30
Avec un sentiment d’effroi croissant, Ula regardait le point de rendez-vous se rapprocher. Il se trouvait dans la pire des situations qu’il pouvait imaginer : il ne pouvait pas s’opposer aux désirs de la République parce qu’immédiatement Satele Shan aurait fait prévaloir son autorité, et il ne pouvait pas révéler sa véritable identité à ses vrais maîtres sans détruire sa couverture. Pendant un moment un peu fou, il envisagea de se livrer au bon vouloir des Mandaloriens, mais le bon sens lui revint aussitôt, heureusement. Stryver ne montrait aucune pitié. Le mieux qu’Ula aurait pu espérer de lui, c’était l’esclavage.
Mais il était toujours vivant, se dit-il, et il conservait des chances de le rester s’il traversait ce champ de mines avec la plus extrême prudence.
Le nez de l’Auriga Fire pointait sur la navette impériale dans son approche de l’unique satellite de Sebaddon. La lune était une chose difforme et massive, plus semblable à une brique qu’à une sphère, avec une abondance de cratères et de ravins sans fond qui enlaidissaient un peu plus sa surface. Rien d’étonnant à ce que Stryver y soit resté dissimulé aussi longtemps. Elle ne semblait pas piégée ou minée, ce qui constituait une erreur majeure pour une administration coloniale si soucieuse de ne pas être dérangée. Ula se demanda s’ils n’y avaient tout simplement pas pensé ou s’ils avaient estimé, de façon erronée mais compréhensible, que jamais ils seraient repérés aussi loin du disque de la galaxie.
Le First Blood, le vaisseau de reconnaissance de Stryver, se posa à la surface de la lune quand les deux autres vaisseaux approchèrent. Il avait la forme d’un croissant de lune, avec des ailes pointant en avant chargées d’armes et une coque mate qui ne renvoyait aucun reflet. Elle ne portait aucun marquage, seulement deux cercles luisants indiquant des sas prêts. Jet lança la procédure pour un arrimage avec tube étanche pour relier les deux vaisseaux, et il manœuvra afin de se poser à tribord. Le pilote de l’Empire prit en compte ses intentions et se déplaça pour se poser à bâbord. Avec Larin et Hetchkee, Ula surveillait la navette de près et guettait tout indice suspect. La façon dont les Impériaux avaient détruit illégalement la navette de la République sur Hutta le heurtait toujours. Il espérait mieux.
— Qui se dévoue ? demanda Larin sur le circuit com interne.
— Shigar et moi, répondit Maître Satele. Et l’émissaire Vii.
Ula eut un peu de mal à avaler sa salive.
— Je crains de ne pas être pas d’un très grand secours, commença-t-il à dire, mais Larin l’interrompit aussitôt :
— Il vous faudra un garde du corps. Juste pour les apparences.
— D’accord.
— Et prenez Clunker avec vous aussi, dit Jet. Je verrai à travers ses yeux.
— Vous et Hetchkee pourrez piloter le vaisseau à vous deux, s’il le faut ?
— S’il le faut, répondit le contrebandier. Avec une bonne motivation, je pourrais piloter un croiseur lourd tout seul.
— Parfait. Gardez en place le tube de raccordement, mais fermez l’accès au vaisseau dès que nous l’aurons quitté. Et vous partirez à mon signal, que nous soyons à bord ou pas.
— Ne vous en faites pas pour ça, lui répondit Jet. Je mettrai les bouts si je vous vois seulement vous agiter un peu trop.
Ula chercha à se changer les idées en s’intéressant à la télémesure pendant que le cargo se posait en douceur sur la lune. Sebaddon n’avait plus lancé de missiles. La zone la plus chaude de la planète avait vu sa température augmenter dramatiquement par les tirs impériaux de représailles, et l’activité s’accentuait également dans d’autres régions. Il lui semblait que les habitants se regroupaient afin de riposter, mais c’était difficile à dire depuis une telle distance. Tous les drones espions lancés par la flottille de la République avaient été interceptés en passant dans le halo orbital d’hex et détruits.
Peut-être trouverait-il un moyen de glisser un message à son alter ego impérial, dit-il. L’espoir était faible, mais il méritait qu’on s’y accroche.
Dans une série de chocs sourds, les grappins automatiques équipant le ventre du vaisseau s’arrimèrent solidement au sol de la planète. Le gémissement des répulseurs décrut et s’éteignit. Jet lâcha les manettes et se laissa aller contre le dossier de son siège. Malgré toutes ses fanfaronnades, il paraissait épuisé, ou du moins assez secoué. Ses cheveux prématurément gris étaient dressés d’un côté de son crâne et des cernes soulignaient ses yeux.
— Je garde la boutique jusqu’à votre retour, leur dit-il. Ne faites rien que je n’aimerais pas faire.
Ula se leva, avec l’espoir insensé que le Grand Maître allait changer d’avis. Il n’eut pas cette chance. Elle se dirigeait déjà vers l’échelle, Shigar sur ses talons, tel un chien fidèle. Ula fit signe à Clunker de passer devant lui.
— Bonne chance, lui dit Jet.
— Vous ne l’avez pas souhaitée aux autres.
— J’ai pensé qu’ils n’en auraient pas besoin.
— Merci pour le vote de confiance.
Le contrebandier fit la grimace.
— Allons, tout ira bien pour vous ! Et souvenez-vous : vous avez un avantage sur les autres.
— Lequel ?
— La capacité de voir les deux côtés à la fois.
Ula ne savait pas quoi répondre à cela, pas plus qu’aux autres nombreux sous-entendus lâchés par Jet montrant que celui-ci connaissait sa qualité d’informateur. Ula n’avait jamais eu le courage de lui poser la question directement, pas même pendant les longues heures qu’ils avaient passées ensemble à attendre que Shiger réussisse son expérience psychométrique. Que Jet ait ou non deviné, Ula préférait que la chose ne soit jamais dite à haute voix. Sa vie dépendait de faux-semblants. Sans ceux-ci, il ignorait ce qui lui resterait.
C’est pourquoi il se limita à un hochement de tête qui signifiait tout et rien avant de rejoindre les autres devant le sas. Il ne voyait pas comment quelqu’un dans sa situation était avantagé. Lui avait l’impression d’être tiraillé dans douze directions différentes en même temps. Et s’il ne se montrait pas très prudent, il risquait fort de finir en morceaux.
Ax parcourut la courte distance du tube étanche en contenant sa fureur. Elle brûlait d’envie de retourner à son intercepteur, au lieu de perdre son temps une fois de plus avec des Mandaloriens et des émissaires. C’était aussi pénible que d’être renvoyée sur Hutta, mis à part que cette fois elle n’avait aucun avantage clair à espérer. Tout ce qu’elle voyait, c’était ce qu’elle aurait pu faire en ce moment même – protéger la flotte des hex, à tout le moins, peut-être même préparer une force d’assaut pour effacer définitivement Stryver du paysage. Elle détestait l’idée de venir à lui quand il le décidait, comme si elle n’était qu’une de ses domestiques.
— Tu parleras en mon nom à ce Mandalorien qui se mêle de tout, lui avait dit Dark Chratis.
— Mais, Maître…
— Ai-je besoin de t expliquer une fois de plus ce qu’est ton devoir ? C’est servir l’Empereur en me servant, moi, son instrument. Quand tu me défies, tu le défies.
Et c’était là tout le problème, bien sûr. Elle l’avait défié, en effet, quand elle avait ignoré ses ordres pendant l’attaque des hex sur Hutta. Elle était maintenant punie pour ce manquement, tandis qu’il attendait confortablement dans la chambre secrète de sa navette. Que sa désobéissance ait été utile à la flotte impériale n’avait aucune espèce d’importance. Elle devait oublier toute idée d’acte constructif jusqu’à ce que Dark Chratis change d’avis.
— Je suis là, déclara-t-elle quand elle atteignit l’extérieur du sas du First Blood, et sa main caressa la poignée de son sabre laser. Ne me faites pas attendre, Stryver.
Dans un chuintement, la porte s’ouvrit. Une escorte symbolique de trois soldats en tenue d’apparat noire et grise la suivit à l’intérieur. Elle ne regarda pas en arrière pour s’assurer de leur présence. Dans un geste de défi assumé, autant envers Stryver qu’envers son Maître, elle n’avait pas quitté sa tenue de combat. Celle-ci sentait l’huile et la fumée, exactement comme le vaisseau du Mandalorien. Ses cheveux tombaient lourdement entre ses épaules.
L’intérieur du First Blood était simple, fonctionnel, mais étonnamment spacieux. Ses parois étaient parcourues de nervures et non tapissées de panneaux lisses. Parfois, il n’y avait pas de séparation nette entre les coursives et les soutes. Ici et là, câbles et composants électroniques étaient visibles, sans doute dans un effort pour limiter le poids de l’ensemble. Elle songea également que tout ce qu’il y avait de précieux ou de secret à bord était soigneusement rangé à l’abri de tout regard indiscret, alors elle ne prit pas la peine de mémoriser ce qu’elle découvrait. Elle marcha sans ralentir en direction des voix qui s’élevaient au cœur du vaisseau.
— … comprendre pourquoi vous avez besoin de nous tous en même temps. Vous pouvez nous le dire maintenant ?
Ax connaissait cette voix. Elle l’avait entendue sur Hutta, Elle appartenait à une presque-humaine qui avait combattu du côté de la République, même s’il était clair que cette femme ne faisait pas partie des forces régulières. Pourquoi était-elle là ?
— Je n’aime pas me répéter, dit une autre voix connue, celle de Dao Stryuver, rendue plus grave par son vocodeur, Ax contourna un épais faisceau vertical de câbles qui servait de pilier et entra dans la cabine principale. C’était une pièce circulaire au sol et au plafond d’un blanc lumineux avec un holoprojecteur en son centre. Stryver se trouvait sur la gauche de la Sith quand elle arriva, et son casque frôlait presque le plafond, pourtant assez haut. À gauche du Mandalorien se tenait un groupe disparate d’individus, dont plusieurs qu’elle connaissait : l’émissaire de la République, un droïde qu’elle avait vu traîner près du sas de sécurité de Tassaa Bareesh et le Padawan. Auprès de lui, une femme qu’elle n’avait jamais rencontrée mais qu’elle identifll instantanément.
Ax fit halte sur le seul de la pièce, et un sifflement bai de méfiance lui échappa inconsciemment. L’air empestait la vertu pleine de suffisance de l’ennemi, particulièrement concentrée autour de la femme frêle portant la tenue d’un Chevalier Jedi. Et pas n’importe quel Chevalier Jedi. C’était le Grand Maître du Haut Conseil en personne ! De frustration, Dark Chratis aurait grincé des dents s’il avait SU qu’il ratait une rencontre avec l’ennemie la plus détestée de l’Empereur. Abattre cette femme apporterait à Ax un renom et des avantages considérables parmi les Sith appréciés du Conseil Noir.
Elle obligea sa main à quitter la poignée de son sabre laser. Malgré toute son ambition, elle savait qu’elle ne pourrait jamais l’emporter seule sur le Maître et son Padawan. Elle frapperait donc avec des mots, et non avec sa lame.
— L’Ordre Jedi doit être bien affaibli pour que le Grand Maître et un jeunot accourent sur l’ordre d’un Mandalorien, ironisa-t-elle d’entrée.
Shigar se raidit sous l’insulte.
— Pas si faible que ça puisque je t’ai sauvé la vie au moins une fois sur Hutta.
Elle sentit une chaleur subite envahir sa nuque.
— Tu fais erreur, dit-elle.
— Vraiment ? La prochaine fois, je m’en abstiendrai.
— Il suffit, dit le Grand Maître, et le Padawan se tut immédiatement. Nous sommes tous là à présent, Stryver. Venons-en au fait.
— Je ne prends pas d’ordres de vous, Grand Maître, déclara le Mandalorien. Cependant, vous avez raison. Je vous ai tous rassemblés pour vous montrer quelque chose.
L’holoprojecteur entre eux s’anima dans un scintillement. Ax reconnut le globe de Sebaddon avec ses petits lacs pareils à des gemmes disséminés parmi les zones grandes comme des continents que gonflait la chaleur. Le magma luisait d’un éclat orangé et formait un réseau de lignes qui sur d’autres mondes auraient pu être des fleuves. Aux intersections de ces lignes, des cercles bleus indiquaient des colonies ou des centres industriels. Ax localisa celui que Dark Chratis avait fait bombarder quand le Paramount avait été attaqué, ainsi que plusieurs autres. Certains dont elle gardait le souvenir n’étaient pas représentés.
— C’est l’aspect qu’avait Sebaddon quand je suis arrivé, six heures standard avant vous, déclara Stryver. Et voici l’aspect de la planète à votre arrivée.
Les différences sautaient aux yeux : nombre de détails manquants dans la première vue venaient d’apparaître.
— Voilà à quoi elle ressemble maintenant.
Ax n’avait pas besoin d’examiner la vision holographique, elle savait déjà.
— Où voulez-vous en venir ?
— Ils travaillent vite, dit le Padawan. C’est ce que Jet a souligné quand nous sommes arrivés. D’après lui, la colonisation a débuté il y a une vingtaine d’années, tout au plus.
— Pas plus de quinze, rectifia Ax qui se rappelait quand Lema Xandret avait fait défection.
— En réalité, c’est beaucoup plus récent que ça, dit Stryver qui posa ses énormes mains gantées sur les bords de l’holoprojecteur et se pencha sur l’image. Étudiez cette succession de représentations avec attention et vous verrez que les colonies se sont développées de cinq pour cent depuis mon arrivée. En partant de ce taux, un simple calcul nous donne une date de création pour la première colonie qui remonte à seulement trois semaines.
— Impossible, dit la Sith.
— À peu près à la date où le Cinzia a été intercepté, lâcha Ula.
— Et alors ? C’est toujours impossible.
— Vraiment ? fit Stryver. Lema Xandret a choisi cette colonie en partie pour l’abondance de ses ressources naturelles. Avec une armée de travailleurs motivés et lei moyens d’en créer d’autres, pourquoi n’aurait-elle pas accompli tout ce qu’elle désirait ?
— Si la colonie pouvait se développer aussi rapidement, pourquoi est-elle toujours aussi réduite ?
— C’est une question intéressante, Eldon Ax. Vous devriez connaître votre mère mieux que quiconque. Qu’en pensez-vous ?
Au lieu de rougir, Ax sentit son visage se durcir.
— Parlez clairement, ou je m’en vais.
Stryver tapota ensemble ses deux index, une seule fois, et pour la première fois Ax remarqua qu’il n’avait que quatre doigts à chaque main.
Ce n’est donc pas tout à fait un homme, songea-t-elle ! Mais qui s’en soucie ?
— Je vous ai tous bien observés pendant que vous vous échiniez à multiplier les occasions de vous faire tuer, dit-il. C’est l’avantage qu’il y a à se trouver le premier sur le champ de bataille. Au lieu de tester moi-même les défenses de Sebaddon, je suis resté tranquillement en retrait et je vous ai regardé faire. L’expérience a confirmé mes observations préliminaires. Les habitants de Sebaddon ne souhaitent même pas ouvrir leurs frontières à des étrangers – en particulier l’Empire – et ils sont capables de se défendre si on les provoque.
— Ils ont profité de l’effet de surprise, dit Ax. La chose ne se reproduira pas.
— Si vous attendez trop longtemps, la surprise ne sera pas le seul paramètre dont vous devrez vous inquiéter.
— Que voulez-vous dire ? demanda Satele Shan.
— Combien de temps vous faudra-t-il pour acheminer des renforts jusqu’ici ? Vous ne pouvez pas joindre le reste de vos forces, il faudra donc qu’un messager fasse le voyage. Ensuite, une flotte devra être constituée. Plus elle sera importante, plus elle demandera de temps. Et à chaque heure qui passe, Sebaddon transforme ses précieux métaux en droïdes tueurs. Aujourd’hui, plus de trente vaisseaux ont été perdus. Combien de temps avant que cinquante vaisseaux ne soient plus suffisants ? Cent ? Mille ?
— Aucune planète isolée ne pourrait résister à la machine de guerre de l’Empire, s’insurgea Ax.
— Je serais de cet avis si la machine de guerre de l’Empire était disponible. Mais elle est actuellement dispersée dans toute la galaxie, ce qui la rend vulnérable, et l’on peut dire la même chose des forces de la République. De plus, nous savons tous que l’Empire comme la République n’enverrait pas de renforts si nous le demandions. Ils estimeraient que nos inquiétudes sont très exagérées. Ils sont plus intéressés à se combattre mutuellement qu’à neutraliser cette menace isolée.
— Est-ce réellement une menace ? demanda Shigar. Xandret refuse de nous parler, mais au moins elle a cessé de lancer ses missiles dès que nous nous sommes écartés de sa planète. Pourquoi ne pas lui accorder ce qu’elle demande, en la laissant tranquille, tout simplement ?
— Vous pensez vraiment que c’est encore possible ? dit la presque-humaine.
— Et pourquoi pas ? répliqua le Jedi.
Il se tourna vers Satele Shan dans l’espoir qu’elle le soutiendrait, mais elle n’en fit rien.
— Tu es naïf, dit Ax. Ce monde a une trop grande valeur. L’Empereur l’aura, ou personne ne l’aura.
— Et votre mère doit servir d’exemple, ajouta Stryver, pour éviter que la puissance des Sith ne soit entamée.
— Arrêtez de l’appeler ma mère. Lema Xandret est une criminelle et une fugitive. Il est impossible qu’elle échappe à un juste châtiment.
— Vous l’abattriez, si vous le pouviez ?
— Oui, et c’est ce que je vais faire. Elle n’est rien pour moi.
— Bien. J’ai cru que je pourrais la raisonner. J’ai cru que je parviendrais à un accord qui permettrait de la garder sous contrôle, avec ses créations. À présent, j’ai peur qu’il soit trop tard pour quelque négociation que ce soit. On ne peut plus la raisonner, ni conclure un accord avec elle.
— Elle est devenue folle ? demanda le soldat à la droite de Shigar. Si c’est le cas, il existe d’autres options. Nous pourrions la supprimer et négocier avec quelqu’un d’autre, par exemple.
— Ce plan n’a qu’un petit défaut, mais il est rédhibitoire.
— Lequel ? demanda l’émissaire de la République.
— Lema Xandret est déjà morte. Depuis quelque temps.
Quelque chose se brisa en Ax à ces mots, la laissant incapable de dire si elle éprouvait un sentiment de triomphe, du chagrin, ou les deux.
— Je pense qu’il est temps que vous nous disiez tout ce que vous savez, déclara Maître Satele.
— Je suis aussi de cet avis, dit Larin. Et tout d’abord, depuis quand les Mandaloriens négocient avec qui que ce soit ?
Ula se souvint alors de ce que Jet lui avait dit sur ces Mandaloriens qui se croyaient sans égal.
— Vous étiez la personne que les émissaires de Xandret espéraient rencontrer, dit-il. Et vous êtes venus les chercher quand ils ne se sont pas présentés à vous.
La tête casquée du géant s’inclina vers lui.
— Exact.
— Xandret elle-même était-elle supposée se trouver à bord du Cinzia demanda Shigar. Est-ce pourquoi vous pensez qu’elle est morte ?
— Non. Elle a envoyé quelqu’un d’autre. Je pense qu’elle était ici quand elle est morte.
— Donc vous n’en avez pas la certitude ? remarqua la Sith.
Son visage semblait un peu plus pâle.
— J’en ai la certitude.
— C’est vous qui l’avez tuée ? Vous avez vu son corps ?
— Non.
— Alors comment pouvez-vous être aussi catégorique ?
Stryver tapota son casque d’un doigt ganté. Ula ne pouvait évidemment pas voir l’expression du Mandalorien, mais il aurait parié qu’il souriait.
— Elle n’est rien pour moi, répéta la jeune Sith d’un ton ferme, comme si elle voulait se conforter par cette affirmation. Je veux simplement être sûre.
— Vous pouvez être sûre d’une chose, Eldon Ax : quand ces droïdes que votre mère a créés quitteront cette planète, ils détruiront la galaxie entière en moins d’une génération.
Ula fronça les sourcils. Cette affirmation était absurde, mais si Stryver la croyait vraie cela expliquait un autre aspect énigmatique de cette histoire.
— C’est pour cette raison que vous souhaitiez lui parler, dit-il. Lema Xandret était une menace, ou une alliée possible – exactement comme l’Empire.
— Une force avec laquelle il fallait potentiellement compter, dit Maître Satele. Une force que nous avons sous-estimée, c’est évident. Mais vous ne l’auriez pas crue sur parole. Vous devez avoir reçu une preuve.
— Une usine de démonstration, répondit Stryver. En deux jours, elle a créé dix-sept droïdes et deux répliques d’elle-même en n’utilisant que les matériaux disponibles dans son environnement immédiat. Les répliques de la première usine se sont mises au travail immédiatement, et elles ont produit quatre usines et encore plus de droïdes. Leur vitesse de reproduction n’était limitée que par l’énergie dont elles pouvaient disposer. Plus tard, nous avons découvert comment elles développaient des racines pour puiser dans les réserves plus éloignées afin de ne jamais être à court de matières premières. Par curiosité, nous ,avons mis des droïdes dans la fosse de combat, et ils l’ont toujours emporté, hormis contre le champion actuel. Ensuite, droïdes et usines se sont auto-détruits, ne laissant que des restes insuffisants pour que nous puissions y découvrir les secrets de leur conception et de leur fonctionnement. Le message était clair. Le Mandalore m’a envoyé continuer la conversation.
— Pourquoi n’avoir envoyé que vous ? demanda Larin. Seul, vous ne nous êtes pas d’une grande utilité.
— Je suis en mesure de confirmer plusieurs hypothèses que vous avez peut-être élaborées. Nous gagnerons du temps et vous pourrez agir plus vite. (Il leva une main et commença à compter sur ses doigts en les repliant un à un.) Un, Lema Xandret et ses camarades réfugiés sont arrivés sur Sebaddon déterminés à se débarrasser de la structure hiérarchique qu’ils avaient laissée derrière eux. Quinze ans plus tard, se cacher ne suffisait plus : Xandret brûlait de se venger de ceux qui lui avaient pris sa fille. Elle s’est donc adressée au Mandalore pour lui demander de l’aider. Elle l’a approché parce ma culture fuit la Force. Après tout, c’est ainsi que tout a commencé, avec ces cultes religieux militarisés qui transforment les enfants en monstres.
Ula n’osa pas regarder la jeune Sith. Il ne savait pas avec précision comment les Sith formaient leurs recrues, mais l’accusation de Stryver lui paraissait assez plausible. Il se demandait si ses « maîtres » Jedi appliquaient un système similaire.
— Deux, poursuivit le Mandalorien, pendant l’exil qu’elle s’est elle-même imposé, Xandret a fait évoluer la robotique dans des directions que personne n’avait encore explorées. Elle a trouvé son inspiration et ses matériaux dans la biologie humaine elle-même, et avec ses aides elle a cherché à concevoir des droïdes qui ne vieilliraient pas, ne deviendraient pas rigides, ou bornés, pour que leur petite colonie puisse vivre à jamais. Les défis techniques étaient "immenses, bien sûr, mais ils ont accompli des progrès dans des domaines inattendus. Les droïdes que vous avez vus sont des prototypes perfectionnés appelés « reproducteurs rapides ». Avec suffisamment de métal et d’énergie brute, ils se développent à partir d’une graine pour arriver à une version de combat complète en l’espace de quelques jours. Le nid sur Hutta aurait pu produire des dizaines de ces droïdes tueurs si on l’avait laissé faire, et la chose est vraie aussi pour les nids présents sur Sebaddon. Les zones de chaleur intense que vous avez observées à la surface de la planète, celles qui ressemblent à des cités, sont en réalité des usines de fabrication de droïdes. Elles produisent des reproducteurs rapides par milliers, maintenant que les défenses de ce monde ont été déclenchées. Et pas seulement des reproducteurs rapides : de nouvelles usines aussi. C’est là qu’est la vraie menace. C’était l’arme que Lema Xandret comptait utiliser contre l’Empire.
Trois, si elle n’est pas contrôlée, la technologie de reproduction débordera fatalement de son monde d’origine et se répandra dans la galaxie. La progression géométrique du phénomène est incontournable : un monde cette année, deux l’année prochaine, puis quatre, et huit… En dix ans, on arrive à deux cent cinquante planètes ; dix ans plus tard, on franchit le cap du quart de million. Une génération humaine, c’est tout le temps qu’il faudrait pour qu’ils envahissent l’intégralité de la galaxie, en anéantissant au passage Sith. Jedi et Mandaloriens.
Quatie, la négociation n’est plus une option envisageable. Xandret a instillé tous ses préjugés dans ses droïdes. Vous avez entendu leur voix. Vous savez ce qui les pousse à agir. La seule solution est l’anéantissement total de Sebaddon. Nous devons agir de manière décisive, impitoyable et totale afin de nous assurer que l’héritage de Lema Xandret sera complètement éradiqué de l’univers. Qu’un seul nid subsiste, et il suffira pour que tout recommence.
Stryver avait replié tous les doigts de sa main droite en un poing impressionnant.
— Vous avez terminé ? demanda la Sith.
— J’aurai terminé quand cette menace sera neutralisée.
Le poing du Mandalorien s’abattit sur le côté de l’holoprojecteur.
La sphère qu’était Sebaddon se mit à tournoyer follement. Des lumières rouges brillantes apparurent et s’étalèrent très vite à sa surface. Bientôt toute la planète rougeoyait, et des chapelets de petits points s’en échappèrent pour se perdre dans les profondeurs invisibles de l’espace.
— Vous avez dit « nous », fit Satele Shan, alors que Ula tressaillit au son de sa voix. « Nous devons agir de manière décisive, impitoyable… » Je suppose que l’emploi de ce pluriel était intentionnel.
— Il l’était. Tout ce que j’ai vu sur Hutta et Sebaddon confirme mes pires craintes. Sebaddon réagit à la menace que vous représentez tous en démultipliant sa production. Elle doit être stoppée avant que la contagion se répande. Puisque ni l’Empire ni la République ne peuvent détruire cette menace avec les ressources disponibles actuellement, vous devez travailler ensemble pour arriver à ce résultat.
— Avec vous aux commandes, j’imagine, glissa Larin.
— La fin justifie les moyens.
— Je ne prendrai jamais mes ordres d’un Mandalorien, lança la Sith d’un ton mordant. Et je ne combattrai jamais aux côtés d’un Jedi. Vous êtes fou de seulement le suggérer.
— Il doit exister une alternative, dit Maître Satele. Une autre tentative de négociation, peut-être…
— Le système de défense de la planète est automatisé, rétorqua Stryver. Les seules voix provenant de Sebaddon sont générées par les reproducteurs rapides. C’est ainsi que je sais que Lema Xandret est morte. Ils sont tous morts là-bas. Il n’y a plus que les droïdes maintenant et l’on ne peut pas négocier avec eux.
— Bah, et nous ne pouvons pas avoir confiance les uns dans les autres, souligna Shigar. Belle solution que la vôtre, x en vérité.
— Si je pouvais faire autrement, je le ferais. Croyez-moi.
Le Padawan et la Sith s’affrontèrent du regard par-delà l’hologramme, et soudain Ula sut exactement ce qu’il devait faire. Une fois de plus, Jet avait eu raison. Ula pouvait voir les deux côtés en même temps et il saurait sauver sa peau.
— C’est vous qui commandez la flotte impériale ? demanda-t-il à la Sith.
Il connaissait déjà la réponse. Jamais l’Empereur n’aurait confié une telle responsabilité à quelqu’un d’aussi jeune, quels que soient ses pouvoirs. Mais il se devait de poser la question pour sauver les apparences.
— Non, reconnut-elle.
— Alors, quelle que soit cette personne, je veux lui parler face à face, dit-il. Je crois que je peux amener l’Empire s’asseoir à la table.
— Vous ? Mon Maître vous éventrerait rien que pour voir ce qu’il y a à l’intérieur d’un ver de terre comme vous.
La gorge d’Ula se serra. Son Maître. Il avait espéré un commandant non-Sith, mais il devrait s’arranger de ce qui se présentait.
— Emmenez-moi sur votre vaisseau amiral et laissez-moi essayer. Si j’échoue, d’après ce qui vient d’être dit, je serai de toute façon condamné.
— Votre mort est plus proche que vous le pensez. Mon Maître est à bord de la navette.
— Eh bien, c’est encore mieux. Nous en finirons plus vite.
— Émissaire Vii, dit Satele Shan, soyez très prudent. Vous devez être absolument sûr de vous.
Il se redressa de toute sa taille et gonfla la poitrine.
— Je le suis. Si l’Empire accepte la suggestion de Stryver, ferez-vous de même ?
Le Grand Maître ne montra pas la moindre hésitation.
— Bien sûr. Nous ne sommes pas en guerre, après tout, et la menace est sérieuse.
— Bien.
Ula se tourna vers la Sith. Elle serrait les lèvres de rage, comme si elle ne pouvait croire à son audace.
— Ce n’est pas un piège. Je viens avec vous maintenant si vous voulez bien m’accompagner. S’il vous plaît.
— Vous seulement, dit-elle après un moment. Personne d’autre.
— C’est hors de question, intervint Larin.
— Non, lui répondit-il, bien que sa réaction lui fasse chaud au cœur. J’y vais seul. Si je ne peux pas les convaincre avec des mots, quelles différences feront un ou deux fusils ?
À contrecœur, elle fit marche arrière.
— Soyez très prudent alors. Nous voulons vous revoir en un seul morceau.
— Pas en plusieurs ? railla la Sith qui s’était maintenant déridée, peut-être parce qu’elle était impatiente de voir comment son Maître allait s’amuser avec ce fanfaron. Je ne garantis rien.
Ula aurait aimé savoir s’il avait l’air aussi faible qu’il le pensait. Et si elle le tuerait dès qu’ils seraient passés de l’autre côté du sas, avant même qu’il ait eu l’occasion de parler ? Ce serait la pire des ironies…
— Je suis prêt, dit-il d’une voix qu’il espérait ferme. Ne faisons pas attendre votre Maître.
— Tout à fait d’accord, répondit la Sith.
— Si nous n’avons pas de vos nouvelles dans les trente minutes, nous en déduirons que vous êtes mort, lâcha Stryver.
Ula contourna l’holoprojecteur et laissa les gardes impériaux le saisir par les épaules et l’entraîner jusqu’à la porte. Il ne pouvait plus reculer maintenant. Les regards de ses anciens alliés de la République le suivirent alors qu’il s’éloignait pour tous les trahir.
Dès que le sas se referma derrière eux, l’émissaire chétif commença à se débattre. Ax marchait à grands pas, l’esprit occupé à imaginer une manière d’atténuer les conséquences inévitables de son échec. Elle ignorait ce à quoi Dark Chratis s’était attendu, mais il lui imputerait certainement ce résultat. Le fait qu’elle ait du mal à réfléchir n’arrangeait rien.
— Écoutez-moi ! s’écria Ula derrière elle. Il faut que vous m’écoutiez !
Elle ne ralentit pas. Elle l’entendait à peine. Lema Xandret est morte, avait dit Stryver. Ils sont tous morts là-bas. Elle ne savait pas pourquoi cette annonce avait fait une différence, mais il semblait que ce soit le cas. Sa famille, sa mère – qu’était-il advenu de son père ? Elle n’avait jamais posé la question. Mort aussi, peut-être, depuis des années, quand elle n’était encore qu’une enfant. À moins qu’il soit devenu un Seigneur Sith qui ne pouvait s’abaisser à être associé à une simple femme. Peut-être, se dit-elle, peut-être…
Impossible. Elle s’en voulut de l’avoir seulement envisagé. Dark Chratis n’avait rien d’un père pour elle, et cela ne changerait jamais. D’ailleurs, elle n’avait pas besoin de père, tout comme elle n’avait pas besoin de famille. Si Stryver avait raison et que tous les fugitifs étaient bien morts, cela simplifiait les choses pour elle, voilà tout. Elle n’aurait pas à gaspiller son énergie pour les retrouver et les massacrer au nom de l’Empereur.
— Je vous en prie, j’essaie de vous dire que je ne suis pas qui vous croyez ! Nous sommes dans le même camp ! Nous avons toujours été dans le même camp !
Les couinements de l’émissaire finirent par pénétrer sa conscience. Alors qu’elle allait entrer dans la navette, elle fit halte, se retourna et frappa d’une main.
L’émissaire échappa à la poigne des gardes et alla percuter la paroi du sas.
— Ne pensez même pas à me mentir, dit-elle.
— Je ne vous mens pas, balbutia l’émissaire qui était devenu livide mais qui réussit à ne pas flancher quand elle s’approcha. Je suis un agent de l’Empire.
Elle activa son sabre laser et en plaça la lame en travers de sa gorge. Tout en elle disait son mépris.
— Vous ne ressemblez pas à un agent secret impérial. Vous n’êtes même pas totalement humain.
— C’est vrai, je ne suis pas agent secret, seulement informateur. Et je suis loyal à l’Empire, en dépit de mes origines. Complètement loyal, je le jure.
Ax ne bougea pas. Elle savait que beaucoup d’officiers de haut rang de la République préféraient parfois s’entourer de collaborateurs non-humains dans l’idée que cela les protégeait des tentatives d’espionnage. Si cet émissaire avait réellement été retourné, il serait très apprécié du Ministre du Renseignement.
— J’ai essayé de monter à bord de votre navette sur Hutta, fit valoir Ula. Mais vos gardes m’en ont empêché.
Ce détail au moins était véridique, et il la fit hésiter. Ax n’arrivait pas à croire qu’elle l’écoutait, et plus encore qu’elle réfléchissait à son histoire. Mais la témérité du petit homme confronté à une mort certaine était assez convaincante. Elle ne pouvait qu’admirer son cran, tout en se promettant de le découper en morceaux si elle découvrait qu’il essayait de la manipuler. Elle devait envisager la possibilité qu’il soit un agent double envoyé par Satele Shan pour les fourvoyer, son Maître et elle-même…
Ax eut un sourire froid. Dark Chratis saurait. Si l’émissaire disait vrai, il représenterait un atout pour elle. Dans le cas contraire, il servirait de défouloir à son Maître.
— De quelle espèce êtes-vous ?
— É… Épicanthix.
— Jamais entendu parler.
— Nous venons de Panatha, dans le secteur Pacanth…
— Peu m’importe. Si vous voulez revoir votre planète, alors vous allez répéter à mon Maître tout ce que vous venez de me dire, et le convaincre que c’est vrai.
— Qui est votre Maître ?
— Dark Chratis. Ce nom te dit quelque chose ?
L’émissaire était devenu encore plus pâle.
— Bien. Je vois que tu apprécies la gravité de ta situation.
Elle désactiva son arme. Les gardes empoignèrent Ula et l’entraînèrent derrière la Sith, dans la navette où le Maître attendait.
Dark Chratis se trouvait dans la cabine passager, un endroit assez spacieux mais dépourvu de confort. Il était en armure et seul son visage demeurait visible, tordu sur un rictus permanent. Il s’appuyait lourdement sur le long manche de son sabre laser.
En voyant entrer l’émissaire, il s’assombrit un peu plus.
— Explique.
Ax s’exécuta en commençant par les prédictions sinistres de Dao Stryver et en enchaînant rapidement sur la possibilité d’une coopération. Terrorisé par l’apparence redoutable de Dark Chratis, le prisonnier restait muet. C’était aussi bien : s’il s’était permis d’interrompre la Sith, il aurait pu être tué sur-le-champ.
— Et Satele Shan s’est laissé tromper par les manœuvres de ce Mandalorien ?
Aussi fins que de vieilles cicatrices, les sourcils du Maître s’élevèrent sur son front.
— Il semble, répondit-elle. Elle a envoyé son émissaire négocier en son nom.
Le regard de Dark Chratis s’appesantit sur le petit émissaire, qui se mit à trembler bien malgré lui.
— Parle.
— Je m’appelle Ula Vii, bégaya-t-il. Je fais directement mes rapports à Veilleur 3 de la décision des opérations au ministère du Renseignement. Je suis votre serviteur, mon Seigneur, et un agent loyal à l’Empire.
— Un espion ? Quelle malchance pour le Grand Maître, dit Dark Chratis, et son visage se fendit sur un large sourire malveillant. Dis-moi, espion, comment tu te proposes de la trahir.
Pendant qu’il était maîtrisé par les gardes, l’émissaire avait visiblement réfléchi à ce qu’il allait dire, car il se dégagea et parla sans hésiter :
— La République et l’Empire partagent les mêmes objectifs initiaux. La destruction du système de défense orbitale de Sebaddon doit précéder toute invasion ou tout bombardement massif, le but étant la neutralisation de l’autorité centrale de la planète, car il y en a forcément une, qu’elle soit artificielle ou humaine. Ensemble, je pense que nous pouvons atteindre ce résultat. Mais une fois que la planète n’aura plus de cerveau pour réfléchir ni de dents pour mordre, le besoin d’une alliance cessera. Je suggère donc que nous nous retournions immédiatement contre les Jedi et Dao Stryver pour prendre ce qui nous revient de droit. Sebaddon tombera enfin dans le giron de l’Empereur. J’userai de désinformation à chaque occasion et je ferai en sorte que le Grand Maître n’ait jamais l’opportunité de faire de même envers vous.
— Que demandes-tu en retour ?
L’émissaire parut surpris par la question.
— Moi ? Rien, mon Seigneur. Je ne fais que mon devoir.
— Il doit bien y avoir quelque chose qui est important pour toi en dehors de ton devoir. Demande, et je te l’accorderai.
— Eh bien, il y a une personne que je vous demanderai d’épargner après votre inévitable victoire.
— Dis-moi qui.
— Elle n’est personne, pas même un soldat. Elle s’appelle Larin Moxla.
— Tu connais cette femme, Ax ? demanda Dark Chratis.
— Je crois que oui, Maître.
— Bien.
Le sourire du Seigneur Sith disparut. L’émissaire fut violemment arraché du sol et demeura suspendu dans l’air. Il lutta contre cette emprise invisible, mais il ne pouvait lui résister. Ax avait déjà fait l’expérience de l’étreinte de son Maître quand il utilisait la Force. Elle la savait capable de vous broyer.
— Écoute-moi, espion.
L’émissaire hocha frénétiquement la tête. Il était trop terrifié pour parler.
— Je n’arrive pas à lire en toi. Ton esprit m’est masqué par un artifice ou par un talent naturel. Je soupçonne plutôt la deuxième explication. Le Ministre du Renseignement recherche les individus de ton espèce parce qu’ils sont capables de dissimuler leurs secrets à l’ennemi, mais aussi à leurs maîtres. C’est pourquoi, quand je regarde en toi, je ne vois aucune loyauté envers l’Empereur. Je ne sens que des allégeances mêlées, sans rien de clair. Si j’avais le choix, jamais je ne t’accorderais ma confiance.
Pourtant, toi et tes semblables devenez une nécessité, certes méprisable, mais une nécessité quand même en des temps tels que celui-ci. Je dois trouver un moyen de dompter ton goût naturel pour la trahison. À cet effet…
L’émissaire Vii fut attiré brutalement en avant, jusqu’à se trouver presque nez à nez avec Dark Chratis.
— À cet effet, je veux que tu aies une certitude absolue : si tu me trahis, je chasserai la dame de ton cœur non-humain et je lui ferai subir des tourments tels que tu seras reconnaissant quand enfin je déciderai de lui ôter la vie. Et ensuite, ce sera ton tour. Est-ce clair ?
— Oui, mon Seigneur. Très clair.
L’émissaire s’écroula sur le sol avec un bruit sourd.
— Très bien, dit Dark Chratis. Ax, ôte-le de ma vue. Tu vas retourner auprès de Satele Shan avec l’accord qu’il lui a promis d’obtenir, et tu l’accompagneras en tant que porte-parole officielle.
— Mais, Maître…
— Silence ! Je ne peux pas le laisser retourner parmi eux sans surveillance. D’ailleurs, ils ne croiraient jamais que je leur fais confiance si je ne prenais pas ce genre de précaution. Tu surveilleras le Grand Maître et tu surveilleras l’espion aussi. Au plus petit signe de trahison, tu me préviendras, et ma vengeance s’abattra sur eux.
Elle baissa la tête. Une autre impasse. Et probablement une mission suicide, qui plus est.
— Je ferai comme vous avez dit.
— Je sens ton impatience, Ax. Souviens-toi que nos récompenses seront immenses quand la victoire nous sera acquise. Une fois le Grand Maître mort et ce monde en notre possession, ton apprentissage prendra fin. Mais pas avant. Va, à présent, et respecte ma volonté.
— Oui, Maître.
Elle s’inclina avec la certitude qu’il détectait la brûlure de l’excitation dans son esprit. Être libérée de lui, enfin, devenir une Sith à part entière – c’était ce qu’elle avait toujours voulu ! Et elle le méritait, elle le savait. Elle n’avait pas passé plus de dix ans en esclavage pour rien.
Lema Xandret est morte.
Ax supprima le moindre indice d’un regret quand elle tourna les talons et sortit de la navette en entraînant derrière elle l’informateur tremblant.