CHAPITRE VII
— Je vois, dit Corran. Tu tiens de ta mère.
Mirax hésitait entre l’étonnement et l’hilarité, et Gavin ne put retenir un sourire.
Corran n’avait qu’une envie : disparaître.
Pouvais-tu trouver une idée plus stupide ?
Une douzaine d’hypothèses lui passèrent par la tête avant que Booster Terrik se tourne vers lui.
— Mirax, qui est-ce ? demanda-t-il d’une voix inquiétante. Dois-je lui montrer pourquoi les autres ont peur de moi ?
Le regard de la jeune femme se durcit.
— Père, je te présente Corran Horn.
— Horn ? répéta Booster. Le gamin de Hal Horn ?
Corran fronça les sourcils.
— En effet.
Booster serra les poings.
— Aucune raison, donc, de ne pas lui donner la volée que je dois à son père. Si ça ne te dérange pas, Huff…
L’oncle de Gavin secoua la tête.
— Je préférerais que ça se passe dehors… Sinon, faites comme vous le sentez.
Mirax se plaça aux côtés de Corran.
— Tu te trompes, père, déclara-t-elle d’un ton glacial. Il y a une raison de ne pas le frapper…
Booster fronça les sourcils.
— Je connais ce ton. Tu refuses que je lui mette la pâtée. Tu voudrais même que je l’apprécie, mais je vois mal pourquoi…
— Fais un effort.
— Très bien. (Booster fixa sa fille.) Pourquoi devrais-je aimer le fils de l’homme qui m’a envoyé sur Kessel ?
— Parce que je l’aime.
— Quoi ?
Mirax glissa sa main dans celle de Corran.
— Tu as entendu. Corran m’a sauvé la vie, j’ai sauvé la sienne et nous nous apprécions… beaucoup. Mon chéri, tu m’aides quand tu veux, souffla-t-elle au jeune pilote.
— Pourquoi ? Tu te débrouilles très bien.
Booster s’empourpra.
— Non… Pas ça ! Pas une de mes filles avec ce… avec un… Si ta mère n’était pas morte, ça la tuerait ! Et toi ! ajouta-t-il en fusillant Corran du regard. Ton père serait mortifié ; ton grand-père s’arracherait les cheveux… Un Horn, tenant compagnie à ma fille ! C’est impensable.
— Parce que tu n’utilises qu’un dixième de ton cerveau atrophié ! cracha Mirax. Réveille-toi, papa ! L’Empereur est mort. C’est une nouvelle galaxie !
Booster secoua la tête, puis regarda Huff.
— L’Empereur meurt et la double hélice de l’ordre naturel tourne à l’envers. Quelle est la prochaine étape ? On va ouvrir des stations balnéaires sur Tatooine !
Huff hocha la tête.
— J’ai déjà sélectionné quelques sites…
— Ça ne m’étonne pas de toi, grogna Booster avant de se retourner vers sa fille. Un Horn ! Le fils de Hal Horn ! Pour tout l’or de la galaxie, je n’aurais pas voulu ça !
— Tes désirs et les miens sont différents depuis longtemps. (Mirax lâcha la main de Corran et avança pour embrasser son père.) Cela ne diminue en rien le plaisir que j’ai de te revoir.
Booster l’étreignit à son tour. Le père et la fille chuchotèrent un moment ; quand ils se retournèrent, ils souriaient.
Booster garda le bras autour des épaules de Mirax.
— J’ai été navré d’apprendre la mort de Hal, dit-il à Corran. Entre nous, ce n’était pas le grand amour, mais je respectais sa ténacité.
— Et mon père admirait votre ingéniosité, répondit Corran. Huff dit que vous êtes venu acheter des armes… Pourtant Mirax affirme que vous avez pris votre retraite et que vous ne vous occupez plus que d’antiquités.
— Vous seriez surpris par la cote des artefacts impériaux.
— Il y a beaucoup de collectionneurs d’armes par ici ?
— Les Rebelles ont rendu la révolution si populaire que tout le monde s’y met.
— Et vous fournissez les belligérants ?
— Je ne suis qu’un intermédiaire.
Huff se frotta les mains.
— Nous pouvons donc commencer les enchères.
— Pas d’enchères, dit Corran en secouant la tête. Il nous faut ces armes.
Booster le regarda, surpris.
— Il vous les faut ? Tu n’es pas sur Corellia, Horn. Tu n’as aucune autorité ici.
Mirax lâcha le bras de son père.
— Ce n’est pas Corran qui a besoin de ce matériel. C’est Wedge.
— Parfait, dit Huff. Faites venir Antilles et nous ouvrirons les enchères…
— Wedge ? répéta Booster en regardant Mirax. Huff, donne-leur ces armes.
L’oncle de Gavin haussa les épaules.
— Pas de problème, répondit-il. Si tu n’es plus dans la course… (Il se tourna vers Corran et cessa de sourire.) Mon matériel vous coûtera deux millions de crédits, quatre si vous me demandez de faire confiance à la Nouvelle République.
Booster posa un bras sur l’épaule de Huff.
— Je t’ai dit de leur donner.
— C’est ce que je fais.
— Non, tu négocies.
Huff le regarda, abasourdi.
— Tu voudrais que je leur offre… ? Gratuitement ?
Booster acquiesça.
— Dans le cas contraire, je crois que certaines transactions qu’on pourrait qualifier de « palpatinistes » pourraient resurgir de ta comptabilité.
— C’est du chantage…
— Non, un marché. Tu désires mon silence, et je veux que Wedge obtienne ces armes. La situation est faite pour s’arranger.
Mirax s’interposa entre Huff Darklighter et son père.
— Chantage ou marché, qu’importe : nous ne sommes pas d’accord. En emportant ces armes sans compensation, nous ne vaudrions pas mieux que les Impériaux. Mais en payant le prix fort, nous serions aussi bêtes qu’eux… Nous ne ferons ni l’un ni l’autre : concluons un marché honnête. (La jeune femme désigna Huff.) Vous allez faire un inventaire complet du matériel et vous nous laisserez l’inspecter. Mon père estimera les articles. Nous les paierons un peu au-dessous du prix du marché : je suis certaine que le frère de Biggs Darklighter refusera de faire un bénéfice sur le dos des camarades de son fils… Voyez le bon côté des choses : vous allez réaliser des actifs difficiles à vendre sur Tatooine. Nous paierons la moitié de la somme tout de suite, la moitié à la livraison.
Huff secoua la tête, furieux.
— Vous paierez quinze pour cent au-dessus du prix courant…
Mirax leva la main.
— Stop ! Nous avons dit que nous serions honnêtes, pas que nous négocierions… Ou alors, reparlons du petit chantage de mon père et discutons de la façon dont vous allez payer le transport des marchandises… dont nous vous débarrasserons.
— Savez-vous ce que vous demandez ?
— De l’honnêteté, répondit la jeune femme en souriant.
— Admets-le, oncle Huff, dit Gavin en souriant, tu vas accepter ses conditions parce que tu n’obtiendras rien de mieux.
Huff garda le silence un moment.
— D’accord, soupira-t-il enfin. Écoutez-moi bien, jeune dame. Si vous cherchez un jour un emploi stable, venez me voir. Je saurai utiliser vos talents.
Huff Darklighter invita tout le groupe chez lui. Les chambres de sa résidence étaient bien plus luxueuses que celles de l’hôtel de Mos Eisley, et l’ambiance se réchauffa quand la famille de Gavin arriva.
Corran apprécia tout de suite les parents de son ami. Le père, Jula, ressemblait à Huff, mais le travail de la ferme l’avait endurci. Les deux frères s’appréciaient, même si Huff se moquait parfois de son cadet. Jula semblait résigné et ne s’offusquait pas.
Corran secoua la tête.
Si mon frère me traitait de cette façon, ma belle-sœur deviendrait veuve très vite.
La mère de Gavin, Silya, aurait pu être la sœur jumelle de Lana Darklighter. Bien évidemment, elle était morte d’inquiétude pour son fils.
Corran pensa à sa mère et à son expression quand il avait obtenu son diplôme à l’Académie de la CorSec. La fierté et la peur, les rêves et les cauchemars se disputaient le cœur maternel…
Dans les dîners, Gavin était une star, ses jeunes cousins étant pendus à ses lèvres. Corran remarqua un détail : malgré le brio avec lequel son ami racontait ses anecdotes, il n’avait pas évoqué le moment où il avait frôlé la mort sur Talasea.
Corran n’en fut pas surpris. Le spectre de la fin de Biggs flottait sur l’assemblée.
La comparaison entre Gavin et Biggs était elle aussi un sujet dangereux. Biggs était un héros ; sa mort sur Yavin 4 avait permis à Luke Skywalker de détruire l’Étoile Noire. Mais Gavin avait connu des situations non moins périlleuses, auxquelles il avait survécu…
Pourvu que les parents de Gavin ne pensent pas qu’il est meilleur que Biggs… Pourvu que Huff ne doute pas de la valeur de son propre enfant…
La réunion des Darklighter montra à Corran, fils unique, qu’il existait de nombreuses dynamiques familiales. Il y avait tant d’enfants qu’ils empiétaient sur le territoire de tous. Les plus jeunes considéraient chaque adulte comme un membre de la famille. Ils grimpaient sur tous les genoux, quémandant auprès de n’importe qui de l’aide ou des autorisations.
Ce chaos angoissait Corran parce que les enfants lui demandaient d’être responsable. Pourtant, aucun des Darklighter ne semblait s’inquiéter de l’attitude des gamins, pourvu qu’ils soient polis et gentils.
Mirax et son père s’isolaient souvent. Leurs conversations à voix basse, leurs rires tranquilles et leur complicité rappelaient à Corran qu’il avait aussi eu un père à qui se confier.
Hal Horn et son fils avaient une relation très profonde : ils étaient amis et presque alliés.
Pour Corran, la famille était un endroit où on pouvait demander des conseils sans avoir peur du ridicule. Son père et lui étaient souvent en désaccord, mais ce qui les unissait était plus fort que ce qui les divisait.
Malgré les efforts de tous pour l’égayer, Corran sentit le chagrin l’envahir. Il imaginait Hal Horn au milieu de ces invités, il entendait son rire, il anticipait la réaction des autres aux histoires qu’il aurait raconté.
Hal aurait été parfaitement à sa place…
Un frisson parcourut l’échine de Corran. Le bonheur qui l’entourait lui faisait mal.
Quand il était enfant, Hal Horn avait connu son véritable père, le Maître Jedi Nejaa Halcyon.
S’il ne m’en a jamais rien dit, c’était pour me protéger… Pourtant, il devait être fier. Quand j’ai parlé à mon père de mes rêves, de mes étranges envies, il m’a répondu de suivre mon instinct. Il savait qu’il s’agissait de manifestations de mon héritage Jedi.
Il souffrait sans doute de devoir rester silencieux. Il comptait peut-être me révéler la vérité plus tard, après la victoire complète des Rebelles… Mais il n’a pas vécu assez longtemps pour la voir.
Corran sortit de la pièce et gravit un des escaliers qui menait à la surface. Les deux soleils s’étaient couchés, et un vent glacial soufflait du désert.
— Je vous demande pardon, lieutenant Horn. J’espère ne pas vous déranger…
Corran se retourna. La silhouette de Jula Darklighter se découpait devant la maison.
— Vous ne me dérangez pas, monsieur. Je viens d’une petite famille. Ce genre de réunion m’impressionne un peu.
— Je viens d’une énorme famille, et je n’y suis toujours pas habitué, répondit le père de Gavin en souriant. Je voulais vous remercier de prendre soin de mon fils.
Corran sourit, mais secoua la tête.
— Gavin n’a pas besoin de moi.
— Il raconte que vous avez confiance en lui… Que vous avez dit à un autre pilote d’arrêter de le charrier… Il ne s’est pas exprimé en ces termes, mais j’ai compris…
— Ça ne m’étonne pas ; votre fils n’a pas l’habitude de dissimuler ses émotions. Je me souviens de cette histoire : je me disputais avec un autre pilote et Gavin s’est retrouvé au milieu… J’ai confiance en lui, monsieur. Je crois en Gavin et en ses compétences, mais il n’a pas besoin de protection. Vous pouvez être fier de votre fils.
Jula secoua la tête.
— Il a failli finir comme Biggs, n’est-ce pas ?
— Nous avons tous failli finir comme lui. L’Empire recule peut-être, mais il n’est pas encore vaincu. (Corran porta la main à son médaillon Jedi.) Gavin a été blessé ; il est passé très près de la fin… Mais il faut croire qu’il est trop tête de lard pour mourir ! Il progresse continuellement, il a détruit un bon nombre d’ennemis et il est courageux sans être stupide… La Rébellion tire sa force d’hommes comme lui et c’est grâce à eux qu’elle a gagné.
— Vos paroles m’emplissent de fierté, lieutenant Horn, soupira Jula. Mais elles veulent aussi dire que le pire peut toujours arriver… Enfin, vous me comprenez. Je suppose que vos parents sont très inquiets…
— Mes parents sont morts, monsieur.
— Oh… Je suis navré.
— Merci.
Jula désigna la maison.
— Ça doit pas être facile pour vous, hein ?
— Comparé à une prison impériale, c’est le bonheur, répondit Corran.
— Il n’y a rien de mal à avoir du chagrin, lieutenant Horn. Revenez. Nous ferons de notre mieux pour vous changer les idées.
Il a raison. Ma douleur est normale, mais ce n’est ni l’endroit ni le lieu…
Corran sourit.
— Merci. Je crois que je vais vous rejoindre. Après avoir combattu si longtemps les Impériaux, un accueil chaleureux est très agréable…
— Je suis heureux que vous le preniez ainsi, dit Jula. (Lui passant un bras autour des épaules, il l’attira vers la lumière.) Les Darklighter traitent leurs amis comme des membres de la famille et les membres de la famille comme leurs amis. Plus il y en a, plus ils sont contents.