puis il partit, laissant Larin quelque peu blessée par ces paroles. Sur Hutta, il n’était pas venu pour la sauver. Si son accord avec Tassaa Bareesh avait mal tourné, elle aurait fini par servir de repas à un rancor, c’était certain. Mais, pour Maître Satele, il fonçait sabre laser au poing, risquant sa vie sans hésiter, et sans même accepter l’aide de Larin.
Peut-être craignait-il qu elle le ralentisse ?
Ne pense pas comme ça, se dit-elle. Nous sommes toujours partenaires, et tout ça ne va pas se terminer aussi rapidement que nous l’avions pensé, c’est évident. Il y a de grandes chances que nous ayons l’occasion de combattre dos à dos.
Elle fit pivoter le trilaser et anéantit un hex qui se tenait sur le bord du débris. Un de moins dont il faudrait s’inquiéter.
Les combinaisons pressurisées de l’Auriga Fire étaient d’un modèle très simple, sans armure, sans armes incorporées ni propulseurs, et avec un container dorsal assurant une autonomie en oxygène d’à peine cinquante minutes. Shigar supposait qu’elles étaient généralement utilisées pour les réparations rapides au-dehors du vaisseau, où elles pouvaient être reliées sur le système général de respiration artificielle. Il ôta la tenue qu’il avait improvisée en piochant dans la garde-robe officielle d’Ula – une tunique marron, un pantalon noir et un haut couleur sable, ce qui se rapprochait le plus des couleurs propres aux Jedi –, puis il prit la combinaison la plus propre et l’enfila sur ses membres nus. Dans l’idéal, il aurait dû la porter sur une combinaison collante, comme celle de Larin, mais il n’avait pas le temps pour de tels raffinements. Il recourrait à la technique du biofeedback pour réguler sa température corporelle.
Il accrocha son sabre laser à un mousqueton sur la hanche droite de sa tenue, où il pourrait la saisir instantanément, puis jeta une combinaison supplémentaire en travers de son bras gauche replié.
— Sas arrière prêt, dit Jet dans le système de communication de son casque.
— Très bien.
Shigar vérifia une dernière fois tous tes points de fermeture de sa combinaison. L’air avait une odeur assez désagréable, mais c’était le dernier de ses soucis.
— Approchez-vous le plus possible du débris.
Sa respiration lui sembla particulièrement sonore quand la porte intérieure du sas s’ouvrit. Il la franchit et elle se referma derrière lui. Il en profita pour se concentrer. Il savait à quoi s’attendre. Il avait déjà affronté les hex. La priorité était de localiser Maître Satele et de l’évacuer le plus vite possible. Il n’aurait pas le temps de se battre ou de prendre des risques inconsidérés. Cela n’aurait pour résultat que leur mort à tous les deux.
— Vous m’entendez, Maître Satele ? demanda-t-il dans le système com de la combinaison sur une fréquence encombrée par les parasites que diffusaient les étoiles distantes.
Normalement, les forces militaires n’utilisaient pas ce " canal, ce qui le rendait parfait pour des communications à courte distance ne devant pas être tracées.
— Très bien, répondit Maître Satele.
Le contact était faible, mais clair.
— Où en est votre réserve d’air ?
— Basse, mais pas encore critique.
La porte extérieure s’ouvrit dans une bouffée de brouillard. Shigar se propulsa d’un bond sur la coque. Un instant, l’étrangeté de la situation lui apparut. Il se tenait pratiquement nu sur la coque du cargo d’un contrebandier, entouré de droïdes tueurs et d’épaves de vaisseaux, avec d’un côté la spirale splendide de la galaxie et de l’autre les jets du trou noir.
Il n’aurait pu dire si ce qu’il ressentait s’apparentait plus à de la joie ou à de la terreur.
Le débris tordu se rapprochait. Le canon de Larin tira, et un hex fut projeté dans le vide, À l’aide du rayon tracteur, Hetchkee en arracha un autre de ce qui avait été un hublot du Corellia.
Shigar se prépara à bondir.
— Je ne peux pas aller plus près, l’informa Jet. Ne ratez pas votre coup.
D’une détente de ses jambes, Shigar s’élança. Pendant un moment, le ciel tourna autour de lui – la planète derrière l’Auriga Fire entra dans son champ de vision, boursouflée par des dômes de magma –, puis il heurta le débris avec force. Il avait tendu les bras pour agripper la première prise venue.
Il s’immobilisa et reprit son souffle. Un hex, alerté de son arrivée par le déplacement subtil de son support à la suite de l’impact, tourna vers lui ses nodules noirs par une brèche voisine. Ses pattes avant jaillirent et se déplièrent vers lui. Shigar voulut saisir son sabre laser, mais Hetchkee fut plus rapide. Le droïde fut balayé devant lui et propulsé dans l’espace où Larin le réduisit en un petit nuage d’atomes.
— Merci, dit le Jedi.
— C’est un plaisir, répondit la jeune femme. Vous allez rester allongé là toute la journée pendant que nous faisons tout le boulot ?
Il était déjà en mouvement, en passant avec légèreté de prise en prise.
— Tu es tout près, lui dit Maître Satele par le système com. Je peux sentir ta présence. Il y a un point d’accès démoli devant vous. Continue dans la même direction.
Le débris semblait avoir fait partie du centre de commandement avant du Corellia, et il avait été occupé au moment du désastre. Shigar passa devant plusieurs cadavres quand il se fraya un chemin dans la structure déformée. II.avait peu de place pour progresser entre les panneaux déchiquetés, et l’éclairage était faible.
— À la prochaine intersection, fais halte un moment, lui indiqua-t-elle. J’ai quelque chose à te dire.
Le son d’un mouvement lui parvint par les vibrations de la coque qu’il touchait. Alors il s’immobilisa, tous ses sens aux aguets. L’intersection avait dû être assez large pour permettre le passage d’un landspeeder, mais à présent elle l’était à peine pour un homme, en particulier aussi grand que lui. Quelque chose se déplaçait dans l’embranchement droit, le doute n’était plus possible.
— Voilà ce que je voulais vous dire, reprit Maître Satele. Depuis que nous avons entendu parler des droïdes, je me suis demandée ce que Lema Xandret avait mis d’elle-même dans ses créations. La réponse se trouve après le coin, Shigar. Vous l’apercevez ?
Il arriva à l’intersection et jeta un œil dans l’embranchement de droite. Neuf hex immobiles étaient regroupés autour d’une porte pressurisée, comme s’ils attendaient qu’elle s’ouvre.
— Je suis derrière cette porte, dit-elle, et bientôt tu y seras, toi aussi.
— Comment, Maître ?
Il ne voyait pas comment vaincre neuf de ces droïdes en même temps, alors qu’il avait eu beaucoup de mal avec seulement deux sur Hutta. Et il y avait à peine l’espace pour se glisser entre eux, donc encore moins pour les affronter.
— Tu m’as dit que l’usine miniaturisée de droïdes contenait un composant biologique, dit-elle. Il semble raisonnable de se demander si c’est aussi le cas des hex.
— Il y a un fluide à l’intérieur de leur corps, dit-il en se rappelant ce qu’il avait vu sur Hutta. Ça ressemble à du sang. Mais ce sont bien des droïdes, pas des cyborgs.
— Pas dans le sens habituel. Ils sont encore autre chose. Mais le fait qu’ils soient en partie vivants est la seule raison pour laquelle je suis encore là.
— Vous les influencez ?
— Autant que je le peux, ce qui signifie pas beaucoup. Ils n’attaquent que quand on leur barre le chemin ou qu’on les menace. Je ne fais ni l’un ni l’autre, de sorte qu’ils ne m’attaquent pas. Ils refusent de partir, mais au moins ils ne se montrent pas agressifs. Je pense que je peux les maintenir à distance le temps que tu arrives jusqu’à la porte.
Shigar sentit sa gorge se serrer.
— Vous voulez que je passe au milieu d’eux ?
— C’est la seule solution.
— Et ensuite ?
— Ensuite tu ouvres la porte et je sors.
— J’ai une combinaison pour vous…
— Je n’aurai pas le temps de la passer. Il n’y a pas de sas. Je conserverai une bulle d’air autour de moi en utilisant la Force. Ce qui me laissera deux ou trois minutes. Mais il faudra que tu sois beaucoup plus rapide. Je ne pourrai pas retenir les hex et ce bouclier en même temps.
Il serra les poings. La chose paraissait impossible. Mais elle comptait sur lui. Personne d’autre ne pouvait la secourir.
— J’arrive, Maître.
Il passa le coin et s’exposa pleinement à la vue des droïdes. En dépit de la foi qu’il avait dans les pouvoirs mentaux de Satele Shan, il s’attendait à être immédiatement la cible de leurs tirs. Mais les hex se contentèrent de l’observer avec leurs nodules sensoriels noirs et changèrent légèrement de position afin de pouvoir surveiller la porte et le nouveau venu en même temps.
Avec l’impression d’évoluer dans une sorte de cauchemar irréel, Shigar avança dans l’entremêlement de corps anguleux et de membres en prenant grand soin de n’en toucher aucun. Il ne voulait pas qu’un contact accidentel les tire de cette complaisance qui ne leur ressemblait pas du tout. Il s’obligea même à respirer sans bruit, malgré l’isolation parfaite que créait le vide autour de lui. L’intensité du regard des droïdes l’angoissait.
Enfin, il atteignit la porte. Un témoin rouge signalait la pression régnant de l’autre côté. Il composa un code d’annulation sur le clavier d’accès, et le témoin passa au vert. Dès qu’il le voudrait, la porte s’ouvrirait, expulsant tout l’air qui se trouvait au-delà.
— Vous êtes prête, Maître ?
— Oui.
Il enfonça le bouton de commande. Le souffle faillit l’emporter, mais il s’était bien calé contre la paroi. Les hex s’agitèrent soudain. L’influence apaisante de Maître Satele avait cessé en même temps que le déferlement d’air glacé recouvrait leurs organes sensoriels. Shigar était lui aussi partiellement aveuglé – il ne voyait pas grand-chose à travers la brume colée à sa visière, mais il avait l’avantage de ne pas devoir voir. La présence du Grand Maître était pour lui comme un rayon tracteur.
Il plongea dans la petite chambre et enfonça la touche pour refermer la porte derrière lui. Les hex en grattaient déjà l’autre côté. Il ne leur faudrait pas longtemps pour franchir l’obstacle. Il disposait de quelques secondes seulement pour trouver une autre issue.
Maître Satele flottait dans une bulle au centre de la pièce, son bouclier de Force scintillant autour d’elle dans une luminescence distante d’un doigt à peine des contours de son corps. Shigar fut surpris de son apparence fragile. Dans son esprit, elle semblait toujours avoir une stature gigantesque et dominer non seulement le Haut Conseil Jedi mais aussi influencer la marche de la République. Et maintenant, pourtant, elle lui paraissait frêle et menue.
Les grattements s’intensifiaient du côté de la porte. Les hex s’y attaquaient avec acharnement. Maître Satele avait lâché son sabre laser, qui flottait à côté d’elle, en dehors du champ de la Force. Shigar le prit de sa main gauche, décrocha le sien de la droite puis activa les deux. Le vert de leur lame n’était pas rigoureusement identique, et leurs lumières combinées créaient une danse d’ombres étrange sur les murs.
La chambre ne faisait guère plus de trois mètres de côté, et la porte était la seule issue. Peu importait. Le Padawan pouvait très bien en créer une autre. Brandissant les deux armes, il les planta dans la paroi à la hauteur de sa tête et fit décrire à chacune une courbe qui rejoignit l’autre au niveau de ses genoux, délimitant ainsi un cercle entier. D’un coup de pied en son centre, il envoya cette partie de la cloison de l’autre côté. Puis il se servit de la télékinésie pour emmener Maître Satele avec lui. Ils s’élancèrent alors à travers cette ouverture.
Ils surgirent dans une autre pièce, et il réitéra prestement la manœuvre, avec des gestes assurés. Derrière lui, les hex déchiquetaient consciencieusement la porte. Dans une seconde, ils se rueraient sur eux.
Un couloir, cette fois. Il lança Maître Satele devant lui et se repéra en hâte. Il était passé par là en arrivant. À l’autre extrémité de la coursive, il apercevait la spirale lointaine de la galaxie.
Un droïde au corps épais apparut et lui bloqua le passage.
— Préparez-vous, dit-il dans le comlink. Je vais arriver très vite.
— Très bien, répondit Larin. Ici, ça devient un peu chaud aussi.
Shigar ne perdit pas d’énergie à parler davantage. Le bouclier du Grand Maître étant à coup sûr assez solide pour dévier tout ce que des hex pourraient jeter sur lui, il continua de pousser sa bulle devant lui. Sa tâche consistait simplement à les sortir de là au plus vite.
La Force déferla en lui. Depuis les premiers instants où il avait découvert ses pouvoirs, il avait adoré l’excitation de cette accélération. Elle l’avait aidé à remporter des courses avant qu’il soit relevé de son poste sur Kiffu. Elle lui avait permis de survivre aux défis qu’imposait l’académie. À ces souvenirs, il percuta violemment la cloison derrière lui avec les deux pieds.
La définition du couloir se brouilla. Maître Satele fonçait devant lui à la vitesse d’un boulet de canon. Elle éjecta les hex hors du débris et dans l’espace. Pendant un moment, tout ne fut que vision tourbillonnante et pattes cherchant follement à agripper quelque chose. Puis une force invisible chassa l’hex au loin, qui fut aspiré dans le sas ouvert de l’Auriga Fire.
— Tu les as récupérés, Hetchkee ? dit la voix de Larin dans le comlink.
— Sains et saufs.
Plusieurs tirs du trilaser anéantirent le droïde et refoulèrent ses quatre congénères qui venaient d’émerger du débris à la suite de Shigar. Le Jedi agrippa les bords du sas alors que le vaisseau s’éloignait rapidement. Il ondula agilement entre les pattes d’un agglomérat, aidé par les tirs de Larin.
Enfin, la porte se referma sur eux et un air tiède envahit le sas. Shigar n’avait même pas remarqué à quel point ses doigts étaient froids. Il les frotta vivement avant de s’occuper du Grand Maître.
— Nous sommes hors de danger à présent, Maître.
Le champ de Force scintilla et disparut.
Le Grand Maître Satele Shan déplia son corps en position assise et ouvrit les yeux.
— Merci, Shigar, dit-elle avant de se relever et de lisser sa robe. Je te dois la vie.
Il baissa la tête et lui présenta son sabre laser.
— Je n’ai fait que ce que je devais faire, Maître.
Elle posa la main droite sur son épaule.
— C’est tout ce que nous faisons toujours, Shigar, en temps de guerre.
La porte intérieure s’ouvrit.
— Vous feriez bien de nous rejoindre, dit la voix de Jet dans le comlink. Et vite.
Shigar précéda son Maître dans les coursives et jusqu’au cockpit. Ula et Jet étaient aux commandes, Clunker dans un coin, aussi immobile qu’une statue. Hetchkee était ailleurs – Shigar supposa qu’il l’avait remplacé pour manier le canon tribord maintenant que le rayon tracteur n’était plus utile. À leur arrivée, Ula leur jeta un coup d’œil, puis il se leva et s’inclina.
— Grand Maître, dit-il avec une nervosité palpable, je suis soulagé de vous revoir.
— Nous nous sommes déjà rencontrés ?
— Émissaire Vii, de l’état-major du commandant suprême…
— Laissons tomber les présentations, dit Jet. Nous pourrons organiser une petite réception plus tard. Il y a un autre vaisseau en vue.
— Impérial ? demanda Maître Satele en se penchant sur le siège d’Ula.
— Je ne crois pas, répondit Jet en affichant une image agrandie de l’espace autour de Sebaddon. Juste au moment où je croyais que nous commencions à avoir un semblant de maîtrise sur tout ce foutoir…
L’écran montrait ce qui restait de la flottille de la République positionnée sur une orbite beaucoup plus haute qu’auparavant, et donc hors de portée des hex. Les vaisseaux infectés se dispersaient dans des directions très diverses, sans doute à cause des propulseurs endommagés ou de l’attraction gravitationnelle de la planète ou du trou noir. Réduite à sept unités dont son croiseur lourd, la flotte impériale cherchait elle aussi à atteindre une orbite plus lointaine. Un rapide coup d’œil aux projections de trajectoires montrait que les deux forces risquaient de se croiser dans quelques heures. Mais c’était un problème qui pouvait attendre.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Shigar en passant la main sur une zone floue couvrant l’équateur de la planète.
— C’est là que les trois derniers missiles ont détoné, expliqua Ula. Et deux autres ont fait de même depuis. Ils ne visaient aucun objectif particulier. À mon avis, Xandret crée un halo défensif d’hex pour protéger la planète.
— C’est bien possible, dit Maître Satele. Montrez-moi le dernier arrivé.
L’index de Jet tapota un point brillant près du petit satellite de Sebaddon.
— Apparu il y a une minute.
— Aux mêmes coordonnées ?
— Non. Le signal vient d’un cratère de la lune. Je pense que ce nouveau venu était caché là depuis le début.
Elle approuva d’un mouvement de la tête.
— J’aimerais diffuser un message.
Jet lui donna le micro.
— Il était temps que vous vous montriez, dit-elle. J’aimerais beaucoup vous parler, Dao Stryver.
La réponse fut immédiate :
— Moi aussi. J’ai plaisir à constater que vous avez survécu à cette débâcle peu flatteuse.
— Peut-on vraiment prendre plaisir à la survie de son ennemie ? demanda-t-elle au Mandalorien.
— On le peut, répondit-il. Je vous expliquerai le moment venu.
— Je l’espère de tout cœur.
— Retrouvez-moi sur la lune dans une demi-heure. Envoyez un seul appareil. Pas d’escorte. Vous avez ma parole que vous et vos amis n’avez rien à craindre de moi.
Stryver coupa la communication.
— Je ne lui fais pas confiance, fit Shigar.
— Nous n’avons pas le choix, dit-elle. Capitaine Nebula, merci de définir la trajectoire. Mettez-nous en relation avec le Commenor. Il faut que je parle au capitaine Pipalidi sans délai, au cas où nous n’aurions pas d’autre occasion de le faire.
— « Nous » ? souligna Jet.
— Cette mission nous a déjà coûté sept vaisseaux de guerre. Je ne veux pas en risquer un de plus.
— Et personne ne s’intéresse à ce que moi je suis prêt à risquer ?
— Vous avez vu ça ? fit Ula, attirant l’attention de tous sur l’écran principal. Les Impériaux viennent de lancer une navette.
— Nous ne pouvons pas la laisser atteindre les coordonnées pour le saut, dit Shigar. S’ils cherchent à faire venir des renforts…
— Je ne pense pas que ce soit leur objectif, dit Satele. « Un seul appareil. Pas d'escorte. »
— Et Stryver a précisé que nous n’avions rien à craindre de lui, ajouta Jet. Vous êtes bien certaine de vouloir faire ça ?
— Oubliez le rapprochement du Commenor, lui ordonna-t-elle. Mettons-nous en mouvement tout de suite. Je parlerai au capitaine Pipalidi en chemin.
— Oui, madame, dit Jet en adressant un petit salut sarcastique au Maître Satele. Autant aller vers notre destinée en courant, plutôt qu’en marchant.