CHAPITRE XXXV
Le rire sinistre du capitaine Joak Drysso résonna dans la salle de briefing du Lusankya.
L’officier se souvenait avec une précision holographique du moment où l’Exécuteur était tombé sur l’Étoile Noire durant la bataille d’Endor. À ce moment, il avait su que tout était perdu.
Le Virulent avait aussitôt quitté le champ de bataille.
J’ai toujours su que j’aurais une nouvelle chance d’écraser les Rebelles.
Antilles et ses hommes n’étaient pas des parias de la Nouvelle République, Drysso en était certain. Leur mission était d’occuper Isard jusqu’à l’arrivée de forces plus importantes, ce qu’Antilles avait fait de manière remarquable.
S’il n’avait pas harcelé Isard, celle-ci aurait créé une Alliance Impériale, rassemblant les seigneurs de guerre pour détruire la Nouvelle République. Cette Alliance-là aurait été une réussite, Drysso l’aurait parié. Et Isard l’aurait dirigée parce qu’elle possédait ce que tout le monde désirait : le bacta.
Mais Cœur de Glace n’était pas parfaite, car elle pensait comme un politicien, pas comme un guerrier. Elle prenait un tel plaisir à se montrer subtile que quand elle se décidait à prendre un marteau, elle se montrait maladroite. Envoyer Convarion détruire Halanit, par exemple, était, de l’avis de Drysso, une absurdité. Une navette d’assaut et une escadrille de Tie auraient suffi à raser la colonie. L’attaque n’avait rien accompli – à part indigner Antilles et le rendre plus dangereux encore.
Drysso aurait procédé autrement. Il aurait frappé, oui, mais en prenant Corellia pour cible afin de mettre le Diktat à genoux, ajoutant les chantiers navals de Corellia à son empire. Il aurait alors pu construire plus de vaisseaux…
Drysso aurait ensuite envahi Kuat, puis Sluis Van.
Une fois ces trois sites sous contrôle, il aurait été facile d’étrangler la Nouvelle République. Sans vaisseaux ni chantiers, on ne peut rien faire.
Drysso avait pourtant choisi de rester fidèle à Isard. Malgré ses défauts, elle avait de bonnes chances de restaurer l’Empire. La perte de Coruscant n’était pas une catastrophe… tandis que le contrôle du cartel du bacta la rendait très puissante.
Mais tout son pouvoir est symbolisé par ce superdestroyer. Elle peut projeter sa force sur d’autres mondes, punir ses ennemis grâce à lui seul.
À présent, ce pouvoir est dans mes mains…
Un comlink bipa au revers de la veste de l’officier.
— Drysso.
— Capitaine, réintégration dans cinq minutes.
— J’arrive.
Drysso se dirigea vers l’ascenseur, se composant une expression sévère. Une fois sur la passerelle, il se dirigea vers la promenade du capitaine.
— Lieutenant Rosion, au rapport.
Le chef navigateur leva les yeux.
— Nous tenons nos délais, monsieur. La station pirate orbite autour de Yag’Dhul. Nous arrivons sur le seul vecteur évitant la planète, les trois lunes et le soleil du système.
— Très bien. Enseigne Yesti, quand nous réintégrerons l’espace normal, informez le capitaine Varrscha de descendre à vingt kilomètres de la cible. Le Virulent ne devra pas tirer sans mon ordre.
— Compris, capitaine.
Drysso se tourna devant la baie principale. Le tunnel de lumière où fonçait le vaisseau s’effaça, remplacé par une nuée d’étoiles. Le soleil étincelait, presque éblouissant, éclairant Yag’Dhul et ses trois lunes. La station spatiale n’était qu’un petit point insignifiant devant la silhouette grise de la planète.
— Capitaine, des chasseurs se déploient autour de la station.
— Très bien. Que le colonel Arl lance ses Tie pour former l’écran défensif. Avez-vous repéré le croiseur d’Alderaan ?
L’aide de camp secoua la tête.
— Négatif. L’espace est vide dans un rayon de cent kilomètres… Le Virulent n’a rien trouvé non plus.
— Poussez la détection à deux cents kilomètres, lieutenant Waroen, et continuez de chercher le croiseur. Engagement prévu pour…
— … Dix minutes avant contact.
— Chargez les boucliers au maximum.
— Oui, monsieur.
Drysso se frotta le menton en regardant la station grossir. Le déploiement des chasseurs ne le surprenait pas. C’était la seule réaction possible… Mais les ailes X auraient du mal à traverser l’écran défensif des Tie, et il leur serait impossible de garder la cohésion nécessaire pour lancer une volée de torpilles à protons. Ces torpilles représentaient un danger potentiel pour le vaisseau, mais uniquement en grande quantité. Il en fallait bien plus que ne pouvaient en transporter trois douzaines de chasseurs.
— Capitaine, ils passent en hyperdrive.
— Laissez-moi deviner. Vers Thyferra ?
— Oui, monsieur, répondit l’officier, surpris. Exactement.
— Parfait. Ils arriveront épuisés et sans carburant, après douze heures passées dans leurs minuscules cockpits. Les Thyferriens s’en occuperont. Notre travail est ici.
— Capitaine, nous recevons un message de la station.
— Passez-le, dit Drysso en désignant une console d’holoprojection. (Une image se forma, celle d’un homme solide ayant un œil artificiel.) Ici le capitaine Joak Drysso du Lusankya… On dirait que vos chasseurs vous ont abandonné.
— Je les ai envoyés s’amuser avec des jouets de leur taille. Je m’appelle Booster Terrik, et ceci est ma station. Votre rythme d’approche vous amène à cinq minutes de votre distance favorite d’attaque… Je vous en donne quatre avant de vous détruire.
— Un discours téméraire, Terrik. Votre station a une demi-douzaine de canons laser, dix batteries de turbolasers… et des boucliers à peine dignes de ce nom.
— Nous avons procédé à quelques modifications, comme vous le constaterez, dit l’image de Terrik.
Drysso sentit le Lusankya trembler sous ses pieds. Il fit signe à Yesti de couper la communication.
— Que s’est-il passé ?
— Ils viennent d’activer un puits de gravité qui projette un cône d’énergie dans notre direction. Mais il est incapable de nous endommager. Le tremblement a été causé par nos générateurs de gravité ; il n’y a aucun dégât.
Drysso fronça les sourcils. Tant qu’ils seraient dans le cône, le projecteur les empêcherait de repasser dans l’hyperespace.
— Lieutenant Rosion, calculez des trajectoires hyper-spatiales.
— Ce sera difficile, monsieur. Nous sommes limités par le cône, la densité de Yag’Dhul et les lunes. La seule possibilité est de nous éloigner du plan de l’écliptique jusqu’à ce que nous échappions aux contraintes actuelles. Pour retourner sur Thyferra, il faudra d’abord nous dégager et effectuer un vol jusqu’aux limites du système.
Drysso fronça les sourcils.
Il se passe quelque chose…
— Lieutenant Waroen, lancez une détection le long de nos vecteurs d’entrée et de sortie.
— Oui, monsieur. (L’aide de camp pâlit.) Il y a une petite force de frappe aux limites du système… constituée de chasseurs, de cargos et peut-être d’un vaisseau plus important.
— Une embuscade ?
— Je l’ignore… Non, attendez. Monsieur, les vaisseaux se dirigent vers Thyferra.
Drysso hocha la tête puis se tourna vers la baie principale. Il avait correctement prévu la stratégie d’Antilles : celui-ci avait bien choisi d’envoyer une partie de ses forces vers Thyferra. Le fait que les cargos soient aux limites du système prouvait que les pirates craignaient une attaque.
Même avec les cargos et le croiseur, ils ne pourront rien faire là-bas. Après le voyage, leurs pilotes seront épuisés. Je rentrerai dès que la station sera détruite, et j’anéantirai ceux que les Thyferriens n’auront pas éliminés.
Le puits de gravité leur fera gagner un peu de temps, mais pas assez.
— Yesti, passez-moi la station. Lieutenant Rosion, amenez-nous à portée et maintenez-nous en position.
— Bien compris, capitaine. Machines, stop.
Le visage de Terrik apparut à nouveau sur la passerelle du Lusankya.
— Vous venez de vous arrêter, capitaine Drysso. Allons-nous enfin parler de reddition ?
— En effet. Discutons de la vôtre.
Le sourire de Terrick s’évanouit.
— Vous ne me prenez pas au sérieux… Pourtant, croyez-moi, nous sortirons vainqueurs de cet affrontement. (Terrick fit un signe et un nouveau tremblement parcourut le Lusankya.) Nous venons de brancher la totalité de nos rayons tracteurs ; ils sont tous dirigés sur vous. Avant d’essayer de vous dégager, relisez la garantie du navire…
— Rosion, machines arrière. Libérez-nous.
— Impossible, monsieur. La barre ne répond pas. Les rayons sont très puissants…
Drysso se tourna vers Terrick.
— Vous ne me donnez pas le choix.
— Bien. Les termes de la reddition sont…
— Non, imbécile. Je n’ai que celui de votre destruction. Toutes les batteries sur la station. Tirez à mon commandement !
— Par le crâne de l’Empereur !
Drysso se retourna vers le lieutenant, mais celui-ci fixait l’écran.
— Que se passe-t-il, Waroen ?
— Monsieur, des systèmes lanceurs de torpilles à protons et de missiles sont verrouillés sur nous…
— Combien ?
— Beaucoup, monsieur, plus de trois cents. Nous sommes perdus.
Drysso se retourna vers la baie et imagina la bordée de torpilles et de missiles s’écraser contre son bouclier avant. Sous la brutalité du choc, il s’effondrerait aussitôt ; les missiles continueraient leur chemin vers la coque.
Et ce ne sera que la première volée. Les suivantes consumeront le Lusankya.
Antilles avait prévu l’attaque ; il avait tendu un piège incroyable pour détruire le superdestroyer. Même si je tire et si j’élimine certains lanceurs et certains rayons tracteurs, le vaisseau finira quand même à la casse…
Alors le Virulent apparut devant eux, cachant la station.
Devant les yeux de Drysso, il commença à rétrécir.
Quand le capitaine vit les étoiles apparaître, il comprit. Nous nous éloignons de la station, les moteurs sont toujours en poussée inversée. Le Virulent a coupé le rayon tracteur et nous a libérés en s’interposant entre la station et nous.
Drysso sourit et essuya la sueur qui perlait sur ses tempes.
Nous nous sommes libérés du piège d’Antilles. Il a failli nous détruire, mais il a échoué.
À nous de tendre notre embuscade.
Le capitaine du Lusankya se retourna vers ses officiers.
— Rosion, calculez une trajectoire vers Thyferra, aussi vite que possible. Yesti, transmettez nos remerciements au Virulent. Dites à ces hommes que leur sacrifice ne sera pas oublié. Il nous permettra de détruire Wedge Antilles et d’assurer la renaissance de l’Empire.
— Nous n’allons pas les aider, monsieur ? demanda Waroen, incrédule.
— Ils accomplissent leur devoir, lieutenant. Nous allons faire le nôtre.