CHAPITRE XI

Un nuage de buée accompagna Corran quand il sortit du sas. Ooryl et lui se hâtèrent d’avancer, heureux de retrouver un peu de chaleur après le froid qui régnait dans le hangar. Corran retira ses gants, souffla sur ses doigts pour les réchauffer, puis sourit en voyant un petit homme chauve approcher.

— Vous devez être Farl Cort.

L’homme serra la main de Corran.

— En effet. Je voulais vous remercier. Quand nous avons appelé à l’aide, nous ne pensions pas en recevoir si vite…

— Je suis heureux de faire votre connaissance. (Corran désigna Ooryl.) Voici Ooryl Qrygg de Gand. Je suis Corran Horn, de Corellia.

Farl échangea une poignée de main avec Ooryl, puis conduisit les deux pilotes le long d’un tunnel de pierre.

— Pardonnez le manque de décoration, mais Halanit est une modeste communauté, expliqua-t-il. Nous nous consacrons pour l’instant à tout ce qui est utilitaire.

— Ooryl comprend, dit le Gand. Vous avez choisi un monde difficile.

Halanit, une petite lune, orbitait autour d’une géante gazeuse. Une épaisse couche de glace recouvrait la surface du satellite. Dessous, le noyau brûlant réchauffait l’eau et les rochers. Les colons s’y étaient installés durant les derniers jours de l’Ancienne République. L’Empire, puis la Rébellion étaient passés sans qu’ils s’en aperçoivent. Halanit ne produisait rien d’intéressant, et sa population ne dépassait pas dix mille âmes.

Corran n’en aurait jamais entendu parler si les colons n’avaient pas envoyé un message urgent à Coruscant pour réclamer du bacta.

Farl conduisit ses invités au bord d’une faille souterraine qui rappela à Corran les canyons artificiels de Coruscant. À cent mètres au-dessus de leurs têtes, une paroi de transpacier couvrait le gigantesque trou, diffusant la lueur pâle du soleil. Des projecteurs illuminaient les ponts qui traversaient le gouffre, et des cascades d’eau fumante se perdaient dans les profondeurs.

— Voilà qui ne paraît guère utilitaire, dit Corran en admirant le spectacle.

Farl sourit.

— Notre seule concession à l’esthétique. Nos aïeux rêvaient de faire d’Halanit un paradis, et ce canyon est la première étape… Hélas, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais cet endroit n’est pas seulement beau. Le transpacier garde la chaleur ; les cascades remplissent nos réservoirs et irriguent nos fermes d’ichtyoculture.

— Magnifique. Maintenant, parlez-moi de cette épidémie…

— Le virus mute très vite. Non traité, les symptômes disparaissent en deux semaines, mais durant cette période le sujet souffre d’une faim dévorante, de congestion, de fatigue et de diverses douleurs. Un bain dans l’eau de nos sources calme un peu les malades, mais une cuve bacta serait bien plus efficace.

— L’épidémie paraît similaire à celle du Frisson de Cardouine, dit Ooryl.

— Dans ce cas, les malades développaient très vite une immunité. Chez nous, le virus mute si rapidement que nous n’avons pas le temps de mettre en place un vaccin. Les vagues se succèdent ; les convalescents n’ont pas le temps de se remettre avant d’être à nouveau touchés… Et un malade mange comme quatre, ce qui met en péril la colonie entière.

« Nous avons voulu acheter du bacta, mais le prix demandé par Thyferra était largement au-dessus de nos moyens. Pour tout vous dire, nous étions désespérés. Puis nous vous avons vus arriver dans le système avec votre cargaison… J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord sur un prix. Au tarif du marché, il y en aurait pour un milliard de crédits impériaux…

Corran jeta un coup d’œil à Ooryl.

— Vous ne nous devez rien.

— Mais tout ce bacta… Vous avez dû le payer une fortune…

— Ooryl et Corran l’ont obtenu en échange d’une dette en suspens, expliqua le Gand. Cela ne leur a rien coûté. Ooryl et Corran peuvent donc vous l’offrir.

Farl fronça les sourcils.

— Je vois.

Corran sourit.

— Ne considérez pas cette cargaison comme volée. Le gouvernement à qui vous auriez dû payer la facture n’est pas légitime…

Un sourire s’afficha sur le visage du colon.

— Nous avons déjà traité avec des pirates ou des trafiquants. D’où pensez-vous que vienne le transpacier ? Mais nous n’avons jamais accepté quelque chose sans contrepartie… (Il réfléchit.) La chair de nos poissons est délicieuse, et certaines espèces sont très recherchées par les collectionneurs. Mais pour un milliard de crédits, vous pourriez vous les payer tous, plus une bonne partie de la colonie.

— Je suis sûr que nous allons trouver un arrangement, déclara Corran en souriant. Vous avez parlé de sources chaudes, je crois. Ooryl, en arrivant ici, je t’ai dit que je payerais un demi-milliard de crédits pour un bain fumant et un bon repas…

Après une courte hésitation, le Gand acquiesça.

— En effet, Qrygg se souvient de t’avoir entendu. Et Qrygg a déclaré qu’il aimerait faire de même.

Corran flanqua une tape amicale sur l’épaule du colon.

— Et voilà, Farl. Deux bains, deux assiettes de poisson et nous serons quittes.

L’administrateur de la colonie eut un sourire reconnaissant.

— Vous en aurez pour votre argent.

— Voler le bacta de Cœur de Glace m’a déjà mis de bonne humeur, conclut Corran en emboîtant le pas à l’administrateur. Barboter dans une source chaude en pensant à la tête qu’elle fera, c’est la cerise sur le gâteau.

 

Quand l’aile X rentra dans l’espace normal, Tycho réprima un frisson. Il était déjà revenu à Alderaan – ou plutôt, dans la région de l’espace où orbitaient les débris du monde où il avait été élevé.

Mais il n’était jamais revenu. Parmi les survivants d’Alderaan, le rituel du Retour avait pris une importance sans précédent. Certains décrivaient le leur comme une expérience mystique qui leur avait fait découvrir la signification de l’univers.

Le Retour avait donné naissance à une industrie florissante, et Tycho n’avait pas résisté à certains de ses pièges. Après avoir amené plusieurs convois de bacta sur Coruscant, il était descendu sur l’ancienne planète impériale pour rendre visite à des amis d’Alderaan. En entendant leurs récits, il avait décidé d’effectuer son propre Retour et acheté les objets nécessaires au rituel.

Dans une capsule-mémorial, il avait placé des petits cadeaux pour ses morts. Des holodrames romantiques pour sa grand-mère et ses sœurs, du vin pour son père, des fleurs pour sa mère, et une datacarte des dernières recettes pour son grand-père maternel, un fin gourmet.

Pour son frère, Tycho avait choisi une holobio de Luke Skywalker. Skoloc aurait été ravi de rencontrer Luke et de savoir que les Jedi revenaient dans la galaxie.

Quant à Nyiestra… la décision avait été difficile.

Nyiestra avait toujours fait partie de la vie de Tycho.

Enfant, il était déjà amoureux d’elle, certain qu’il l’épouserait, comme il était sûr que le soleil se lèverait et se coucherait sur Alderaan durant tout le reste de sa vie…

Nyiestra avait accepté d’attendre pendant le séjour de Tycho à l’Académie, puis sa première année au front. Devenu pilote, si Tycho survivait un an, il monterait en grade et pourrait penser à fonder une famille. Jamais il n’avait douté, et elle non plus, que cette année se passerait sans encombre…

Puis l’Étoile Noire avait tout détruit.

Un nouveau frisson parcourut Tycho.

Son père était le directeur général de Novacom, le plus grand réseau d’Holonet d’Alderaan. Tycho avait pu passer un appel à sa famille le jour de son anniversaire.

Tout le monde était réuni… Le pilote avait savouré en temps réel les sourires et les vœux de sa famille, entendu sauter les bouchons de vin pétillant. Puis la transmission s’était interrompue, les images holographiques étant remplacées par des parasites.

Tycho s’était contenté de sourire. Les interruptions de ce genre abondaient.

Une semaine était passée. Les rumeurs avaient commencé à courir, disant qu’Alderaan avait été détruite, le blâme retombant sur les Rebelles… Pourtant, Tycho était certain de leur innocence. Non qu’il jugeât la Rébellion incapable de faire exploser une planète – les Impériaux l’avaient assez endoctriné pour que le jeune pilote les soupçonne de tous les crimes – mais les Rebelles n’avaient aucune raison d’anéantir Alderaan. La planète était acquise à leur cause. Le fait que l’Empereur ait dissous le Sénat avant, et non pas en réaction à la mort de la planète, avait fini d’ouvrir les yeux de Tycho.

Alors il avait déserté. À sa première escale – Commenor – il était parti en permission et n’était jamais revenu. Il avait rejoint la Rébellion ; pendant sept ans, il s’était battu pour qu’aucun autre monde ne connaisse le destin d’Alderaan.

Et pour qu’aucun autre homme ne se demande comment choisir l’objet qui honorerait le mieux la mémoire de sa fiancée…

Si Tycho avait trouvé ce choix difficile, c’était en partie à cause de l’évolution de ses convictions depuis la disparition de Nyiestra. Celle-ci n’aurait pas voulu de celui qu’il était devenu.

Drapée dans son idéologie pacifiste, Alderaan se protégeait des horreurs hélas communes dans la galaxie. Son peuple avait élevé la non-violence au rang de dogme. Bail Organa et sa fille Leia en avaient vite compris les pièges, mais les habitants d’Alderaan avaient été lents à les écouter. La plupart considéraient que l’Empereur n’aurait vraiment gagné que s’il les forçait à se battre et à abandonner leurs idéaux.

Très jeune, Tycho avait contesté cette philosophie. Le pacifisme inconditionnel peut aussi être le comble de l’égoïsme, s’il devient un prétexte pour ne pas aider ceux qui souffrent…

Il n’aimait pas la guerre, mais il avait rejoint l’armée impériale pour essayer de la faire évoluer. Et le jour où il avait décidé de la détruire, il avait rallié la Rébellion.

Les idées qui auraient fini par éloigner Tycho de Nyiestra l’avaient rapproché de Winter. Leur relation était presque l’opposé de celle qui liait le jeune pilote à son ancienne fiancée. Nyiestra et lui voulaient être séparés le moins possible. Winter et Tycho se contentaient d’apprécier au maximum les moments où ils étaient ensemble. Ils avaient tous deux de lourdes responsabilités. Même s’ils ne se voyaient pas souvent, savoir que l’autre existait était un soutien moral inestimable.

Winter était elle aussi une survivante d’Alderaan. Elle aidait Tycho à panser ses blessures – et réciproquement.

C’était d’ailleurs Winter qui avait suggéré à son amant le cadeau idéal pour Nyiestra.

Tycho avait acheté une sphère de cristal à l’intérieur de laquelle étaient dessinés les continents d’Alderaan. Au cœur de la sphère brillait l’hologramme de Nyiestra…

Ainsi elle resterait à jamais au sein du monde qu’elle aimait, radieuse et inchangée.

Le pilote effleura sa console de communication, puis activa son transpondeur IFF.

— Je m’appelle Tycho Celchu, fils d’Alderaan et orphelin de la galaxie. Je suis revenu sur le lieu de ma naissance pour rendre hommage à tous ceux que je connaissais, ainsi qu’à ceux que j’aimais et que j’aime encore. À ma mort, je souhaite que mes cendres viennent rejoindre les vôtres, pour que nous soyons unis par l’éternité comme nous aurions dû l’être par la vie.

Tycho soupira, puis il ouvrit les compartiments de stockage du chasseur. Les propulseurs à air comprimé de la capsule-mémorial entrèrent en action. L’objet rejoignit le tourbillon de pierres qui était jadis Alderaan.

Tycho s’éclaircit la gorge.

— Ces cadeaux sont des témoins bien faibles de l’amour qui brûle encore en moi. (Il hésita avant de prononcer la partie du discours non prévue par le rituel.) Ce chasseur porte les couleurs de la Garde d’Alderaan, et transmet son code, comme un symbole non de vengeance, mais de vigilance. Je consacre ma vie à lutter pour que personne ne subisse votre destin… Je ne prendrai aucun repos avant que ma tâche soit accomplie.

Tycho regarda la capsule dériver en silence, résistant à la tentation de la détruire à grands renforts de lasers. Les débris étaient régulièrement fouillés – c’était une des missions du Deuxième Chance. De nombreux trésors avaient ainsi été sauvés du néant.

Certains étaient des faux. Étant donné la nature du système économique impérial, la majeure partie de l’argent d’Alderaan avait survécu à la destruction, et les survivants étaient devenus très riches. De nombreux escrocs essayaient de profiter de leur douleur.

La capsule ovale disparut dans l’amas de débris.

— Reposez en paix, souffla Tycho. Vous me manquez.

Puis il fit demi-tour.

La guerre contre Isard l’attendait.