CHAPITRE XXXI

Corran titubait de fatigue. Le voyage qui le ramenait de Thyferra aurait dû durer douze heures ; avec les détours destinés à semer d’éventuels poursuivants, il en avait pris vingt-quatre. Le pilote avait réussi à dormir deux minuscules heures dans l’hyperespace, et ses yeux étaient douloureux à force de regarder les écrans.

Wedge était dans le bureau de Booster, occupé à mettre au point les dernières livraisons. Il fronça les sourcils en voyant entrer Corran.

— Tu aurais pu aller manger avant de faire ton rapport.

C’est ça, pensa Corran, et laisser Booster croire que je fais passer le confort avant le devoir…

— Je n’ai pas faim, Wedge. Les nouvelles m’ont coupé l’appétit.

— Ainsi les rapports de Thyferra ont été confirmés ?

Corran hocha la tête.

— D’après les communications que nous avons interceptées, Isard fait plus de mille prisonniers par jour. Le massacre aura lieu dans un mois.

— Elle pense avoir enfin trouvé le moyen de nous faire réagir, grogna Booster.

— Le programme que nous avons piraté était destiné uniquement à un usage interne, protesta Corran. Je doute que cette décision ait un rapport avec nous.

Booster sourit.

— Forcément. Les membres de la CorSec ne voient jamais l’évidence.

Wedge haussa les épaules.

— Les intentions d’Isard importent peu : si nous approchons de Thyferra, elle essaiera de nous piéger. Voyons si nous pouvons retourner le problème. Booster, où en sommes-nous avec le projecteur de puits de gravité ?

— Ça y est, il est arrivé à bon port. Nous sommes en train de l’installer.

— Parfait. Je crois que le moment est enfin venu… Appelle Karrde et dis-lui que nous voulons qu’il effectue sa dernière livraison dans vingt-quatre heures. Seras-tu assez en forme pour les escorter ici demain, Corran ?

Le jeune homme le regarda, étonné.

— Les escorter ici ?

Booster ricana.

— Disons plutôt… dans trente-six heures. On dirait que le gamin a besoin de sommeil.

Wedge acquiesça.

— Trente-six heures ? C’est entendu.

— Attendez… Attendez, répéta Corran. Vous voulez que j’amène les cargos ici, à la station ? Vous ne voulez pas organiser un rendez-vous, comme d’habitude ?

— Non, expliqua Wedge. Le temps presse.

— Mais Wedge… Je veux dire, commandant… Si les cargos viennent ici et qu’il y a un espion dans les services de Karrde, Cœur de Glace découvrira la base… Vingt-quatre heures plus tard, le Lusankya et le Virulent seront sur les lieux… On dirait que vous voulez inviter Isard sur la station !

Booster sourit.

— C’est le cas.

— C’est de la folie, protesta le pilote. Même en croulant sous les lance-missiles, nous ne réussirions pas à détruire deux vaisseaux de cette importance.

Wedge secoua la tête.

— Je comprends ton inquiétude, Corran, mais tu n’as pas tous les paramètres en main. Booster, Tycho et moi avons toujours pensé qu’un jour, Isard nous forcerait à l’affronter. Alors nous avons mis au point une stratégie.

— Dites-moi laquelle, ou je vais croire que la pression vous a tous rendus fous…

— Désolé, Mister CorSec, fit Booster. (Il referma son bloc-notes.) Tu vas chercher le convoi, point à la ligne. Comme ça, si Isard te capture et te torture, tu n’auras rien à raconter.

— J’ai besoin de quelqu’un de sûr pour ramener ces cargos, Corran, ajouta Wedge. Désolé, mais Booster a raison. Moins tu en sauras, moins tu pourras en révéler.

Corran sentit la lassitude l’envahir.

— D’accord. Mais es-tu sûr que ton plan va fonctionner ?

Le rire de Booster résonna dans le bureau.

— Sûr ? Comment veux-tu être sûr de l’issue d’un combat dans ces circonstances ? Les lâches parient seulement quand ils sont certains…

Corran se redressa.

— Je ne suis pas un lâche, Booster, mais je n’aime pas risquer inutilement ma vie ou celle de mes amis.

— Et tu te prétends Corellien ? (Booster eut un reniflement de mépris.) Pas étonnant que tu aies rejoint la CorSec.

Corran le foudroya du regard.

— Ce qui veut dire ?

— Tu es bouché ou quoi ? Si tu avais le moindre cran, donc si tu étais digne de ma fille, tu n’aurais pas passé ta vie au service d’une marionnette de l’Empire ! Tu as choisi la sécurité alors que les hommes vraiment courageux défiaient le gouvernement !

Avec la colère, la fatigue de Corran s’effaçait.

— Oh, vous allez me sortir le couplet du « trafiquant-résistant », c’est ça ? Booster Terrick, prenez-vous pour un héros si ça vous amuse, mais la vérité, c’est que vous passez des marchandises en fraude pour le fric ! Et quant à cette histoire d’être digne de Mirax, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’au coude !

La ténacité et le courage que vous affirmez avoir, c’est elle qui en fait preuve chaque jour. D’ailleurs, si vous aimiez vraiment votre fille, Booster, vous ne voudriez pas la voir finir dans les bras d’un bandit amoral et irresponsable de votre genre…

Le père de Mirax se leva, les poings serrés.

— Et si tu étais l’homme que tu prétends être, Corran Horn, tu n’aurais jamais abandonné ma fille sur Thyferra !

— Quoi ? (Corran fronça les sourcils, se remémorant la scène du spatioport.) Si vous voulez parler d’abandon, allons-y ! Je l’ai laissée cinq secondes… et vous cinq ans !

— Et qui m’a envoyé sur Kessel, Horn ? Ton père !

— Ça suffît ! dit Wedge, sautant sur ses pieds. Arrêtez ça tout de suite !

Corran recula d’un pas. Wedge se tourna vers le père de Mirax.

— Booster, tu vas m’écouter… et attentivement, ou c’est Mirax qui finira par te tenir ce discours. Corran Horn est un des hommes les plus intelligents et les plus courageux que je connaisse. Il s’est échappé d’une prison à côté de laquelle Kessel est un club de vacances. Il a pris des risques incroyables pour sauver des vies, et il a réussi. Sans lui, Coruscant serait encore aux mains des Impériaux, et Mirax et moi serions morts ou esclaves d’Isard.

« Quand tu es arrivé sur la station, Booster, tu m’as dit que tu aurais aimé que je protège mieux ta fille des manigances d’un type comme Corran… La vérité, c’est que j’ai été ravi de les voir tomber amoureux. Mirax a besoin de quelqu’un de stable, parce qu’elle ne sait jamais où tu es, ni ce qui t’arrive. Et la joie de vivre de Mirax a réconforté Corran, qui avait été séparé de tous ceux qu’il aimait. Ces deux-là sont faits l’un pour l’autre.

Le sourire triomphal de Corran disparut quand Wedge se tourna vers lui.

— Et toi, Horn, tu ferais bien de prendre un peu de recul. Tu vois en Booster l’ennemi de ton père, mais tu n’es pas Hal Horn. Ton combat n’est pas le sien, et tu n’es pas ici pour le remplacer. Tu devrais être assez intelligent pour comprendre que Booster ne te déteste pas à cause de ton hérédité. Il haïrait n’importe quel blanc-bec qui aurait le culot de s’intéresser à sa fille… Mirax est tout pour lui.

Corran secoua la tête.

— Elle est tout pour moi aussi.

— Eh bien, ça vous fait un point commun. Réfléchissez. Mirax vous aime tous les deux. La croyez-vous stupide ? (Wedge soupira.) Je ne vous demande pas de vous apprécier, mais de vous conduire en adultes, et d’arrêter vos prises de bec infantiles.

Corran et Booster s’affrontèrent du regard.

Il attend que je cède, pensa Corran. Eh bien, je ne lui donnerai pas ce plaisir… Si j’acceptais de faire la paix, je trahirais mon père.

Vraiment ?

Mon père n’avait rien contre Booster. Il appliquait la loi, c’est tout. C’est moi qui fais de cette histoire une affaire personnelle…

J’ai tort. Les leçons de Luke Skywalker m’auront au moins appris ça. Un Jedi ne doit jamais être motivé par la haine, ou par la vengeance.

Et mon père voulait que je sois un Jedi, même s’il n’a jamais eu l’occasion de me le dire.

Corran hésita, puis tendit la main à Booster.

— Vous n’êtes pas mon ennemi, et je ne suis pas le vôtre. Pour le bien de Mirax, et pour celui de notre mission, je ne veux plus me disputer avec vous. Ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas discuter – parfois violemment – mais je n’ai pas de raison de vous en vouloir.

Booster le regarda, ébahi. Puis il se leva et serra la main du jeune pilote.

— On dirait que je t’ai mal jugé, Corran. Mirax ne s’est peut-être pas trompée, après tout. Tu as raison, ce n’est pas la dernière discussion que nous aurons… Mais après tout, quelle importance ? Nous sommes des Corelliens. Nous adorons crier.

— Super ! s’exclama Wedge. Un problème de réglé. Vous vous souvenez de ce que les Impériaux disaient, sous Palpatine ? Deux Corelliens ensemble, c’est une conspiration. Trois, et voilà une bagarre…

— Ils se trompaient, dit Corran avec un sourire. Trois, c’est une victoire… Et il est temps que nous le prouvions à Isard.