CHAPITRE X

Corran vérifia une dernière fois ses instruments : aucun problème apparent. Il restait quinze secondes avant le retour dans l’espace normal.

— Accroche-toi, Whistler.

Officiellement, la mission était sans histoire. Mais Corran ne pouvait se débarrasser d’une étrange impression. Les informations reçues sur le convoi de bacta avaient été plusieurs fois vérifiées ; tout semblait en ordre. L’escadron devrait pouvoir arriver, mener son attaque et repartir avant que Cœur de Glace puisse réagir.

Peut-être l’inquiétude de Corran était-elle liée à sa culpabilité. Son père et son grand-père s’étaient battus toute leur vie pour empêcher les actes de piraterie comme celui qu’il allait commettre. Même Nejaa Halcyon avait combattu les bandits qui pillaient les convois interstellaires.

Bien sûr, il lui était facile de se justifier. Dévaliser un convoi de bacta irriterait Isard ; cela la forcerait à affecter certains de ses vaisseaux à la protection des futures livraisons. Elle allait devoir acheter de nouvelles armes, payer des équipages, se procurer des munitions au marché noir.

Bref, elle s’épuiserait un peu avant que la vraie bataille commence.

Le compte à rebours arriva au zéro, et la blancheur du tunnel d’hyperdrive se transforma en un maelstrom d’étoiles filantes. Le soleil jaune du système de Chorax apparut, prenant le quart de l’écran. Une planète solitaire orbitait autour.

Les vaisseaux du convoi de bacta arrivaient vers eux. Ils étaient encore trop loin pour que Corran ait un visuel, mais Whistler lui fournit un schéma. Les vaisseaux-citernes, longs de trois cents mètres, avaient un aspect presque insectoïde.

Corran activa l’unité de communication.

— Neuf cibles, chef Rogue. Le convoi est là, comme prévu. Aucun ennemi en vue.

— Bien reçu. Restez en position. Convoi Bacta, ici Wedge Antilles. Préparez-vous à changer de destination selon les coordonnées suivantes…

— Antilles, ici le convoi thyferrien Delta vingt-neuf. Nous ne reconnaissons pas votre autorité.

— Vous avez tort. Rogue deux, faites un passage.

— Bien reçu, chef Rogue. (La voix de Tycho irradiait la confiance.) Rogues huit, neuf et dix, avec moi. Position d’attaque.

— A vos ordres, monsieur.

Corran vira sur la gauche pour rejoindre l’aile X de Tycho. Nawara Ven, dans le chasseur huit, passa derrière lui tandis qu’Ooryl complétait la formation. Ensemble, ils filèrent vers les vaisseaux-citernes et les transporteurs qui les accompagnaient.

Ces derniers se regroupèrent, tentant de protéger les cargaisons de bacta, mais les chasseurs les évitèrent facilement.

Corran appuya sur une touche de son bloc-notes.

— Rogue sept, je ne vois que six transporteurs dans ce « bouclier »… Ils étaient huit quand nous sommes arrivés. On dirait qu’ils cachent quelque chose…

— Bien noté, Rogue neuf. Ce sont les deux plus gros qui manquent. Gardez les yeux ouverts ; ça sent l’embrouille…

Soudain, le groupe de transporteurs s’ouvrit comme une fleur ; huit chasseurs ennemis apparurent, fonçant vers l’Escadron Rogue à toute vitesse. Quatre Z-95 étaient à leur tête.

Ses boucliers à pleine puissance, Corran visa un des Z-95 et riposta. Les rayons laser traversèrent les boucliers ennemis, touchant l’endroit exact où l’aile gauche rejoignait le fuselage. Le métal se déchira, le moteur prit feu et le vaisseau partit en vrille dans l’espace.

Corran s’approcha ensuite d’un groupe constitué de deux chasseurs Tie et de deux « Affreux », des vaisseaux hybrides constitués de cockpit de Tie combinés à des nacelles de moteur d’aile Y.

Surveillant les deux Tie, il laissa Ooryl s’occuper des Affreux – c’était une de ses spécialités. L’exosquelette du Gand lui donnait peut-être l’air maladroit à terre, mais c’était un pilote hors pair. Dans l’espace, les mouvements de son vaisseau étaient fluides et délicats.

Les tirs mortels de Corran étaient surtout dus à la chance : Ooryl, lui, calculait chacune de ses frappes.

Il tire comme si l’énergie des lasers était rationnée…

Ooryl appuya deux fois sur la détente, envoyant deux boules écarlates à travers le cockpit de l’Affreux. Il n’y eut pas d’explosion, mais l’air qui s’échappait se consuma brièvement dans l’espace.

La trajectoire du vaisseau ennemi s’altéra – le choc devait avoir tué le pilote sur le coup.

Hélas pour lui, son partenaire ne s’en était pas aperçu. Il garda la formation. Ooryl n’eut qu’à tirer deux nouveaux coups ; le vaisseau, privé de ses moteurs, partit se perdre dans l’espace.

— Un autre Tie en approche, déclara Corran. Rogue Dix, à ton tour de me couvrir…

— Rogue Dix, compris.

Corran secoua la tête. Après de tels exploits, n’importe quel pilote aurait été euphorique, mais pas Ooryl. La seule manière de connaître son humeur était d’étudier la façon dont il se référait à lui-même.

Les Gands jugeaient l’utilisation d’un pronom personnel comme le comble de l’arrogance – seuls y étaient autorisés ceux qui avaient accompli des actes héroïques. Les autres devaient se contenter de toujours employer leur nom : le « je » leur était interdit.

Quand il était heureux, le pilote utilisait « Ooryl ». Quand il était triste, « Qrygg ». Et « Gand » quand il était si humilié qu’il préférait plonger dans l’anonymat.

Corran sourit.

Ooryl est aussi orgueilleux que nous ; il sait mieux gérer son ego, c’est tout…

Corran inversa la poussée de ses moteurs pour traquer les deux Tie. L’un prit la fuite ; ses manœuvres maladroites trahissaient un pilote inexpérimenté. Corran vira de bord et le fit exploser en quelques tirs rapides.

Mais le deuxième lui collait au train. Malgré une série d’acrobaties, Corran ne parvint pas à le semer.

— Rogue dix, j’en ai un aux fesses…

— Qrygg en a un aussi.

— Compris, dix. Whistler, fit Corran en fronçant les sourcils, dis-moi qui cause des problèmes à notre ami Ooryl… (Whistler émit des bips indignés.) Oui, je sais que nous avons un chasseur à nos trousses. Je m’en occupe. Contente-toi de répondre à ma question…

Le Tie ne lâchait toujours pas prise. Sur la console, Corran passa des lasers aux torpilles à protons. Puis il ralentit légèrement, permettant à son adversaire de tirer deux coups qui furent absorbés par les boucliers arrière.

Pourvu que ça marche…

Corran coupa les moteurs et tira le manche à lui. Le nez de l’aile X partit vers le haut. Le Tie commença aussitôt à virer de bord, mais Corran avait lancé sa torpille.

Le pilote fit tournoyer son Tie au dernier moment pour sortir de la trajectoire. Hélas pour lui, les détecteurs de proximité déclenchèrent l’explosion de la torpille.

Les morceaux de métal acéré traversèrent le cockpit, qui explosa en un million de débris.

Corran regarda ce qui restait du chasseur dériver dans l’espace.

Quand ma mort viendra, j’espère qu’elle sera aussi rapide.

— Ici Rogue neuf. Je m’en suis sorti.

— Ici Rogue sept. Tout le monde va bien.

Ooryl s’était débarrassé de son ennemi. Corran soupira de soulagement et regarda le convoi. Des flammes éclairaient la coque de deux des transporteurs.

— Quels sont les ordres, monsieur ?

— Wedge a convaincu les membres d’équipage d’échanger leurs cargaisons contre la liberté. Corran, tu fais équipe avec Ooryl : deux des vaisseaux-citernes sont sous ta responsabilité. Qu’ils alignent leurs ordinateurs de bord sur le tien. Une fois le chargement en sécurité, laisse repartir le personnel.

— Entendu. (Corran sourit.) Tu vois, Whistler : un premier coup porté contre Cœur de Glace. Et ce n’est qu’un début…