CHAPITRE XV
Corran détestait flotter dans du bacta. À l’extérieur de la cuve, il voyait se déplacer des silhouettes floues avec lesquelles il ne pouvait communiquer. Parfois, une main se posait sur la paroi de transpacier, sans qu’il puisse déterminer à qui elle appartenait.
Pourtant, il savait que son séjour dans la cuve était indispensable. La souffrance horrible de son dos et son ventre s’était peu à peu apaisée. Dans ses jambes, les sensations étaient lentement revenues.
Corran avait mis du temps à mesurer combien il était passé près de la mort.
Je me suis probablement cassé le pelvis dans ma chute, et le soldat m’a brisé le dos en me tombant dessus. Sans bacta, ces blessures auraient été fatales.
Je ne fais pas partie des Chevaliers Jedi. Essayer de se servir de leurs techniques sans entraînement était stupide et dangereux.
Si les Jedi n’étaient que des illusionnistes, l’Empereur ne les aurait pas pourchassés et détruits.
Des remous, dans le liquide, lui firent lever la tête. Une écoutille circulaire s’ouvrit au-dessus de Corran, qui distingua la forme d’un homme.
D’une poussée, le jeune pilote remonta à la surface. Il retira son masque, se hissa hors du réservoir et laissa le medtech l’arroser d’eau. L’homme lui lança ensuite une serviette, que Corran attrapa en souriant.
— Comment vous sentez-vous ? demanda le medtech.
— Pas mal, dit le pilote en s’essuyant. Mes blessures étaient graves ?
— Plutôt. Quand nous vous avons récupéré, vous étiez en état de choc, avec de grosses lésions internes. Pelvis brisé, colonne vertébrale et côtes fracturées…
Corran acquiesça, songeur.
— Combien de temps suis-je resté là-dedans ? Une semaine ?
— Deux jours.
— Quoi ? La guérison aurait dû être bien plus lente…
Le medtech sourit.
— Vous avez l’habitude du bacta d’exportation… Et de celui de Zucphra. Le produit d’origine est beaucoup plus puissant.
— Celui créé par les verachen de Zaltin ? Je suis encore sur Thyferra ?
Le technicien acquiesça.
— Si vous voulez bien me suivre, vos amis vous attendent.
Corran noua la serviette autour de sa taille et suivit le medtech jusque dans une petite pièce. Une paroi translucide donnait directement sur le réservoir de bacta.
Quand il entra, Mirax se leva et l’enlaça. Ils échangèrent un long baiser.
— Tu ne peux pas savoir combien je suis heureuse de te voir, souffla la jeune femme. J’avais peur que tu ne t’en tires pas…
— Mourir pour donner satisfaction à ton père ?
— Je lui dirai que la ténacité Horn est parfois bien utile…
Corran serra son amie contre lui. Dans la cuve bacta, l’isolation sensorielle était totale. Sentir le corps de Mirax à travers la fine étoffe de ses vêtements ramenait le jeune homme dans le monde des vivants.
— Et toi, demanda-t-il, pas de blessure ?
— Non… J’ai baissé la tête et attendu que les choses se calment. J’ai même réussi à récupérer ton sabrolaser. Il est intact…
— Merci, dit Corran en lâchant Mirax. (Il se tourna vers Iella.) Une fois de plus, tu me regardes tremper dans du bacta.
— Tant que tu en sors entier et plein d’ardeur, ça ne me dérange pas.
— Merci à vous aussi, dit Corran à Elscol et à Sixtus. Navré de vous avoir posé des problèmes.
Derrière lui, une nouvelle voix s’éleva.
— Nous avons fait du bon travail en t’attendant. Je suis heureux de te voir rétabli… Tu étais dans un sale état quand je t’ai vu, même si tu ne t’en souviens pas.
Corran se retourna et hésita. L’homme, grand et mince, portait une chemisette et un short. Dans le bacta, Corran s’était demandé qui était l’inconnu penché sur lui au spatioport… Il ressemblait à Bror Jace, mais celui-ci avait été tué par les Impériaux. Peut-être était-ce un Zaltin, sans doute même un cousin de Jace.
Oui, dans le bacta, la chose avait semblé logique.
Mais cette voix…
— Tu es bien Bror Jace !
— En effet. Peut-être as-tu envie de savoir pourquoi je suis vivant.
Corran secoua la tête.
— Les rumeurs annonçant ma mort, elles aussi, étaient grandement exagérées. Ce sont des choses qui arrivent.
Mirax lui flanqua une claque sur les fesses.
— Allez, Corran, ne fais pas l’idiot. Tu meurs d’envie de savoir… comme nous.
— Bien, je suis prêt à écouter… Mais seulement pour lui faire plaisir. (Corran s’assit, ajustant sa serviette pour préserver sa pudeur.) Vas-y, Bror, raconte-nous ton histoire.
— Je crois qu’elle supporte difficilement une deuxième écoute, aussi je vous demande d’avance votre indulgence.
— Vous l’avez déjà entendue ? dit Corran en jetant un œil à Mirax.
La jeune femme sourit.
— Oui, et je préfère qu’il recommence plutôt que tu me tires les vers du nez plus tard…
— D’accord, dit Corran en soupirant. Vas-y, Bror.
Le Thyferrien arpenta la pièce. Corran l’étudia, hésitant à reconnaître le pilote avec qui il s’était querellé durant ses premiers jours dans l’Escadron Rogue.
C’est son pas, son visage, mais on dirait qu’il a grandi… mûri.
En revanche, ce short est ridicule.
— Mes raisons de rejoindre l’Escadron Rogue étaient multiples, expliqua Jace. L’une d’elles était de maintenir l’égalité entre Zaltin et Xucphra. Les dirigeants de Xucphra ont toujours eu de mauvais penchants. Ils ont été les premiers à recevoir une licence impériale pour l’exclusivité de la production de bacta, créant ainsi le cartel. Zaltin n’avait pas envie d’en faire partie, mais les Impériaux nous avaient donné le choix entre accepter ou disparaître. Nous avons fait ce qu’il fallait pour survivre.
Corran fronça les sourcils. Jamais il n’avait entendu un Thyferrien critiquer sa corporation. Jace trouvait des excuses à Zaltin, mais l’honnêteté avec laquelle il s’exprimait poussait Corran à lui faire confiance.
Tout dépend maintenant de la suite de son histoire.
— En rejoignant l’escadron, mon intention était de me faire un nom. Les dirigeants de Zaltin pensaient que l’Empire était condamné ; ils voulaient passer des accords avec la Nouvelle République. L’altruisme n’était pas leur motivation principale… Ils pensaient simplement qu’à la mort de l’Empire, le cartel s’écroulerait. La seule façon dont Zaltin pouvait en profiter était de passer des accords avec le nouveau gouvernement, pour qu’il nous laisse superviser la production du bacta dans la galaxie.
« Les dirigeants de Zaltin avaient aussi compris que les Vratix demanderaient à la Nouvelle République de l’aide pour expulser leurs maîtres humains. La production de bacta étant impossible sans eux, Zaltin a décidé de prendre leur parti. Nous avons fourni aux Ashems de l’argent et des cachettes. Nous avons conclu une alliance, pour faire à terme de Zaltin l’agent commercial des Vratix dans la galaxie…
Bror Jace ferma les yeux.
— Les Vratix ne pensent pas comme les humains. Ils ne dissocient pas l’individu de l’information qu’il apporte, ce qui n’est pas toujours efficace… Apprenant que j’avais des liens avec la Nouvelle République, les Ashems ont voulu que je rejoigne Thyferra pour intégrer leur groupe de planification.
Corran acquiesça.
— Tu as reçu un message alarmant sur l’état de ton patriarche…
— Tu t’en souviens… Ma trajectoire a été calculée par le capitaine Celchu. Erisi m’a posé des questions ; je lui ai donné mon itinéraire. Par bonheur, j’ai fait un arrêt imprévu, empruntant un cargo qui m’a directement ramené ici, sur Thyferra.
« Les Ashems et moi avons placé une bombe dans mon aile X, de manière à imiter l’explosion accidentelle d’une torpille à protons. Mon chasseur a été pris en charge par une navette et remorqué vers Thyferra. Notre intention était de l’introduire dans le système, de le lâcher et de le faire exploser à la vue de tous…
— Mais – merci Erisi ! – les Impériaux t’attendaient avec un interdicteur, dit Corran. Les rapports indiquaient qu’aucun débris impérial n’avait été découvert sur la scène du combat. C’était étonnant, mais jamais je n’ai pensé que tu avais survécu… Les pilotes de la navette s’en sont-ils tirés ?
— Non, répondit Jace. Ma famille a reçu un holo du commandant Antilles expliquant les circonstances de ma mort. Bien sûr, j’étais déjà sur place. La Nouvelle République et Xucphra me croyaient mort… Une bonne chose pour ma future carrière parmi les Ashems.
— Attends ! dit Mirax. C’est toi qui as envoyé Qlaem Hirf à Wedge.
— Wedge est intelligent et plein d’initiative. Le choix était évident… J’avais aussi pensé à Corran mais à l’époque, je le croyais mort.
— Tu me l’aurais envoyé ? demanda Corran, sans en croire ses oreilles.
Jace l’estimait autant que Wedge ? Incroyable.
Bror Jace sourit.
— Corran, être un bien meilleur pilote que toi ne m’empêche pas de respecter tes talents et ton expérience. Tu t’es associé avec les « criminels » honnis par l’Empire, ce qui prouve que tu as l’esprit large… Et que tu as dû apprendre de nombreuses techniques de guérilla.
— Merci. Enfin, je crois.
— C’était un compliment…
— Je m’en souviendrai.
Mirax fit un clin d’œil à Iella.
— Dommage que le bacta ne guérisse pas aussi certains défauts de personnalité.
Iella haussa les épaules.
— Hélas, je crains que la tare soit congénitale. Corran a toujours été contrariant et agressif.
— C’est pour ça que nous sommes amis, grogna Corran en lançant à Iella un regard noir. Bon, et maintenant ? Qu’avez-vous décidé pendant que je faisais trempette ?
Elscol prit la parole.
— Sixtus, Iella et moi resterons ici pour remplacer Jace et aider les Ashems. Lui retournera avec toi dans l’escadron. Nous allons apprendre aux Vratix les bases du contre-espionnage et d’un coup d’État réussi.
Corran regarda Iella.
— Te sens-tu prête ?
— Oui. Peut-être aurais-je une chance de descendre Isard. Mon cœur est toujours brisé par la mort de Diric, mais ce n’est pas en pleurant que j’honorerai sa mémoire. Tu me l’as fait comprendre.
— Tu seras loin de tes amis…
Iella sourit et prit la main de Corran.
— Vrai. Mais je serai moins perturbée par le souvenir de Diric.
— Je comprends, souffla Corran. Ne fais rien de stupide… Surtout pas au nom de la vengeance. Promis ?
— Si tu me fais la même promesse.
— Ça marche.
Corran et Iella s’enlacèrent longuement. Puis le jeune homme se retourna vers Mirax.
— Et nous ?
— Notre travail ici est terminé, dit Mirax en souriant. Nous avons accompagné les personnes dont nous avions la charge. Après avoir escorté l’officier de liaison jusqu’à la base, nous rentrerons à la maison. Enfin, quand tu seras habillé.
— Tant que je n’ai pas le même costume que Jace…
— Hein ? protesta le Thyferrien. Tu n’aimes pas mes vêtements ?
— Un peu moulant.
— Voilà qui ne te poserait aucun problème…
Corran mit un peu de temps à comprendre l’insulte, puis il sourit.
— Content que tu sois vivant, Jace. La vie semblait trop facile quand tu n’étais pas là.