CHAPITRE XXX

Fliry Vorru descendit de la navette, puis s’immobilisa. Erisi Dlarit l’attendait en bas de la rampe. Le sourire de la jeune femme était aimable, mais elle semblait nerveuse.

— Commandant Dlarit, comme c’est gentil de venir m’accueillir…

— Tout le plaisir est pour moi, ministre Vorru.

— Je crois remarquer une trace d’ironie dans votre voix.

Erisi secoua la tête.

— Je me demandais seulement comment un homme aussi dangereux que vous pouvait se satisfaire d’un vaisseau si docile…

— Docile ?

— Je vous imaginais aux commandes d’un intercepteur plutôt que d’une navette de classe lambda.

— Je vois, commandant, dit Vorru en souriant. Ne vous fiez pas aux apparences : cette navette est loin d’être banale. Un certain nombre de modifications l’ont rendue plus meurtrière qu’il ne paraît…

La jeune femme étudia le vaisseau, puis sourit.

— Vraiment ? J’aurais dû m’en douter. Un homme intelligent comme vous aime surprendre ses adversaires.

— Ah, vous avez découvert ma faiblesse, soupira Vorru. Avec la flatterie, vous obtiendrez beaucoup de moi.

— Des compliments pourraient-ils vous inciter à me protéger contre une nouvelle colère de « Celle-qui-doit-être-obéie » ?

— Je crains que même votre beauté, délicieuse Erisi, ne puisse me convaincre de prendre un tel risque. (Vorru se dirigea vers les ascenseurs du capitole ; la jeune femme lui emboîta le pas.) Vous avez été convoquée aussi, je suppose…

— En effet. (Erisi regarda autour d’elle, puis se pencha vers Vorru.) Le convoi escorté par l’Avarice est arrivé à destination avec trois cargos de moins.

Le ministre ne fut pas surpris : il se doutait d’une chose de ce genre. Dans son message, Isard lui avait ordonné de venir de toute urgence, et Vorru savait d’expérience que les exactions d’Antilles avaient le don de la mettre hors d’elle.

— Quelle explication a donnée le capitaine Yonka ?

— Aucune, dit sombrement Erisi… Pour la bonne raison que l’Avarice a lui aussi disparu.

Pour le coup, Vorru s’arrêta. Il regarda Dlarit, les yeux écarquillés.

— Antilles aurait réussi à détruire l’Avarice ?

Erisi secoua la tête.

— Impossible, même avec l’aide du croiseur d’Alderaan. Et aucun indice n’indique qu’un combat ait eu lieu dans ce secteur de l’espace… À vrai dire, monsieur le ministre, je pensais que vous seriez mieux renseigné que moi.

Vorru reprit sa marche.

— Appelez-moi Fliry. Nous allons nous faire foudroyer par Cœur de Glace : autant oublier les chichis. Non, je n’ai reçu aucun rapport alarmant. Ces dernières semaines, le capitaine Vonka n’a rien changé à ses habitudes… Il a assuré ses patrouilles et rendu visite à sa maîtresse sur Elshandru Pica. Il couche avec la femme du Moff local, alors que le mari imagine qu’il a une liaison avec une commerçante de la ville. En partant, l’Avarice a respecté ses horaires de mission…

Erisi s’arrêta devant l’ascenseur.

— Pourtant, Fliry, quelque chose a dû mal tourner. Nous allons bientôt savoir qui de nous deux Isard va tenir pour responsable de cette nouvelle catastrophe…

Vorru suivit Erisi dans la cabine. Il attendit que les portes se referment pour appuyer sur le bouton d’arrêt d’urgence.

— Je fais vérifier régulièrement cet ascenseur : nous pouvons parler sans crainte. Erisi, pensez-vous comme moi que madame le directeur n’est pas toujours… disons, dans la même réalité que nous ?

Erisi fronça les sourcils.

— Vous me demandez si je la trouve folle ?

— En d’autres termes.

— Ma réponse est oui. On dirait que sa lutte contre Antilles lui ronge le cerveau. Si le problème des Rogues n’est pas vite réglé, Isard risque de détruire Thyferra… Ce qui ne veut pas dire que je crois à la victoire d’Antilles. Isard peut se montrer habile et dangereuse.

— Mais vous ne seriez pas opposée à prévoir des solutions de secours pour que le cartel puisse survivre sans elle…

Erisi hocha la tête.

— Fliry, vous avez tout compris.

Quelques minutes plus tard, les deux nouveaux alliés arrivèrent devant la porte du bureau d’Isard. Vorru entra le premier et s’inclina.

— Je suis venu aussi vite que possible, madame de directeur.

Isard pivota sur sa chaise. Vorru fut surpris de son calme apparent.

— Le commandant Dlarit est là aussi, je vois. Tant mieux. Je n’aurai pas à repasser deux fois cette abomination. (Isard prit une télécommande holographique qu’elle pointa au centre de la pièce.) Appréciez le spectacle…

Un grésillement se fit entendre. La silhouette de Sair Yonka apparut au milieu de la pièce, grandeur nature.

— Madame le directeur, déclara l’officier, je mentirais en vous disant que j’aurais voulu vous délivrer ce message en personne. Je vous trouve en effet d’un égocentrisme à la limite de la sociopathie. J’ajouterais que vous réagissez souvent de manière irrationnelle et impulsive, et que vous préférez l’apparence à la substance. Ces caractéristiques étaient sans doute appréciées par feu l’Empereur… mais elles sont loin de vous gagner l’estime et le respect de vos subordonnés.

Vorru se retint d’applaudir. Sair Yonka portait un costume noir de style militaire, sans insignes, comme s’il voulait marquer symboliquement la rupture de son lien avec Isard.

Le calme du capitaine contrastait avec la fureur de Cœur de Glace.

Yonka continua :

— Après mûre réflexion, je suis parvenu à la conclusion que vous servir serait me rendre complice de vos crimes. Ces derniers peuvent paraître insignifiants en comparaison de ceux de l’Empire, mais ils sont assez atroces pour que tout être sain d’esprit en soit révolté. Je démissionne donc de votre service ; je vous retire mon allégeance. Mon équipage me suit. Les fidèles que vous aviez à mon bord ont tenté de détourner une navette pour s’enfuir, me forçant à les détruire.

« Vous connaissant bien, je sais que votre première réaction sera de nous pourchasser pour chercher à vous venger. Le Lusankya et le Virulent remporteraient contre mon destroyer une victoire facile, mais je ne leur en laisserai pas l’occasion. J’ai passé une grande partie de ma carrière dans la Bordure, et je connais des systèmes reculés où vous ne me trouverez jamais. Enfin, n’oubliez pas qu’en envoyant vos destroyers à ma recherche, vous vous rendrez vulnérable. Vos ennemis n’attendront que cette occasion pour vous détruire.

L’image disparut.

Il y eut un court silence, puis Isard fixa Vorru.

— Vous m’aviez dit que Yonka avait une maîtresse.

— Oui, sur Elshandru Pica…

— Tuez-la. Ainsi que ses enfants, si elle en a, et tous ses proches.

Vorru fronça les sourcils.

— Mais… Et ceux de Yonka ?

Isard laissa échapper un petit rire.

— J’ai reçu le message il y a trois heures. L’extermination des familles des membres de l’équipage a déjà commencé. En tant que directeur des renseignements impériaux, j’ai souvent eu à traiter de situations similaires.

— À vos ordres.

Vorru s’inclina, mais il n’éprouvait que du mépris pour Isard.

À l’heure qu’il est, Aellyti Jandi est sûrement hors de votre portée. J’espère que sa disparition vous rendra folle de rage.

— Madame, la défection de l’Avarice nous met dans une position difficile. Nous aurons du mal à protéger nos convois, à moins que vous ne comptiez utiliser le Lusankya…

— Quoi, et laisser Thyferra sans défense contre une attaque d’Antilles ? (Cœur de Glace secoua la tête.) Doucement, Vorru, je ne suis pas encore bonne pour l’asile.

Le ministre dut avouer qu’Isard paraissait plutôt sereine. Une nouvelle détermination brillait dans ses yeux.

— Vorru, reprit-elle, tu m’as expliqué que nous ne pouvions détruire Antilles avant d’avoir découvert sa base. Or si nos recherches ont été infructueuses, c’est parce que les Rogues se montrent très prudents, et qu’ils collaborent seulement avec des gens en qui ils ont confiance…

— En effet, madame le directeur. Le problème est là…

— Non, Vorru, déclara Isard. Il n’y a plus de problème. Antilles est prudent parce que nous lui laissons le temps de l’être.

Erisi avança d’un pas.

— Vous avez trouvé un moyen de l’obliger à attaquer ? Menacer un monde innocent pourrait sans doute le faire sortir du trou, mais cela nous obligerait à éloigner les destroyers de Thyferra…

Isard sourit.

— Vous y êtes presque, commandant… Mais presque seulement.

« J’ai trouvé le moyen de régler le problème des Ashems et de forcer les Rogues à réagir… en un seul coup de dés. Sachez que pour tourner, le système de production de bacta n’a besoin que d’un million huit cent mille Vratix… Ce qui veut dire que nous en avons un million de trop sur Thyferra. J’ai donc ordonné l’arrestation et l’internement de mille Vratix par jour. Au bout d’un mois, nous les tuerons tous, puis nous recommencerons, cette fois à la vitesse de deux mille arrestations par vingt-quatre heures. Nous continuerons à ce rythme jusqu’à ce que Wedge Antilles intervienne… ou que nous soyons arrivés au nombre idéal d’ouvriers.

Isard se tut, mais de la fierté se lisait dans ses yeux.

Vorru la regarda avec une admiration sincère. La simplicité et l’élégance du plan le rendait apparemment imparable.

Ça obligera les Rogues à sortir de leur terrier, et là, nous les détruirons.

Erisi hocha la tête, pensive.

— Madame le directeur, dit-elle, vous devriez vous comporter comme si cette extermination n’avait rien à voir avec Antilles… Comme si elle était dirigée uniquement contre les Ashems. Si vous criez vos intentions haut et fort, les Rogues sentiront le piège.

— Vous devriez même procéder comme si vous vouliez garder le plan secret, ajouta Vorru. Il y aura des fuites, bien sûr, et quand Antilles apprendra la vérité, il croira que nous voulions éviter son intervention… En plus, avec un peu de chance, nous parviendrons à repérer et détruire son réseau d’informateurs.

— Excellent. Bon travail, tous les deux. Je vais dès ce soir modifier mes ordres en ce sens. (Isard sourit, puis serra les poings.) Un mois… Antilles a encore un mois à vivre. Une fois son sort réglé, l’Empire se relèvera et l’ordre naturel des choses sera enfin rétabli…