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Ax avait la sensation d’avoir été avalée tout entière par une limace de l’espace. Même avec le bouclier de Force qu’elle avait projeté autour d’elle pour se protéger de la chute de gravats, chaque arête et chaque pression soudaine lui coupait le souffle. Presque instantanément, elle renonça à essayer de maîtriser sa chute.

Elle se consola en songeant que Stryver endurait la même épreuve. Fuir de cette façon trahissait à quel point le Mandalorien était dans une situation désespérée. Elle ne pouvait s’empêcher d’admirer son intrépidité, et dans le même temps elle le haïssait pour avoir ravi le calculateur à la barbe de tout le monde.

Mais rien n’était encore terminé. Elle le retrouverait, quoi qu’il lui en coûte. Il était absolument hors de question qu'elle se présente devant son Maître les mains vides.

Elle cessa enfin d’être ballottée dans les éboulements et put progresser parmi les décombres. Avec l’aide de la force, elle poussait de côté les blocs les plus gros, quand plie ne se frayait pas un passage avec son sabre laser. À iliaque poche d’air elle faisait halte pour en profiter et savourait chaque inspiration. Il faisait presque complètement noir ici, mais l’endroit était très bruyant. Quand les empilements des débris n’émettaient pas des grincements divers alentour, elle percevait des voix qui appelaient à l’aide.

Enfin, un de ses bras émergea à l’air libre, puis sa tête.

Trois Evocii la saisirent sous les aisselles et commencèrent à tirer. Elle les repoussa et se dégagea seule. À la vue du sabre laser, les esclaves s’enfuirent avec des exclamations apeurées.

Ax prit le temps de s’épousseter grossièrement.

Et maintenant, Stryver.

Elle se trouvait dans une sorte de dortoir avec des couchettes alignées le long de deux murs. Le reste de la pièce s’était écroulé sous l’avalanche. L’étendue des dégâts était difficile à évaluer, de même que sa chute. Elle pouvait être tombée de douze niveaux comme d’un seul. Vu la pauvreté relative autour d’elle, elle était loin des luxueux niveaux supérieurs. C’étaient là les lits des esclaves, et pas des domestiques.

Stryver devait être plus bas, il allait vouloir remonter, et son ascension ne serait certainement pas des plus discrètes.

Elle ferma les yeux et fit l’impasse sur les cris, le bruit des débris qui se stabilisaient et un tir de blaster occasionnel. Elle cherchait un son bien particulier clans la multitude de ceux qui l’entouraient. Il serait faible, mais immanquable.

Le geignement du jetpack de Stryver.

Là.

Dès qu’elle le repéra, elle traça avec son sabre laser un cercle autour de ses pieds. Le sol céda sous elle, et elle se reçut sans même chanceler un niveau plus bas, au milieu d’une tentative de sauvetage d’un esclave à demi écrasé par un pan de mur effondré.

Ignorant tous les gens impliqués, elle alla jusqu’à la paroi la plus proche et y découpa un passage. Elle pénétra dans une salle de torture où les esclaves rétifs ou trop indolents étaient châtiés publiquement afin de servir de mise en garde aux autres. Une fois encore, Ax ne fit pas halte pour admirer les raffinements techniques du Dug à l’œuvre. Elle remarqua simplement que bon nombre de cris qu’elle avait crus consécutifs à l’effondrement de la structure émanaient en fait de cette salle.

Elle franchit un autre mur, et le son du jetpack devint plus nel. Elle distinguait également les déflagrations sourdes de Min canon d’assaut. Comme elle, il utilisait son armement pour se frayer un chemin à travers le palais. Quand les portes et les couloirs n’existaient pas, il n’hésitait pas à les néer.

Ax longeait maintenant le bord d’une fosse à rancors. I .es bêtes énormes claquèrent des mâchoires et grondèrent À son passage. Tout ce vacarme et ces secousses les avaient icndues enragées. Les dresseurs faisaient de leur mieux pour les contrôler, avec des chaînes, des crochets et des poids, mais la nature sauvage des rancors n’était pas facile x rt contenir. Le cri aussitôt interrompu d’un dresseur suivit Ax quand elle bondit par-dessus l’enclos en se servant de la l oi ce pour aller plus vite.

Le jetpack était désormais assez proche pour qu’elle ileiecte l’odeur de ses gaz d’échappement.

Elle identifia aussitôt la trace du Mandalorien. Son canon d’assaut avait creusé un tunnel à travers toutes les structures successives qui s’étaient trouvées sur la trajectoire de ses tirs. L’alignement des trous dans les murs et les planchers était parfait. Et à son extrémité, là-haut, Ax aperçut une lumière vive : la propulsion du jetpack.

Avec un rictus d’impatience, elle s’élança à sa suite. Chaque bond la menait un peu plus haut dans cet escalier improvisé. Les surfaces sur lesquelles elle se recevait n’étaient pas toujours fiables. Parfois, elles cédaient sous son poids, ou bien elles glissaient à cause de la chaleur résiduelle du canon qui les avait fait fondre en partie. Elle essuya également quelques tirs de gens rendus très nerveux pas le passage fracassant de Stryver. Sans ralentir, Ax devia tous les projectiles. Elle ne voulait s’arrêter pour rien ni personne.

Elle réduisait peu à peu la distance. Concentré uniquement sur son ascension, le Mandalorien ne regardait pas en arrière. Par-delà l’éclat de la propulsion du jetpack, elle aperçut le boîtier en transparacier qu’il serrait dans une de ses mains. Le calculateur était toujours à l’intérieur. Elle faillit tenter de l’arracher en usant de la Force, mais elle se reprit à temps. Si elle révélait sa présence prématurément, Stryver aurait le temps de réagir. Mieux valait le frapper, par-derrière et prendre le trophée de ses mains inertes.

Deux étages de plus. Trois. Elle dressa un bouclier pour éviter que la chaleur des propulseurs ne lui carbonise la peau. Quatre niveaux. Elle était à présent si proche qu’elle aurait presque pu étendre le bras pour le renverser. Le martèlement de son canon était assourdissant.

Maintenant.

Elle plongea vers le calculateur à l’instant où Stryver transperçait le toit du palais.

Un éclat brun les frappa, puis Ax plissa les yeux tout en luttant pour s’approprier le boîtier. Stryver ne montra aucune surprise, même s’il perdit momentanément le contrôle de son jetpack. Ils partirent en spirale au-dessus du toit, avec les gardes qui déchaînaient sur eux les tirs de leurs blasters.

Les mains gantées du Mandalorien lâchèrent le boîtier.

Pendant un instant très court, elle crut triompher. Elle-rassembla ses forces pour donner une ruade et s’écarter de lui.

Il lança sa main gauche qui se referma sur la gorge de la Sith, tandis que la droite redressait le canon d’assaut et lui tirait en plein ventre.

À bout portant, le choc correspondait à celui qu’on pourrait éprouver en étant percuté par un vaisseau en plein vol. Si elle n’avait eu le bouclier de Force en place, tout son torse aurait été pulvérisé instantanément. Dans les circonstances présentes, elle fut rejetée loin de sa poigne et laissée étendue, à demi assommée pour un temps, sur le toit.

Stryver rattrapa le boîtier d’une main ferme et s’éloigna rapidement dans les airs.

Ax le suivit d’un regard vague. Elle était trop ébranlée pour éprouver autre chose que de la curiosité. Où allait-il ? Son jetpack ne contenait plus assez de carburant pour le mener très loin. Tassaa allait mettre sa tête à prix dans l’heure, et avec une récompense assez alléchante pour avoir l’assurance qu’il ne quitte jamais Hutta.

Puis une forme noire élancée apparut dans son champ de vision. Un vaisseau. Elle reconnut les plis anguleux d’un engin de reconnaissance de Kuat, mais elle ne put déterminer le modèle. Il descendit bas pour intercepter Stryver, puis s’éleva très rapidement dans le rugissement de ses moteurs.

Sa proie lui avait échappé.

Elle n’éprouvait rien.

Une forme vague vint bloquer sa vision du ciel. Elle fit un effort pour mieux distinguer ce que c’était. Un garde nikto. Une botte s’enfonça dans ses côtes, comme pour vérifier qu’elle était encore vivante. Un autre Nikto rejoignit le premier, puis un troisième. Elle les contemplait comme du fond d’un puits sombre.

Je te tuerai, Dao Stryver, ou je mourrai en essayant de le faire.

Sa fureur renaquit en elle, comme l’étincelle vitale elle-même. Elle avait laissé échapper le calculateur de navigation, mais ce n’était pas obligatoirement la fin du monde. Elle trouverait un autre moyen de satisfaire Dark Chratis et le Conseil Noir – ainsi que sa propre personne. Ce n’était pas tellement Stryver et le calculateur, d’ailleurs. Plutôt à quoi ils menaient. Cette mystérieuse planète qui regorgeait de minerais rares. Ces gens qui avaient fui la justice de l’Empire. Sa mère.

Tout cela ne pouvait se terminer ainsi.

Elle ne le permettrait pas.

En un clin d’œil, elle fut de nouveau sur pied. La dizaine de gardes sur le toit convergeant vers elle ne seraient pas un problème.

La première étape fut pour elle d’échafauder un nouveau plan. Le vol du calculateur de navigation et la découverte de ses secrets n’étaient manifestement plus d’actualité. Stryver avait le boîtier, et elle n’imaginait même pas qu’il accepte de partager ces informations avec quiconque.

Il devait exister un autre moyen. À elle de le trouver.

Le palais était en plein chaos quand elle se fraya un chemin jusqu’à l’endroit où s’était déroulée la bataille ; avec les droïdes – les « hex », comme elle avait entendu, quelqu’un les surnommer. Il était logique de revenir sur ; les lieux puisqu’il n’y avait que là qu’elle avait des chances, d’en apprendre un peu plus sur leurs origines. Pourtant, elle ne savait pas trop ce qu’elle espérait découvrir. Le contrebandier n’avait peut-être pas révélé tout ce qu’il savait ! aux Hutts. Éventuellement, elle pouvait le torturer pour lui extirper ces informations.

Alors qu’elle parcourait le dédale de couloirs sillonnant le palais, elle passa devant un groupe de Gamorréens qui portaient le Jedi inconscient au-dessus de leurs têtes. Elle eut un petit sourire narquois mais ne ralentit pas. Il était plaisant de voir quelqu’un encore plus mal en point qu’elle.

Quand elle arriva aux ruines du sas de sécurité, elle le trouva fermé et défendu par une petite armée de gardes avec des canons laser. Le trou dans le mur était abrité derrière une série de boucliers à particules portables. Entrer là ne serait pas aussi facile qu’en sortir, et elle n’avait aucune intention de gravir à nouveau une avalanche interminable de débris. Elle pouvait toujours combattre, bien sûr, mais la fatigue commençait à se faire ressentir. Dans de meilleures circonstances, elle n’aurait jamais laissé Stryver la battre comme il l’avait fait.

Il lui faudrait privilégier la ruse, plutôt que la force.

Elle se retira dans un coin calme pour réfléchir et passa en revue tout ce qu’elle savait sur les hex. C’était peu de chose. Ils étaient entêtés. Mais que savait-elle au juste de ce qu’ils avaient dans la tête ? Ils refusaient de reconnaître toute autorité autre que celle de leur concepteur. Ils tuaient impunément toutes les autres personnes. Pouvait-elle dire nuire chose de certain à leur sujet ?

Elle se remémora la manière dont ils avaient poussé le Twi’lek à leur ouvrir une issue dans le mur à coups de c ; inon. Le stratagème prouvait qu’ils étaient ingénieux et pleins de ressources, des qualités qui manquaient à beaucoup de droïdes, mais pas à tous. Ce n’était pas une caractéristique unique.

Quelque chose la titillait, une pensée qui cherchait à se manifester à elle pour qu’elle l’étudié.

La fuite.

Les hex avaient essayé de prendre la fuite.

Prendre la fuite pour aller où ?

À l’endroit de leurs origines.

Mais comment savaient-ils où se trouvait cet endroit ?

La réponse à cette question lui vint à l’esprit subitement, limpide comme le cristal.

Le calculateur de navigation n’est pas la seule carte.

Ax continuait d’avancer. Elle contourna les ruines liisqu’à repérer le chemin que les deux droïdes en fuite avaient pris. Personne ne s’interposa jusqu’à ce qu’elle nlteigne la première carcasse. La zone était isolée par les ( iamorréens, et elle les évita. Elle put cependant se rendre compte que le Jedi avait massacré cet hex et répandu ses viscères en un tas argent et rouge. Le deuxième, elle l’espérait, serait en meilleur état. Lui aussi était entouré de gardes. Entre eux, elle aperçut le corps intact et emmailloté dans un filet, comme un animal sauvage.

Parfait, songea-t-elle en activant son sabre laser.

 

Quand elle eut le corps de l’hex attaché à son épaule, il ne lui resta plus qu’à quitter les lieux. Ce qu’elle fit sans incident. Puis elle traversa le palais tout aussi aisément, jusqu’à la navette impériale. La sécurité du palais avait été renforcée pour empêcher tout départ. Une initiative vouée ! à l’échec.

Deux gardes impériaux armés se tenaient en faction près du sas intérieur. Ils la saluèrent quand elle entra.

— Des problèmes ? demanda-t-elle.

— Un type est venu fureter autour du vaisseau mandalorien avant que celui-ci décolle, dit l’un.

— Et un pouilleux de non-humain a tenté de s’introduire ici, ajouta l’autre. Nous l’avons fait déguerpir.

— Très bien.

Elle gravit la rampe jusqu’au cockpit où le pilote attendait à son poste. Il remarqua son allure lasse et ses vêtements abîmés et salis, mais ne se permit aucun commentaire.

— Nous partons, déclara-t-elle. Avertissez Dark Chratis de notre arrivée imminente. Je veux un spécialiste des droïdes sur place dès qué nous nous poserons.

— Oui, madame. Et pour l’émissaire ?

— Il n’est plus avec nous.

Le pilote acquiesça, l’air incertain. Bien évidemment, il comparait son ordre de mission avec les directives qu’il venait de recevoir. Mais un Sith était toujours hiérarchiquement au-dessus d’un officier, fût-il supérieur. C’était la seule conclusion à laquelle il pouvait arriver.

Pendant la phase de préchauffage des répulseurs, Ax emporta l’hex mort dans le compartiment sécurisé qui avait été aménagé spécialement pour recevoir le calculateur de navigation. Ce chargement n’était pas moins précieux. Le point positif, avec un droïde, était que même définitivement hors d’état sa mémoire mettait un certain temps à s’effacer, Avec l’expertise idoine, on pourrait extraire des données stockées dans cette carcasse la localisation exacte du monde mystérieux, et la réussite de sa mission serait alors assurée.

Une douce chaleur l’envahit, en partie due au soulagement, mais aussi à la fierté et à la fatigue. Elle avait hâte de se reposer. Mais elle devait encore faire une chose.

La navette s’élevait doucement quand elle retourna dans le cockpit. Elle observa le spatioport et le petit groupe de vaisseaux qui y étaient stationnés.

— Lequel est celui de l’émissaire de la République ?

— Celui-là, dit le pilote en désignant un appareil massif, au nez épais, posé sur quatre supports largement écartés.

— Détruisez-le.

— Oui. madame.

Le canon de la navette tira et toucha l’arrière du vaisseau. Celui-ci se transforma aussitôt en une boule de feu si aveuglante qu’elle en éclipsait le soleil.

Avec un sourire de satisfaction, Ax regarda le toit du palais disparaître au loin. Avec un peu de chance, c’était la dernière vision qu’elle aurait jamais de la planète Hutta.