CHAPITRE III
Depuis son arrivée sur Thyferra, Fliry Vorru était d’humeur massacrante. Après des années passées dans les mines d’épices de Kessel, puis sous le climat sec de Coruscant, le nouveau foyer de Ysanne Isard lui paraissait à peine supportable.
Sur Thyferra, tout était vert. Vertes les forêts tropicales, verts les tons dominants des bâtiments, des vêtements, des cosmétiques. Habitué à la beauté sauvage des canyons, Vorru trouvait l’ambiance oppressante.
Puis il y avait l’humidité. On ne respire pas l’air ici, on le boit, grommela-t-il en se dirigeant vers le quartier général de la corporation Xucphra. À cause de la température, les habitants portaient des vêtements légers et transparents. Une mode qui n’avait pas que des désavantages – les femmes de Thyferra étaient grandes, minces et belles – mais Vorru devait également traiter avec des hommes, parfois poilus et ventripotents, qui auraient gagné à choisir des habits plus décents.
Ses interlocuteurs étaient pour la plupart des descendants des grandes familles de Thyferra. Ils dominaient la corporation de Xucphra et le gouvernement civil.
Vorru était obligé d’être poli.
Plus que l’humidité, plus que la chaleur, plus que le vert omniprésent, cette courtoisie obligatoire lui pesait. Sous l’Empire, les corporations Xucphra et Zaltin avaient obtenu le monopole de la production de bacta. Les moissons d’alazhi et la synthèse du kavam avaient uniquement lieu sur Thyferra et quelques-unes de ses colonies. Les deux corporations étaient devenues puissantes et avides. Leurs profits étant garantis par le monopole, les cadres n’avaient plus de raison d’évoluer, ou de se remettre en question. Des individus incompétents étaient arrivés à des postes clés par le seul jeu de l’ancienneté.
Nommé ministre du Commerce, Vorru supervisait la production et la vente de bacta. Au premier coup d’œil, il avait repéré des centaines d’absurdités. Un exemple ? Le bacta produit sur un satellite devait transiter par Thyferra avant d’être livré sur son monde de destination, même si celui-ci n’était qu’à une douzaine d’années-lumière de l’usine de départ. Tout ça pour que la société de transport, qui appartenait à Xucphra, fasse un profit supplémentaire… Un bénéfice pourtant largement entamé par la maintenance du vaisseau et les salaires de l’équipage.
Vu la nature des deux corporations, Vorru était à peine surpris de leurs innombrables bêtises. L’équipe de direction de Xucphra, composée de dix mille humains, encadrait une population ouvrière d’environ deux millions huit cent mille Vratix indigènes. Les Vratix étaient très efficaces et ils n’avaient guère besoin d’être supervisés. Aussi les dix mille humains n’avaient pas grand-chose à faire…
Pour tout arranger, Xucphra et Zaltin étaient deux mondes à part, dont les employés ne se mélangeaient pas. La rivalité était exacerbée… Selon Vorru, les problèmes de consanguinité commenceraient à se poser dans moins de deux générations. Bien sûr, le népotisme était monnaie courante, les membres de la hiérarchie n’hésitant pas à créer des emplois fictifs pour placer des cousins malheureux…
Vorru avait repéré les cas les plus évidents et ordonné le départ des privilégiés. C’est sans doute pour ça, pensa-t-il, que je suis convoqué par Cœur de Glace…
Lors du dernier coup d’État, Xucphra avait vaincu Zaltin et installé Ysanne Isard – Cœur de Glace – à la tête du gouvernement planétaire. Les membres des familles dominantes de Zaltin avaient été exilés ou tués, laissant Thyferra aux mains de Xucphra. Le pouvoir de la corporation étant total, ses membres ne voyaient pas pourquoi ils devraient se plier aux ordres d’un étranger comme Vorru.
Les gardes impériaux qui protégeaient la porte du bureau d’Isard ne firent pas un geste pour l’arrêter. Ils étaient les seuls à avoir gardé leurs uniformes… Ce qui voulait dire qu’ils rôtissaient sous leurs armures et leurs lourdes capes. Pour ajouter à leur malheur, Isard leur avait ordonné de « la jouer cool ». Les Thyferriens ayant mal réagi à la discipline impériale, Ysanne Isard avait décidé de relâcher la sécurité.
Vorru retint un soupir de soulagement en entrant dans le bureau. Là, rien de vert, et les seules plantes visibles étaient derrière d’imposantes baies vitrées. Pour la décoration intérieure, Isard avait choisi du bois blond, qui donnait à la pièce une ambiance proche des maisons de Tatooine.
Sur Coruscant, Isard portait un uniforme rouge inspiré de ceux des grands amiraux impériaux. La température de Thyferra l’avait poussée à opter pour une robe ample et légère, qui n’était – hélas – pas transparente. Dommage. Elle aurait pu se le permettre.
Comme tout le monde, Vorru connaissait la rumeur affirmant qu’Isard avait été une des maîtresses de l’Empereur. Palpatine avait dû être attiré par l’étrangeté des yeux de sa très belle subordonnée. La pupille droite d’Isard, d’un bleu glacé, contrastait avec le rouge volcanique de la gauche.
Deux fenêtres sur son âme, pensa Vorru. La nature d’Isard était paradoxale : calculatrice et glacée, elle faisait parfois des colères formidables. Jusque-là, Vorru avait évité de se faire calciner, mais il avait été brûlé plus d’une fois.
Il s’inclina.
— Vous m’avez appelé ?
— J’ai reçu des informations intéressantes du Centre Impérial, dit Isard d’une voix glaciale. Vous vous demandiez ce qu’il était advenu de Kirtan Loor…
Vorru hocha la tête. Loor appartenait aux services secrets impériaux et il avait dirigé le Front Palpatine de Libération.
Il avait disparu quelques heures avant qu’Isard fuie Coruscant, emmenant Vorru avec elle.
— Je pensais qu’il avait été fait prisonnier et torturé, dit Vorru. Ça expliquerait pourquoi tant de nos agents ont été repérés après notre départ…
— Tu avais raison : Loor est responsable de la purge, expliqua Isard. Mais c’est volontairement qu’il nous a trahis. Il a voulu jouer cavalier seul sur l’affaire du convoi de bacta…
— Celui qui a été attaqué par le seigneur de guerre Zsinj, commenta Vorru. Loor m’a dit qu’il avait repeint des ailes X pour imiter l’Escadron Rogue… Il voulait attaquer le quartier général de l’escadron, mais je l’en ai empêché. (Le ministre soupira.) Ainsi les vaisseaux détruits par Zsinj appartenaient à Loor… Incroyable.
— En effet. (Les yeux d’Isard étincelèrent.) Après le désastre, Loor a réalisé que c’était moi qui avais prévenu Zsinj de l’existence du convoi. Je pensais – avec raison – que Zsinj voudrait se venger de l’Escadron Rogue. Et il l’aurait fait si le véritable escadron n’avait pas été retardé… Bref, Loor a compris que j’avais découvert ses manigances, et il a choisi d’aller demander asile aux rebelles.
— Débarrassons-nous de lui, proposa Vorru. Boba Fett ne devrait pas avoir de difficulté à le retrouver…
— Nous n’aurons pas besoin de ses talents, dit Isard avec un sourire cruel. Un espion m’a appris l’existence d’un « témoin secret » dans le procès de Tycho Celchu. Je croyais qu’il s’agissait du général Evir Derricote, et j’ai essayé de l’empêcher d’atteindre la cour impériale…
Je t’avais demandé de poster une douzaine d’agents dans le Centre Impérial. Tu te souviens ?
— Oui, dit respectueusement Vorru, qui n’en avait envoyé que trois.
Il avait ordonné aux neuf autres d’évacuer son entrepôt de bacta.
— Il faut croire que le général n’avait rien à voir dans l’affaire, reprit Isard. Loor était leur fameux témoin secret. Derricote a été tué par Corran Horn, qui a aussi assassiné tes hommes dans le Musée Galactique, Vorru. L’agent que j’avais envoyé liquider Derricote a tiré sur Loor… Il l’a tué, et s’est fait abattre par sa propre femme, qui faisait partie de l’escorte de Loor.
— Iella Wessiri, souffla Vorru.
Il éprouva une vague tristesse. Iella Wessiri était une femme intelligente et influente, qui avait comploté avec les Rebelles pour baisser les boucliers de Coruscant. L’appartenance d’Iella à la CorSec faisait d’elle une ennemie, mais Vorru la respectait quand même.
Devoir abattre son mari a dû lui briser le cœur. Elle ne méritait pas une telle souffrance…
Isard sourit.
— Je trouve ce dernier détail délicieux. Diric m’était utile, mais ce n’était qu’un pion. Il aimait assez sa femme pour réinterpréter certains de mes ordres… Pourtant, au bout du compte, c’est à moi qu’il a obéi. Comme ça a dû faire souffrir Iella…
— Si Loor a été tué, comment l’Alliance a-t-elle pu repérer vos agents ? demanda Vorru.
— Apparemment, Loor avait une datacarte codée contenant les renseignements. Une sorte de sauf-conduit, qui devait empêcher les soldats de l’Alliance de le tuer… Mais Corran Horn en connaissait la clé.
— Loor croyait Horn mort, dit Vorru avec un petit rire ironique.
Isard soupira.
— La stupidité de Loor m’aura causé bien des soucis. Je n’ai presque plus d’espions au Centre Impérial.
Les bulletins officiels m’en apprennent plus qu’eux. Tout ça à cause de Horn…
— Je vous aurais prévenu qu’il était nuisible si je n’avais pas cru à sa mort. Comme son père et son grand-père, Corran Horn est un passionné… La situation présente le prouve.
Un éclair passa dans l’œil rouge d’Isard.
— Tu fais allusion aux démissions en masse des pilotes de l’escadron, et à leur vœu de libérer Thyferra ? déclara-t-elle avec un rire froid.
— Je suis heureux de vous voir de si bonne humeur, dit Vorru, mais nous ne devrions pas sous-estimer nos ennemis. Rappelez-vous les choix erronés de l’Empereur-
Isard le foudroya du regard.
— Ainsi c’est ton opinion ? Tu crois que je répète les erreurs commises par Palpatine ?
Vorru soutint son regard sans fléchir.
— Vous ne le voyez pas ainsi, bien sûr… Mais il est de mon devoir de bien vous conseiller. Horn, Antilles et les autres sont seuls pour l’instant. La Nouvelle République ne soutient pas leur effort, mais les choses peuvent changer. Nous contrôlons le commerce du bacta dans la galaxie : ne faisons pas payer trop cher ce privilège… Si nous abusons, nos ennemis se ligueront contre nous, et les Rogues en profiteront.
Isard continua à fixer son ministre quelques secondes avant d’acquiescer.
— Je prends note de ton avertissement.
— Méfions-nous aussi des Ashems. Ils sont peut-être minoritaires parmi les Vratix, mais ils frappent les points stratégiques de production. Ces dernières années, ils sont devenus plus précis et plus efficaces… On raconte que des membres du personnel de Zaltin les ont rejoints.
— Oui, les rebelles de la Griffe-Noire posent problème. J’ai déployé des troupes de choc pour défendre les usines.
Vorru sourit.
— Une bonne initiative : cela cantonne les terroristes dans un rôle défensif. Créer un Front de Défense Thyferrien, pour permettre aux volontaires de Xucphra de combattre les Ashems, est également une initiative brillante.
— Merci. Peu à peu, les salariés de Xucphra devraient être amenés à considérer les hommes des troupes de choc comme leurs alliés. Je vais attendre que les héros du Front de Défense Thyferrien soient en difficulté, puis j’enverrai généreusement mes soldats les sauver. Cela devrait nous gagner les cœurs les plus réticents. Erisi Dlarit pilote l’escadrille que j’ai offerte au FDT. Les indigènes la considèrent comme une héroïne, et je gagne leur estime en l’honorant…
Vorru acquiesça.
Aucun doute, Isard est forte. Elle analyse les faiblesses et les désirs des êtres et les retourne contre eux. Mais quand elle tombe sur quelqu’un qu’elle ne peut pas briser, comme Horn ou Antilles, elle se retrouve sans ressource…
— Que pensez-vous du prétendu médicament découvert par Mon Mothma pour combattre le virus Krytos ? demanda-t-il. Le « rylca » ?
Isard sourit.
— De la propagande pour calmer les masses. Et que ce traitement existe ou non n’a plus d’importance. Si Derricote avait réussi à créer le bon virus, si Loor avait retardé la prise du Centre Impérial, la Nouvelle République serait morte dans l’œuf. L’Alliance a déjà du mal à gérer les exigences de la populace… Si nous empêchons les livraisons de bacta aux mondes membres, nous détruirons le gouvernement de l’intérieur.
— Bref, nous reprenons le jeu mené au Centre Impérial… mais à plus grande échelle.
— Exactement. (Isard leva les yeux et fixa le plafond.) Mon but a toujours été de détruire la Rébellion, puis de reconstruire l’Empire. D’une certaine manière, en laissant l’Alliance s’installer dans le Centre Impérial, nous avons réussi à faire disparaître la Rébellion. Plus d’armée secrète pouvant frapper par surprise : l’Alliance a maintenant des responsabilités et des promesses à tenir. Une fois déçu, le peuple regrettera la stabilité impériale. Avec un peu d’habileté, nous n’aurons pas à reconquérir Coruscant. On nous invitera à revenir.
— Intéressante analyse. Exacte aussi, sauf sur un point…
— Qui est ?
— Antilles, Horn et les autres… Ils ont la liberté qu’avaient les Rebelles… Nous devons nous occuper d’eux, et vite.
— Ou…
— Je les ai vus détruire les défenses du Centre Impérial. (La voix de Vorru se durcit.) Si nous ne remportons pas une victoire rapide, c’est eux qui vont s’occuper de nous…