27

C’était un nom sans prétention pour une colonie qui n’aurait pas dû exister, se dit Ula alors que l’Auriga Fire vibrait autour de lui.

Sebaddon.

— Vous savez que nous sommes dingues ? lança Jet d’une voix forte pour couvrir le son des hyperpropulseurs poussés au maximum. Si la masse du trou noir ne nous réduit pas en morceaux, sa gravité va nous aspirer dès notre arrivée.

— Nous avons défini la course du vaisseau pour éviter ces deux éventualités, répondit Shigar. Tout se passera bien. Certainement.

— Je vais essayer de ne pas y penser, grinça Ula.

— Et moi, de ne pas vomir, ajouta Larin.

Ula se retourna sur son siège pour la regarder. Elle lui adressa un clin d’œil.

— Combien de temps encore ? demanda Shigar.

Son assurance et son calme étaient exaspérants. Ula ne savait pas comment Nebula faisait pour le supporter.

— À peu près entre une minute et jamais. Plus probablement la deuxième évaluation.

La structure du vaisseau émettait des craquements sinistres du nez à la queue, comme si quelque chose l’avait saisi à chaque extrémité et cherchait à le tordre. Ula agrippa les accoudoirs de son siège et ferma les yeux. Il n’avait pas signé pour vivre ça. Le rôle d’informateur supposait de faire le guet dans l’ombre, de voler des renseignements ou de préparer un bon vieil assassinat. Il n’impliquait pas de combattre des droïdes tueurs, d’être torturé par des Mandaloriens ou de plonger tête la première dans un trou noir. Ce genre d’activité était réservé aux agents secrets confirmés.

Une main vigoureuse se referma sur son coude. Il rouvrit les yeux.

— Ne vous en faites pas, lui dit Larin. Nous allons y arriver.

Il hocha la tête et obligea ses doigts à se décrisper. Autant qu’elle pense qu’il était rassuré, alors qu’en réalité c’était exactement le contraire. La révélation psychométrique de Shigar avait élevé la confiance que la jeune femme avait en lui à un niveau encore jamais atteint, même s’il existait maintenant une tension nouvelle entre elle et le Jedi, comme si leur relation avait fondamentalement changé de nature. Ce qui, pour Ula, était sans doute l’aspect le plus irritant de sa situation.

Elle retira sa main. Sa main valide. Celle coupée en deux par la Sith était glissée dans un gantelet mécanique, une sorte de moufle qui lui permettait seulement de saisir les choses. l'Auriga Fire n’avait pas mieux à offrir en matière de prothèses.

Le vaisseau fit une nouvelle embardée. Clunker s’avança en tanguant, déroula un câble de son torse et le brancha au tableau de bord.

— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda Ula.

— Il se synchronise avec l’ordinateur de bord, expliqua Jet.

— Vous le laissez piloter le vaisseau ?

— Il a une tête mieux remplie que la mienne sur les épaules et son temps de réaction est beaucoup plus rapide.

Comme pour réfuter cette affirmation, l’Auriga Fire gîta de façon inquiétante sur bâbord, puis sur tribord. Ula fut jeté d’un côté et de l’autre dans son harnais, mais Clunker réussit à rester debout et connecté.

Un moment plus tard, le vol du vaisseau se stabilisa. Les vibrations décrurent notablement, et les plaintes de l’hyperpropulsion et de la coque ne formèrent plus qu’un bruit de fond. Le nœud qui broyait le ventre d’Ula se desserra un peu.

— Bon, fit Jet en appuyant sur diverses touches devant lui. On approche. Cramponnez-vous !

Ula se raidit à nouveau tandis que la texture voilée de l’hyperespace refluait. Normalement, une vision accélérée des étoiles aurait dû la remplacer, mais ici, aux limites extrêmes de la galaxie, ils filaient vers les ténèbres. Seul l’éclat d’îlots stellaires lointains fut englouti par le mouvement du vaisseau.

Dans une secousse violente, l’Auriga Fire revint dans l’espace réel et les vibrations reprirent.

Jet coupa les hyperpropulseurs et activa au maximum les répulseurs. Ula fut comprimé contre son siège quand le vaisseau changea de cap. Les senseurs balayèrent l’espace devant eux, révélant une vue que personne hormis Lema Xandret et ses compagnons n’avait admiré dans l’histoire de la galaxie.

C’était beaucoup plus lumineux qu’Ula ne l’avait imaginé. Ce fut sa première impression. Tandis que le vaisseau virait lentement et que le trou noir apparaissait, il constata non une absence de lumière mais deux jets d’un jaune brillant qui fusaient à chaque pôle de la singularité. C’était ce qui restait du dernier repas du trou noir – une étoile morte, peut-être, ou une géante gazeuse solitaire qui avait eu la malchance de croiser la route de ce monstre sans fond. Comme quelqu’un qui aurait enfourné trop de nourriture dans sa bouche en une seule fois, une partie du repas rejaillissait dans l’espace en se consumant telles des torches célestes sur l’arrière-plan de la galaxie.

La deuxième chose qu’Ula remarqua fut la galaxie elle-même. Le vaisseau et ses passagers en étaient assez éloignés pour l’admirer dans son intégralité. Sa magnifique spirale, avec le renflement au centre, occupait presque la moitié du ciel. Alors qu’elle leur apparaissait progressivement, Ula oublia ses inquiétudes un moment et eut le souffle coupé par la beauté majestueuse du spectacle. Chaque nébuleuse, chaque amas et chaque abîme se révélait à lui avec plus de clarté qu’aucune carte ne pouvait en donner. On avait du mal à croire que quelque chose d’aussi sublime était le théâtre de tant de guerres et de chagrin.

— Voilà la planète, dit Jet qui jouait des commandes comme un maestro.

— Sebaddon ? Où ? fit Shigar en scrutant ce panorama spectaculaire.

— Là.

Jet désignait la visualisation que donnait un écran. Ula ne vit rien de plus qu’un point.

— Elle est plus lointaine que je l’avais pensé. Nous allons contourner le trou noir et la rejoindre par un mouvement ascendant.

— C’est sans danger ? demanda Ula.

— Relativement. Tant que nous ne nous approchons pas trop.

Relativement à quoi ? faillit dire Ula.

Shigar étudiait l’écran.

— Aucun signe d’autres vaisseaux, dit-il. Il y a une petite lune.

— Comment pourrait-elle avoir une lune ? s’étonna Hetchkee depuis son siège, situé derrière celui d’Ula.

— Comment peut-elle se trouver là, d’ailleurs ? ajouta Larin.

— Un trou noir vous détruit si vous vous en approchez trop, dit Shigar, mais pas si vous restez à une distance suffisante. Des corps peuvent aisément tourner en orbite autour de lui. Sebaddon, n’importe quel morceau de planète qu’il a happé au fil du temps, nous…

La façon dont tout le vaisseau vibrait n’était pas pour rassurer Ula.

— Et la chaleur ? dit-il. Ces jets sont chauds, mais pas à ce point.

— Tandis que la planète décrit son orbite, la gravité du trou noir va s’étendre et la comprimer, empêchant son noyau de se solidifier. Je parie que nous verrons des volcans quand nous serons assez près. C’est ce qui doit apporter tous les minerais rares à la surface – ainsi que du gaz carbonique, ce qui aide certainement à conserver une atmosphère tempérée.

Devant eux, les jets étaient visiblement plus grands. Clunker demeurait connecté. Sebaddon demeurait invisible à l’œil nu, et Ula renonça à tenter de la repérer.

Une alarme se déclencha.

— Des vaisseaux, dit Jet. Derrière nous. Exactement là où nous sommes sortis de l’hyperespace.

— À qui sont-ils ? demanda Larin.

— Il faut que nous ayons achevé la manœuvre. Alors je pourrai vous le dire.

Sur l’écran, l’affichage disparut dans un déluge d’électricité statique quand ils plongèrent plus profondément dans l’effrayant champ magnétique du trou noir. Une odeur d’ozone envahit le cockpit. Tout ce qui contenait du fer se mit à vibrer sur une fréquence aiguë très désagréable.

Il n’y avait plus aucun sens de pesanteur parce qu’ils tombaient en chute libre autour du trou noir et utilisaient son attraction gravitationnelle pour se lancer vers l’orbite de la planète. Mais Ula avait toujours l’impression d’être simultanément étiré et comprimé, exactement ce que Shigar avait décrit quand il avait parlé de Sebaddon. Les effets de marées, c’était ainsi qu’on appelait ce phénomène. Ses poumons luttaient pour aspirer assez d’air, et des taches roses se mirent à danser devant ses yeux.

Puis la pression commença à baisser. Il s’effondra dans son siège, en transpirant abondamment et en remerciant l’Empereur d’être toujours en vie.

— Bien, fit Jet, le plus dur est passé. Merci, Clunker. Sebaddon est droit devant nous. Nous entrerons dans son orbite d’ici une minute environ. Quand à ces vaisseaux… (Il consulta les écrans de contrôle des senseurs redevenus actifs.) J’en compte quinze, avec des codes de transpondeurs appartenant à la République. Stantorrs a dû secouer du monde sur Coruscant pour les faire arriver ici aussi vite.

Shigar approuva d’un mouvement de tête. Il était impressionné, et il ne cherchait pas à le dissimuler.

— Pas de trace de Stryver ?

— Pas d’après les senseurs, en tout cas.

— Et l’Empire ? dit Ula.

— Les seuls vaisseaux présents dans le coin sont ces quinze-là et le nôtre.

— Comment les Sith auraient-ils su où aller de toute façon ? fit remarquer Larin. Elle ne dispose pas du calculateur de navigation.

— Ils peuvent avoir trouvé un autre moyen, tout comme nous, dit Ula qui voulait garder espoir bien qu’il ait prononcé cette phrase sur le ton de la mise en garde. Mieux vaut ne pas les sous-estimer.

— C’est sûr, fit Larin. Là voilà, ajouta-t-elle en pointant l’index sur un des panneaux vitrés devant eux.

Ula tourna son attention dans cette direction.

Sebaddon était une planète de petite taille, balafrée par l’activité tectonique, exactement comme Shigar l’avait prédit. Sa surface allait du basalte gris au manteau rougeoyant exposé à l’atmosphère à cause des mouvements constants des plaques. L’atmosphère était assez dense pour respirer et l’on y percevait des traces de nuages et de précipitations. Il n’y avait pas d’océans, seulement quelques surfaces brillantes de dimensions réduites dans les parties les moins chaudes de la planète. Peut-être des lacs.

— Si c’est de l’eau, dit Larin, la surface pourrait être habitable.

Près d’un des « lacs » se trouvait un groupe de sources de radiations lumineuses qui indiquait la présence probable d’une cité quelconque. Ailleurs sur le globe on apercevait d’autres points brillants, peut-être des mines ou des installations plus réduites.

— Quelqu’un a bien œuvré, commenta Jet. Depuis combien de temps sont-ils là ?

— Nous ne le savons pas, répondit Shigar.

— Je dirais une vingtaine d’années, en partant de l’hypothèse qu’ils n’étaient qu’un petit groupe au commencement. L’infrastructure est imparfaite, et ils n’ont pas encore investi certaines zones.

Tout en parlant, Jet désigna les écrans de contrôle. Pas de vaisseau en orbite, ni de satellite. La petite lune était totalement intacte.

— Vous voulez que je leur envoie un petit bonjour ? proposa-t-il.

— Non, répondit Shigar. Attendons que Maître Satele Shan arrive. C’est elle qui devrait établir le premier contact.

— Et Ula ? intervint Larin. Il est l’émissaire de la République.

Shigar se tourna vers lui.

— Sans vouloir vous offenser, je pense que quelqu’un d’un rang supérieur devrait gérer cette affaire. J’espère que vous comprenez.

— Absolument, répondit l’informateur, feignant l’approbation.

En réalité, il aurait préféré gâcher les manœuvres d’approche de la République envers un monde aussi précieux. Mais il ne pouvait discuter ce point sans éveiller les soupçons. Il lui faudrait donc prendre son mal en patience et guetter une autre occasion de saboter les efforts de ses ennemis.

L’Auriga Fire se glissa sans à-coup sur une orbite polaire autour de Sebaddon, puis les moteurs se turent à la satisfaction générale. Clunker se déconnecta et retourna se caler dans son coin. Des heures à être secoués s’étaient écoulées depuis le début du dernier saut, et Ula était très heureux que ce soit fini.

Manifestement, Nebula était du même avis. Il se leva de son siège et tapota le capot au-dessus du tableau de bord.

— Allez, marmonna-t-il. Je sais que c’est là, quelque part…

Un panneau dérobé s’ouvrit et il glissa la main à l’intérieur.

— Aha ! Ces satanés Hutts n’ont pas réussi à trouver tout, heureusement.

La main réapparut, qui tenait une bouteille fine emplie d’un liquide doré. Il la déboucha et but une gorgée au goulot.

— Quelqu’un d’autre veut porter un toast ? Au fait que nous en sommes sortis vivants malgré des passagers dingos et des données peu fiables ?

Les autres l’ignorèrent presque complètement, car tous les regards étaient tournés vers l’arrivée de la flottille de Maître Satele. Comme Jet, elle avait choisi de passer autour du trou noir plutôt que d’essayer de combattre son attraction considérable ; les forces titanesques qui agissaient sur les vaisseaux étaient plus apparentes vues de l’extérieur. Ula fut effaré par la vitesse qu’ils atteignirent quand leur course les amena au plus près du trou noir. L’un d’eux ne prit pas la bonne trajectoire et dériva très légèrement. Instantanément, le trou noir le happa et il disparut en tournoyant dans l’immense gueule ténébreuse.

Un à un, les quatorze vaisseaux rescapés apparurent de l’autre côté.

— Voyez si vous pouvez déjà les contacter, dit Shigar. Le mot de passe est faucon des chauves-souris.

— Je m’y mets, dit Nebula qui reboucha la bouteille et la posa avant de se tourner vers le système de communication.

— Cette partie de l’espace est affectée par la singularité, de sorte qu’on ne peut pas joindre la galaxie, mais nous devrions pouvoir ouvrir une transmission à courte portée avec eux.

— Étrange de penser que tout ça pourrait être terminé clans quelques minutes, dit Larin pendant que Jet essayait île contacter les vaisseaux en approche. Je veux dire, Stryver a perdu tout intérêt pour cette planète ou bien il a été victime du trou noir. L’Empire ignore où nous sommes passés. Une fois que Maître Satele Shan sera entrée en contact avec Lema Xandret, notre travail sera fini.

— Vous oubliez les Hutts, dit Ula. S’ils ont placé un mouchard sur ce vaisseau, ils nous repéreront facilement.

— Seulement s’ils cherchent le signal dans la bonne direction. Et qui penserait à chercher par ici ? C’est l’endroit parfait pour se cacher.

Jet n’avait pas tort, mais l’informateur se refusait à l’admettre. Une fois Sebaddon annexée par la République, il ne pourrait que révéler la position de la planète quand il serait de retour sur Coruscant, soit bien après que la question de l’appartenance de ce monde à l’un des deux camps aura pu être réglée. Sa mission était sur le point de devenir un échec, et il ne pouvait apparemment rien faire pour y remédier.

— Ce Mandalorien m’a fait l’impression d’être très malin, dit alors Hetchkee. Je ne l’imagine pas tombant dans le trou noir, à moins qu’on l’y ait poussé.

— Je suis aussi de cet avis, approuva Shigar. Il serait imprudent de penser que nous n’aurons plus jamais de ses nouvelles.

— Je l’ai, annonça Jet en se laissant tomber dans son siège, un sourire satisfait aux lèvres. Vous pouvez parler, Grand Maître.

— Très bon travail, Shigar, dit la voix de Satele Shan dans le haut-parleur.

— Merci, Maître, répondit le Padawan, visiblement fier du compliment.

— Le commandant suprême aimerait que l’émissaire Vii soit réexpédié sur Coruscant dès que possible.

— Avec votre permission, dit Shigar, nous aimerions nous joindre à vos forces et assister aux négociations.

— Eh, une minute, l’ami…, commença Jet, mais le Jedi l’interrompit :

— Nous traquons Lema Xandret depuis si longtemps, il semble dommage d’être venu jusqu’ici pour simplement faire demi-tour.

Ula ne savait trop que penser de cette requête. D’un côté, il ne prévoyait rien de plus intéressant que ces joutes oratoires diplomatiques dont il était familier. De l’autre, il n’était pas pressé d’aller avouer son échec à l’un ou l’autre de ses maîtres.

— Je m’attendais à cette demande, répondit Satele Shan avec une pointe d’amusement dans la voix. Le colonel Gurin commande la flotte. Je vous suggère de rejoindre la Deuxième Compagnie et de prendre la place du vaisseau que nous avons perdu. Les données tactiques vous seront données sous peu.

— Encore merci, Maître, dit Shigar avant de rendre le contrôle du système de communication à un Jet Nebula bougon.

Les instructions et la télémesure parvenaient déjà à l’Auriga Fire. Dès que Jet aurait raccordé son vaisseau à cette source, il deviendrait un élément d’une entité tactique beaucoup plus grande et ne serait plus indépendant.

— Allons, ne faites pas cette tête, dit Shigar au contrebandier avec un sourire. Vous avez déjà travaillé pour la République, non ?

— Bien sûr, mais uniquement pour empocher ses crédits. Pas pour la gloire ou par goût, comme ça semble être le cas pour vous.

— Ça ne durera pas longtemps. Je veux juste voir comment ça se passe.

— Vous ne trompez personne, Shigar. Je sais que vous ne voulez pas honorer le marché passé avec Tassaa Bareesh.

Les coins de la bouche du Jedi s’abaissèrent, mais il ne dit rien pour nier l’accusation.

Le croiseur où se trouvait Maître Satele passa au-dessus d’eux, tel un losange doré qui paraissait plus petit qu’il n’était en réalité, avec une nacelle de commande saillant qui ressemblait à un aiguillon d’insecte à l’arrière et une coque constellée de traces d’impacts de turbolasers et de canons à ions. Ula aperçut la télémesure qui déferlait dans l’Auriga Fire. Le croiseur s’appelait le Corellia. Il avait déjà vu ce nom dans les documents du commandant suprême Stantorr.

Jet mit donc son vaisseau sous le commandement de la République, et il devint une des huit unités obéissant aux instructions du colonel Gurin. La flottille se déplaçait tranquillement à une orbite plus basse. Les échanges détendus entre vaisseaux emplirent le système de communication, qu’ils soient entre êtres vivants ou entre droïdes. L’attitude impassible de Clunker devint plus attentive. Ula lui aussi prêta l’oreille, au cas où il pourrait glaner quelques informations utiles. Dans des périodes aussi tendues, les protocoles militaires changeaient presque chaque jour.

— J’enregistre des traces d’activité au sol, dit Jet. Xandret et ses petits copains savent que nous sommes là.

— Pourquoi ne disent-ils rien, alors ? demanda Larin.

— Par timidité, peut-être ?

— Quel genre d’activité ? demanda Shigar.

— Des sources de chaleur, principalement. Peut-être des réacteurs en phase de préchauffage. Deux semblent provenir de sites industriels d’après la signature.

— Vous transmettez ces données au colonel Gurin ?

— Il voit exactement ce que nous voyons, à moins qu’il admire un autre paysage.

La roue de la galaxie formait un arrière-plan magnifique quand Satele Shan émit pour la première fois en direction des habitants de Sebaddon.

— Je suis le Grand Maître Satele Shan, dit-elle sur toutes les fréquences. Je ne viens pas au nom de la République, mais de la part de tous ceux qui dans la galaxie sont partisans de la paix et de la justice.

— Qu’est-ce que c’est que cette déclaration ? demanda Hetchkee.

— C’est le double langage des Jedi, répondit Larin. Elle ne veut pas que les Sebaddoniens nous croient sur le point de les envahir.

— Même alors qu’elle arrive à la tête d’une flotte de vaisseaux de guerre de la République ?

— Même ainsi.

Shigar leva une main pour réclamer le silence. Personne ne lui ayant répondu, Maître Satele faisait une nouvelle tentative :

— Nous avons de bonnes raisons de croire qu’une mission diplomatique envoyée de Sebaddon a été interceptée avant d’atteindre sa destination. Nous ne sommes pas responsables de sa destruction, mais je tiens à vous faire part de mes regrets les plus sincères, et je souhaite partager avec vous les données que nous avons collectées au sujet de ce malheureux incident.

— L’activité s’accroît, dit Jet. Les sources de chaleur s’intensifient.

— Vous êtes sûr qu’il ne s’agit pas de volcans ? fit Larin.

Il ne répondit pas, pas plus que les habitants de Sebaddon ne répondirent au dernier message de Satele Shan.

— Il pourrait s’agir de volcans, déclara Ula parce qu’il ne voulait pas rejeter une suggestion de Larin, même faite ironiquement. Il serait logique de puiser l’énergie géothermique sur un monde comme celui-ci. S’ils ont trouvé un moyen de stocker et de relâcher cette énergie, il se peut que ce soit ce que nous voyons en ce moment.

— Ça pourrait aussi être des sites de lancement, dit Jet.

— S’ils nous envoient un comité d’accueil, pourquoi ne pas nous prévenir ?

— Parce que ça pourrait ne pas être le genre de comité d’accueil auquel vous pensez.

— Il faut que je parle à Lema Xandret, essaya une troisième fois le Grand Maître. J’ai des raisons de croire qu’elle pourrait être votre chef.

Enfin, le silence de la planète fut brisé. Une voix de femme leur parvint, portée par les ondes, sur fond de parasites.

— Nous n’avons pas de chef.

— Très bien, dit Satele Shan, mais suis-je en train de " parler à Lema ?

— Nous demandons seulement qu’on nous laisse tranquilles.

— Vous n’avez rien à craindre de nous, je vous le jure. Nous sommes venus pour parler et pour offrir notre protection, si vous en avez besoin. Vous n’avez aucune obligation d’offrir quoi que ce soit en retour.

— Nous ne reconnaissons pas votre autorité.

Ula en eut la chair de poule.

— C’est ce que les hex répétaient. Elle parle exactement comme eux.

— En effet, dit Shigar. Ce doit être Xandret. Les hex partagent son timbre de voix et sa philosophie parce que c’est elle qui les a conçus.

— Nous ne souhaitons nullement vous imposer une sorte quelconque d’autorité, répondait Maître Satele.

— Nous demandons seulement qu’on nous laisse tranquilles, répéta Xandret.

— Ces points de chaleur sont prêts à exploser, lâcha Jet d’un ton lugubre.

— Passez-moi le micro, dit Shigar. Maître, je ne pense pas que les paroles auront un résultat. Elle est aussi entêtée que ses droïdes. Je suggère de trouver une autre approche.

Le grand Maître avait déjà repris la parole :

— Peut-être pourrions-nous nous entretenir face à face. Cela pourrait nous aider à mieux nous comprendre. Juste moi et mon Padawan, dans l’endroit de votre choix. La dernière chose que je souhaite est que vous ou vos dirigeants vous sentiez menacés, ou intimidés…

— Nous n’avons pas de chef ! s’écria Xandret. Nous ne reconnaissons pas votre autorité !

— Et voilà, fit Jet en affichant sur l’écran de contrôle principal plusieurs taches très lumineuses à la surface de la planète. Quelqu’un d’autre que moi trouve que ça ressemble à des missiles ?

Ula regarda l’image de très près. Ses connaissances dans le domaine militaire étaient parcellaires, mais les points brillants qui s’élevaient rapidement de la surface avaient pour lui un aspect très menaçant. Tout d’abord parce qu’ils se déplaçaient très rapidement, plus que n’importe quel vaisseau avec un équipage n’aurait osé le faire dans l’atmosphère. Il y en avait huit, qui commençaient à mieux apparaître : longs, fuselés. Ils tournaient sur eux-mêmes en s’élevant, comme des fusées de feu d’artifice, ce qui faisait d’eux des cibles beaucoup plus difficiles à atteindre depuis les vaisseaux.

L’Auriga Fire fit une embardée en réponse aux données de la télémesure que transmettait le Corellia. Comme un seul, quinze vaisseaux changèrent de cap en réaction à la menace qui montait vers eux.

— Voilà votre réponse, dit Larin. Quelqu’un prend la situation très au sérieux, pas de doute.

— Très bien, grogna Jet. Mais moi je n’abandonne pas mon vaisseau à autrui alors qu’il est en danger.

— Attendez, dit Shigar.

Mais il était trop tard. Le contrebandier avait déjà rompu la liaison entre son vaisseau et ceux de la République. Dans l’éclair de ses répulseurs, l’Auriga Fire s’écarta du reste de la Deuxième Compagnie et grimpa pour atteindre une orbite plus élevée.

Derrière eux, les unités de la République adoptèrent une formation de bataille, avec le Corellia au centre et les vaisseaux de soutien autour de lui, en un tétraèdre resserré. Tandis que les chasseurs jaillissaient des divers hangars, les canons se braquèrent sur les missiles en approche. Le Grand Maître ne s’exprimait plus et le bavardage interne à la flotte avait cessé.

— Reprenez votre position, Auriga Fire, dit une voix sèche émanant du Corellia. Reprenez votre position !

Jet n’en tint aucun compte, mais il avait gardé ouverte la ligne d’échange de données tactiques.

— Tout ça n’a aucun sens, pesta Ula. Si Xandret veut tellement rester isolée, pourquoi accepterait-elle de discuter avec les Mandaloriens ? Je dirais que, dans ce cas de figure, c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire.

— Peut-être que le Cinzia ne représentait personne ici bas, dit Larin. Il peut s’agir d’un groupe de dissidents qui s’est fait sauter.

— Alors pourquoi attaquer au lieu de parlementer, maintenant ? répliqua-t-il. Tirer sans provocation est une folie.

— Aucun doute, fit Shigar. Ils ont quasiment signé leur propre arrêt de mort.

Les missiles traversèrent la couche supérieure de l’atmosphère et entrèrent en contact avec la première vague de feu défensif. Un maillage dense de décharges de turbo-lasers et de torpilles à ions convergea sur les huit missiles. La tête de chaque missile activa alors un bouclier assez comparable à ceux déjà vus sur Hutta, mais à une échelle bien moindre. Aussi brillantes que des miroirs, ces contre-mesures réfléchirent parfaitement les tirs laser et dévièrent même bon nombre de torpilles. L’espace entre le Corellia et la planète se peupla soudain d’explosions.

De cette couche de gaz brûlants, seuls six missiles émergèrent. Les débris des deux autres continuaient sur leur lancée. De petits points blancs brillants se reflétèrent dans la lumière des jets du trou noir.

Les six missiles rencontrèrent une autre vague de tirs défensifs. Les boucliers luisirent de nouveau dans une succession rapide d’éclats – pour conserver de la puissance, songea Ula. Les missiles n’étaient pas très imposants. Ils ne pourraient résister longtemps à ce genre d’assaut massif.

Mais ils n’en avaient pas besoin. Quatre des huit de départ étaient maintenant assez proches des principaux vaisseaux pour être une menace imminente. Les chasseurs entrèrent en action et attaquèrent les missiles de toutes les directions en même temps. Les boucliers ne pouvaient couvrir chaque angle d’approche. Trois missiles perdirent de leur vélocité, leur système de propulsion endommagé et leurs flancs crachant des nuages de débris. Le dernier continuait de filer sur sa trajectoire, droit sur le Corellia.

L’expression de Shigar faisait de la peine à voir. Son Maître se trouvait à bord de ce croiseur, et un missile de cette taille allait forcément créer des dommages considérables, peut-être même provoquer la destruction du Corellia. Ula se demanda si à cet instant précis Satele Shan se précipitait pour embarquer sur une capsule de survie dans l’espoir d’échapper à son destin.

Le missile franchit le dernier barrage défensif et percuta le croiseur juste devant son propulseur stellaire.

Ula eut un petit mouvement de recul instinctif dans l’attente d’une explosion géante.

Elle ne se produisit pas. Le missile toucha la coque dorée avec assez de force pour l’éventrer, puis il disparut simplement à l’intérieur. Une éruption d’air et d’autres gaz jaillit de la déchirure. Pas de flammes. Le missile n’avait pas explosé.

Les communications internes à la flotte reprirent, et l’on sentit une certaine frénésie dans les échanges. Le colonel Gurin prit la parole pour assurer à tous que le croiseur était intact. Aucun autre lancement n’avait été détecté à la surface de la planète. L’attaque venue de Sebaddon semblait bien avoir complètement échoué.

Toujours sur leur élan, les nuages de débris générés par les sept missiles détruits commencèrent à arriver. Certains étaient constitués de morceaux déchiquetés de revêtement ou de moteur. La plupart avaient l’aspect de ces points blancs qu’Ula avait aperçus plus tôt. Ils scintillaient comme îles flocons de neige au soleil en roulant autour des vaisseaux de la République dans toutes les directions.

— Nous pourrions avoir une vue rapprochée de ces débris ? demanda-t-il. Si les missiles n’étaient pas bourrés d’explosif, il ne s’agissait peut-être pas du tout de missiles.

Jet obéit et dirigea les senseurs du vaisseau sur un nuage de débris proche. Les points blancs prirent l’aspect de laches se déplaçant comme des amibes sur le fond noir du ciel.

— Je vais voir si je ne peux pas obtenir une meilleure résolution, dit le contrebandier.

La définition s’améliora subitement, et les taches devinrent des objets hexagonaux avec six membres fins.

La peur submergea Ula. Des hex. Des milliers et des milliers d’hex.

— Éloignez-nous de ça ! lança Shigar. Et mettez-moi en contact avec le colonel Gurin.

La vue changea et montra un des vaisseaux d’assaut de la République. La masse des hex qui s’en approchait était plus dense. Quand ils se rejoignaient, les hex emboîtaient leurs membres et leurs corps pour former des objets plus importants – de longs rubans, des filets ou des sphères. Le croiseur se déplaçait entre eux dans une inconscience totale, alors même que les droïdes trouvaient à s’arrimer à sa coque.

— Faites partir les vaisseaux d’ici ! cria Shigar dans le micro. Ils courent un terrible danger !

La réponse hachée lui vint entre des séries de crachotements.

— … interférences… veuillez répéter…

En fond sonore, on entendait le hululement des sirènes d’alarme.

Ula regarda au-delà de Shigar l’endroit où le Corellia était suspendu devant le globe de la planète. Des flammes rouges léchaient maintenant les bords déchiquetés de l’impact laissé par le missile. Sur Hutta, quatre hex avaient presque eu raison d’un Jedi, une Sith et un Mandalorien. Au large de Sebaddon, le chargement entier d’un missile avait libéré une myriade d’hex dans les entrailles du croiseur. Il n’osait pas imaginer les ravages que des centaines de ces droïdes pouvaient causer face à des troupes nombreuses mais ordinaires.

— Oublions le Corellia, décida Jet en passant sur le circuit de communication général. Il faut prévenir les autres. Ici l’Auriga Fire. Vous êtes attaqués. Servez-vous de vos chasseurs et de vos canons embarqués pour nettoyer la coque de votre vaisseau. Ensuite, quittez votre position orbitale et éloignez-vous de la planète. Ces missiles contiennent les hex que nous avons vus sur Hutta. Ils vous mettront en pièces si vous ne vous débarrassez pas d’eux.

— Dites-leur d’ignorer tous les ordres provenant du Corellia, ajouta Ula. Si les transmissions sont compromises, les hex vont semer la désinformation, voire pire.

Jet relaya ce conseil aux autres vaisseaux. C’est seulement alors qu’Ula se rendit compte qu’il avait essayé d’aider les forces de la République.

Mais il ne pouvait pas rester les bras croisés devant la mort imminente de milliers de personnes. La République avait gagné la course. Il n’y avait rien à gagner dans le spectacle d’un massacre.

Une explosion de parasites acoustiques noya toutes les communications pendant une seconde. Puis une nouvelle voix venue du Corellia s’exprima :

— Nous ne reconnaissons pas votre autorité !

— Ce sont les hex qui parlent, dit Larin. Ils se sont rendus maîtres du vaisseau amiral.

— Le Corellia expulse les capsules de survie, annonça Shigar en pointant un doigt sur la scène. Il faut que nous nous rapprochions. Les capsules seront en mesure d’éviter les hex plus aisément que les vaisseaux trop massifs, mais elles auront besoin de se regrouper quelque part. Nous pouvons leur offrir un point de ralliement en attendant que quelqu’un d’autre les récupère.

— D’accord, fit Jet, les lèvres serrées. Vous et Larin, aux irilasers pour nous ouvrir un passage. Si une seule de ces saloperies s’introduit ici, nous sommes tous morts.

Shigar quitta son siège et disparut avec la jeune femme dans les entrailles du vaisseau.

— Ula, venez ici, dit encore Jet en désignant à l’informateur le siège de copilote, désormais inoccupé. Hetchkee, à vous le contrôle du rayon tracteur. Clunker, tu empêches que les émissions du Corellia perturbent nos systèmes.

Le droïde s’avança et se connecta à nouveau à l’ordinateur de bord.

Pendant qu’il changeait de position, Ula remarqua une lumière très brève et très vive sur le tableau de bord devant Jet.

— C’est important ?

— Possible, mais pour l’instant on n’a pas le temps de s’en occuper.

Le contrebandier effectua rapidement des réglages.

— Ah. Nous avons de la compagnie supplémentaire.

Ula ajusta la définition de son écran pour le braquer de nouveau sur le trou noir. Près de la lumière diffuse des jets, il discerna une procession de vaisseaux qui émergeaient de l’hyperespace. Un croiseur imposant, suivi de nombreuses unités plus petites, s’étirait en deux lignes parallèles. Il reconnut immédiatement cette configuration, et la surprise le submergea.

Des vaisseaux impériaux.

Mais comment ? C’était Stryver qui avait dérobé le calculateur de navigation. Ils avaient dû le traquer, le retrouver et le lui prendre. Ce qui expliquerait pourquoi il n’y avait aucun signe du Mandalorien dans les environs. L’adrénaline affola les battements de son cœur. Oui, tout ça se tenait.

Et quelle que soit la manière dont ils avaient fini par arriver ici, leur seule présence signifiait qu’il subsistait toujours l’espoir d’une victoire de l’Empire. Avec les forces de la République dans un tel désarroi, il serait aisé de les balayer.

Il eut du mal à réprimer un sourire de triomphe. En fin de compte, Sebaddon deviendrait le trophée de l’Empire, et il n’aurait pas échoué dans sa mission.

Puis il se rappela où il se trouvait, et toutes ses pensées de victoire s’effritèrent. L’Auriga Fire aidait la République. Et si l’Empire terrassait la République, il mourrait.

Horrifié, il contempla l’écran, alors que les vaisseaux impériaux poussaient leurs propulseurs pour attaquer.