CHAPITRE XVIII

La mission d’Iella Wessiri lui répugnait. Comment avait-elle pu accepter ?

Elle savait que l’acte était symbolique, qu’il ferait avancer la cause des Ashems…

Pourtant c’est un meurtre, ni plus, ni moins.

En proposant l’opération, Elscol avait pris soin de prononcer le mot « sanction », et non « assassinat ». La future victime était un des personnages importants de Xucphra, Aerin Dlarit.

Dlarit venait d’être nommé chef du Front de Défense Thyferrien. Il était sous les ordres du major Barst Roise, mais il ne manquait aucune occasion de parader dans son uniforme. Et il se faisait un plaisir d’assurer à tous les journalistes qui se présentaient que les Ashems n’étaient pas une menace et « qu’un avenir radieux » les attendait.

— Il fait une cible idéale, avait déclaré Elscol. En l’éliminant, nous ébranlerons la confiance de Xucphran.

Iella avait protesté.

— Dlarit n’est pas un… objectif militaire. C’est un clown.

— Nous devons frapper les esprits. Terroriser l’ennemi.

— Détruire des objectifs militaires ne suffit pas ?

— Non.

Iella avait ricané.

— Pourquoi ne pas tuer des gens au hasard, alors, ou tirer sur la foule ?

— La chose est à considérer…

— Vous n’êtes pas sérieuse ! s’était exclamée Iella. Ce serait un meurtre ! On ne peut pas tuer des innocents !

— Nul n’est innocent, avait rétorqué Elscol, les poings sur les hanches. J’ai aidé des douzaines de planètes à se libérer du joug impérial. Réveiller la population fait partie du combat. Les gens pensent que s’ils ne disent rien et s’ils ne font rien, ils ne sont pas responsables… Mais leur apathie entretient le statu quo. Ne pas s’engager, c’est prendre parti pour le pouvoir en place.

Iella avait relevé la tête.

— Par ce raisonnement, le Soleil Noir a justifié le meurtre de quantité d’individus…

— Il y a une différence entre les terroristes du Soleil Noir et nous.

— Laquelle ?

— Leurs motivations étaient mercantiles. Nous nous battons pour la liberté. Le droit de vivre comme bon nous semble…

— Et si ces gens veulent être gouvernés par l’Empire ?

— Qu’ils considèrent notre action comme un avis d’expulsion… Iella, vous êtes originaire d’un monde libre. Votre travail était de protéger les innocents contre les criminels en respectant certains principes. Mais le gouvernement vous soutenait, et votre système judiciaire appliquait la volonté du peuple…

« Je respecte votre éthique. Pourtant vous savez comme moi qu’il existe des criminels qui ne peuvent être arrêtés qu’à coups de blaster. Dlarit paraît inoffensif ? Il a aidé à mettre en place le système qui maintient les Vratix en esclavage. À cause de lui, à cause du gouvernement qu’il sert, des milliards d’individus souffrent et meurent, parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un traitement contre le virus qui ravage Coruscant. Ses mains sont couvertes du sang des victimes de la maladie… Et de celui des familles de l’équipage de l’Alazhi.

— Vous avez raison, avait admis Iella après un moment de réflexion. Pour tout arranger, sa fille espionnait l’Alliance pour le compte des Impériaux ; elle est responsable de la capture de Corran. Mais comment l’avoir ? Surtout chez lui…

— L’abattre dans sa maison donnera plus d’impact à l’événement. Nous réaliserons un holo de l’exécution et nous le diffuserons.

Iella avait senti son malaise revenir.

— Merveilleux. Et la famille de Dlarit ? Ses employés ? Que ferons-nous s’ils nous découvrent ?

— Réglons les blasters sur « anesthésie » ! avait lancé Elscol, agacée.

— Ça vous ennuie ? Vous vouliez aussi tuer ses enfants ?

— Erisi est sa fille. Les chiens ne font pas de chats.

— Mais laisser ses enfants mineurs en vie prouverait que nous sommes capables de compassion. N’est-ce pas ? (Iella avait fixé Elscol méchamment.) N’est-ce pas ?

— L’opération sera plus difficile à mener, mais elle reste possible. D’autres objections philosophiques ? avait demandé Elscol à la cantonade.

Il n’y en avait pas et elle était passée aux préparatifs. Son expérience semblait évidente et son analyse du réseau de sécurité du domaine de Dlarit se révéla brillante. Iella avait assisté à de nombreux briefings des Opérations Spéciales : Elscol n’avait rien à envier aux meilleurs de leurs agents.

À la surprise de tous, y compris la sienne, Iella avait accepté de faire partie du commando. Elscol, Sixtus et trois autres de ses camarades des Opérations Spéciales étaient le noyau du groupe. Iella, deux Vratix et quatre humains, tous réfugiés de Zaltin, complétaient l’équipe. Ils avaient été équipés de blasters, de fusils-blasters, d’un système sophistiqué de communication et de blousons de protection.

Tout ça pour assassiner un seul homme…

Revenant à la réalité, Iella s’obligea à se concentrer sur la mission. Elle escalada les racines d’un grand arbre akonije. La nuit était chaude, l’air pesait des tonnes.

Devant elle, Sixtus et ses compagnons avançaient, à peine visibles dans l’obscurité. La propriété de Dlarit était située en haut d’une petite colline, au pied d’un ancien volcan. Grâce aux hologrammes qu’ils avaient étudiés, Iella savait que la résidence était magnifique. Les bâtiments s’élevaient dans la jungle, entourés de gigantesques chutes d’eau.

On ne pouvait s’approcher qu’avec un glisseur. La propriété était reliée au sud à la route par quarante-cinq kilomètres d’une piste tortueuse. Plusieurs barrages en bloquaient l’accès et des défilés naturels permettaient de tendre une embuscade à d’éventuels envahisseurs. Un rideau de batteries antiaériennes Comar Tritracker empêchait tout survol non autorisé de la zone. Des détecteurs surveillaient les chemins d’accès à travers la jungle.

Le commando avait piraté les ordinateurs et les satellites de surveillance de Zaltin pour obtenir des hologrammes dynamiques de la maison ainsi que des images thermiques des gardes. Ainsi, les Rebelles avaient découvert l’emplacement des détecteurs et remarqué que les soldats patrouillaient principalement sur un côté de la propriété.

Mieux encore : après avoir passé un temps infini à étudier les spécifications techniques des détecteurs, ils s’étaient rendu compte qu’ils avaient été coupés, pour que le mouvement de l’eau et le vacarme des chutes ne les déclenchent pas en permanence.

Le commando était entré dans la propriété par la montagne. Le rideau de la cascade l’avait protégé pendant la descente en rappel. Une fois au sol, il avait progressé dans la jungle, évitant les pièges et les barrages.

Les hommes des troupes spéciales marchaient en tête. C’étaient tous des collègues de Sixtus, étonnamment vifs et silencieux. Combattre les commandos de l’Empire était déjà difficile : Iella n’aurait pas voulu affronter ces guerriers-là.

Un bip résonna dans le communicateur de la jeune femme, qui rejoignit aussitôt Elscol. Deux gardes du Front de Défense Thyferrien surveillaient la maison.

Elscol tapota deux fois sur son comlink ; d’énormes ombres apparurent derrière eux.

Il n’y eut pas un cri, pas un gémissement. Un autre double-bip dans le comlink indiqua que les gardes avaient été « maîtrisés ».

Le reste du groupe avança au bord de la zone dégagée. À peine vingt-cinq mètres le séparaient du solarium. Iella s’agenouilla près d’un garde et chercha son pouls, sans succès.

Elle retira sa main, poisseuse de sang.

Un tir anesthésiant aurait été trop visible.

Oui, ils devaient mourir…

Elscol fit un signe et deux autres hommes coururent vers le solarium. Iella retint sa respiration, s’attendant au pire. Mais rien ne bougea dans la maison. Un nouveau bip dans le comlink : tout allait bien. Les membres du commando sortirent un appareil électronique qu’ils collèrent sur la porte. Trois secondes plus tard, elle était ouverte.

Un double-bip. Iella bondit et traversa à son tour la pelouse.

À chaque pas, un rayon écarlate pouvait la faucher, l’envoyant rouler sur l’herbe. Elle avait vu tant de ses compagnons tomber ainsi, la même surprise inscrite sur leur visage.

La mort n’est jamais belle, surtout quand elle est violente.

Elle atteignit la porte sans encombre, entra et se plaqua au mur. Elscol et Sixtus la rejoignirent. Les autres suivirent. Le petit groupe se dispersa dans la maison pour verrouiller la zone.

Elscol et Sixtus montèrent à l’étage. Tout était obscur… à l’exception d’une lueur jaune derrière une porte ouverte du couloir principal.

Une lumière allumée en pleine nuit ? Étrange.

Surtout dans le bureau de Dlarit.

Iella avança avec prudence. Elle franchit les dix mètres qui la séparaient de la porte, passa la tête… puis sourit et tapota son comlink pour appeler les autres.

Aerin Dlarit se vautrait dans son fauteuil, habillé de son plus bel uniforme du Front de Défense Thyferrien. L’hologramme d’une statue géante à son effigie tournait lentement dans l’air, entourée par une foule en liesse.

Elscol sortit son blaster et visa l’homme endormi.

— Une mort parfaite. Abattu devant un monument à son ego.

— Attends, dit soudain Iella, lui posant la main sur le bras. J’ai une meilleure idée…

— Il doit mourir.

— Avec ce que j’ai en tête, il mourra de honte, ne t’inquiète pas, assura Iella en sortant son blaster. (Elle le régla sur étourdissement.) Nous avons déjà tué deux gardes, ils ne risquent plus de nous sous-estimer. Écoute…

Elscol fronça les sourcils.

— Si ton idée ne me plaît pas, j’abats Dlarit.

— Oh, tu vas l’aimer…

Iella murmura son explication. Il fallut que Sixtus commence à rire pour qu’Elscol s’avoue enfin vaincue…

Iella tira une fois sur le général endormi avant de se mettre au travail.

Puis le groupe sortit de la propriété.

Bien que gênée par l’uniforme du général Aerin Dlarit, Iella trouva le retour bien plus agréable que l’aller.