CHAPITRE XXIII

Le raid avait épuisé Corran, mais l’idée de réintégrer seul le minuscule appartement qu’il partageait avec Mirax ne lui plaisait guère.

En arrivant, il avait appris que la jeune femme était partie avec son père pour mener des négociations, et qu’elle ne serait pas de retour avant trois jours.

Je vais être seul à un moment où j’aurais bien besoin de réconfort.

Corran connaissait les raisons de sa dépression, mais même les exercices respiratoires conseillés par Luke Skywalker ne l’avaient pas aidé à retrouver le moral.

Un mauvais passage… C’est comme traverser une boule de feu. Il suffit de s’accrocher, en espérant ressortir en un seul morceau…

C’était le quatrième anniversaire de la mort de son père. Ces quatre années avaient été riches en événements, mais le souvenir restait cuisant.

Mon père, agonisant dans mes bras. L’odeur du sang, de la chair carbonisée, les cris dans la cantine…

L’année dernière, à la même date, mon arrivée dans l’Escadron Rogue était encore toute récente. J’ai été accaparé par la guerre…

Sa liaison avec Mirax et la présence de Booster n’arrangeaient rien.

Corran aimait Mirax ; il ne l’abandonnerait pour rien au monde, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que Hal Horn se serait senti trahi…

Et l’affection évidente qui liait Mirax et Booster compliquait encore les choses. Corran aurait aimé avoir un père à qui se confier.

Pour tout arranger, la Guerre du Bacta avait pris une nouvelle dimension. Wedge avait formé des équipes afin de harceler le cartel. Sa stratégie : frapper et disparaître… Jusque-là, elle avait fonctionné à la perfection. Les Thyferriens planifiaient leurs envois… les Rogues attaquaient. Les destroyers envoyaient des Tie… Les chasseurs lançaient leurs torpilles à protons avant de disparaître.

Les officiers de Cœur de Glace devaient se ronger les sangs : ils essuyaient beaucoup de pertes sans tuer un seul adversaire.

Mais Corran et les autres pilotes n’avaient quand même pas la vie facile.

Pour une escadrille d’ailes X, combattre un destroyer de la classe du Corrupteur serait un suicide. Les destroyers ne se défendaient pas très efficacement contre les chasseurs, mais il suffirait de quelques pertes chez les Rogues pour que le groupe en prenne un coup au moral.

Seules les torpilles à protons pouvaient endommager un destroyer. Corran imagina la scène. Si tous les chasseurs tiraient en même temps, ils parviendraient peut-être à affaiblir les boucliers ennemis… Mais il suffirait au capitaine impérial de faire tourner son vaisseau pour présenter un flanc encore intact.

Et même si tous les boucliers tombaient, le destroyer n’aurait qu’à passer en hyperdrive pour disparaître.

Bref, une attaque frontale serait du suicide. Wedge a raison, la stratégie actuelle est la seule efficace.

Mais j’ai l’impression… d’être un criminel.

Si Wedge me disait combien de temps nous allons continuer ce harcèlement… Si je savais quelle est la prochaine étape du conflit, j’attendrais peut-être avec plus de patience. Là, j’ai l’impression que nous attaquons les convois en attendant une meilleure idée.

Décidément, Corran ne voulait pas se retrouver seul dans ses quartiers.

Après une courte hésitation, il se dirigea vers le Flarestar, espérant y retrouver d’autres membres de l’escadrille.

Mais les chances étaient minimes… Ooryl passait son temps avec les ruetsavii. Les deux couples – Nawara Ven et Rhysati, Gavin et Asyr Sei’lar – avaient mieux à faire que de bavarder avec un pilote esseulé. Je hais les amoureux, grogna Corran.

Si Mirax était là…

Tycho et Wedge revenaient d’une mission pour en préparer une autre. Bror Jace et Corran n’avaient jamais été proches. Quant à Inyri Forge et à Aril Nunb, elles s’étaient découvert une passion pour le sabacc contrat et le fendoc découvert. Elles étaient même devenues si bonnes que deux cargos des Rogues avaient rejoint leur flotte en paiement de dettes de jeu.

Corran entra dans le Flarestar.

Lujayne, la sœur d’Inyri, disait que je ne communiquais pas assez avec les autres… Ce n’est pas si simple ! Mirax, Iella et Ooryl sont absents, et je ne me sens pas d’humeur à me faire de nouveaux amis…

Une voix retentit dans le restocaf.

— Corran ! Corran Horn ! Par ici !

Le pilote reconnut aussitôt la voix. Un sourire apparut sur son visage.

— Pash ? Que fais-tu ici ? Vos ailes A filent si vite que j’ai l’impression que vous passez sans nous voir !

Corran se fraya un chemin entre les tables, puis serra son ami dans ses bras. Pash tira une chaise et désigna les quatre pilotes déjà assis à la table.

— Le moteur de Linna a calé dans les hautes couches de l’atmosphère de Yag’dhul. Nous nous sommes déroutés ici… Zraii dit qu’il peut réparer.

Corran hocha la tête.

— Les ailes X ont été conçues pour ne pas avoir ce genre de soucis.

— Tout le monde n’a pas la chance de piloter une pièce de musée, riposta Linna. La vitesse est la seule sécurité, et l’aile A en a sous la pédale.

Corran se tourna vers Pash.

— Et tu les laisses dire ça ?

L’officier haussa les épaules.

— Ce sont encore des gamins. Que veux-tu…

— Que tu leur expliques un truc : voler plus vite ne signifie pas mieux voler.

Linna et les trois autres pilotes dévisagèrent Corran comme s’il venait de prêter serment à l’Empereur.

— Si tu ne supportes pas la vitesse, tu n’es pas un pilote, protesta l’un d’eux.

Corran secoua la tête.

— Pash, avoue. C’est une blague, tu m’attendais…

— Je m’attendais plutôt à entraîner Wedge ou Tycho dans la polémique, mais je suis sûr que tu seras à la hauteur, dit Pash. Vous savez, les mecs, la vitesse n’aide pas toujours.

Corran hocha la tête.

— Parfois, elle est même un handicap.

Linna leva une pinte de bière de Lomin.

— Un handicap ? Tu parles. C’est idiot… Qui peut le plus peut le moins.

Corran leva la main pour commander une boisson.

— Je reconnais bien l’innocence de la jeunesse, déclara-t-il d’un ton docte. Laissez-moi vous raconter le jour où nous nous sommes fait surprendre par une frégate. Si j’avais été aux commandes d’une aile A, le monument aux morts des Rogues porterait un nom de plus, et Isard tiendrait encore Coruscant…

 

La nouvelle était bonne, mais Fliry Vorru entra sans sourire dans le bureau. Il voulait surprendre Isard et tester son humeur. Le climat étouffant et les frappes ashems n’avaient rien fait pour rendre « madame le directeur » aimable, et les exploits d’Antilles avaient aggravé le problème.

Les frappes des Rogues coûtaient beaucoup au cartel, en crédits comme en prestige. Chaque raid détruisait un ou deux Tie… Des pertes insignifiantes quand on avait accès à une usine de production de chasseurs, évidemment. Siennar Fleet Systems en possédait un grand nombre, mais la corporation avait négligé d’en installer une sur Thyferra. Le cartel en était réduit à négocier avec le seigneur de guerre Harssk et l’amiral Teradoc pour échanger du bacta contre des vaisseaux.

À chaque fois, Isard en était malade.

Vorru referma doucement la porte du bureau.

Isard se tourna vers lui en souriant ; le ministre sentit un frisson glacé le parcourir.

— Ah, Vorru, susurra-t-elle. Approche donc. Je voulais te parler… Et voilà que tu apparais avant même que je te fasse appeler.

Vorru s’inclina, heureux d’avoir échappé à une convocation déplaisante.

— Je crois apporter des informations utiles, voire agréables, madame.

— Les bonnes nouvelles sont toujours les bienvenues, cher ministre. (Isard s’installa sur son élégant fauteuil, sa robe diaphane lui faisant une corolle.) Veux-tu t’asseoir ? Un rafraîchissement, peut-être ?

Quelque chose m’échappe. Les Ashems l’ont-ils empoisonnée ?

— Je vais vous faire mon rapport, puis vous pourrez reconsidérer votre offre, madame.

— Tu ne me crois pas capricieuse au point de revenir sur ma proposition, n’est-ce pas ? Mes nouvelles sont assez réjouissantes pour que je t’offre un verre. Allez… Lance-toi le premier, Vorru. Ensuite, ce sera mon tour… et tu accepteras de trinquer, j’en suis sûre.

Le ministre avança d’un pas.

Je pensais la surprendre, mais on dirait que c’est le contraire…

— Comme vous voudrez, madame. Vous savez que si la stratégie de Wedge Antilles fonctionne pour l’instant à merveille, c’est parce que nous n’avons aucun moyen de retenir ses chasseurs. Ils arrivent, ils tirent leurs torpilles puis se dispersent comme les éclats d’une mine à protons.

— Jusque-là, oui, dit Isard sans cesser de sourire. Je suis sûre que tu as trouvé un moyen d’améliorer les choses.

— Peut-être. Mon réseau d’espions commence à donner des résultats. Je ne doute pas que nous découvrions un jour la base d’Antilles… En attendant, j’ai obtenu deux informations essentielles. Je sais où les Rogues obtiennent leurs munitions. Plus important encore, où le prochain chargement sera livré à Wedge Antilles…

— Tu m’en diras tant !

— L’assistante de Talon Karrde travaillait jadis pour Jabba le Hutt. Après sa mort, elle a passé deux ans sur Tatooine, dans une abjecte pauvreté. Karrde l’a aidée à se remettre à flot, mais il semble que la dame ne soit pas satisfaite. Or Karrde l’a chargée des relations avec Booster Terrik, une vieille connaissance de Kessel.

Isard fronça les sourcils.

— Fascinant. Le nom de Karrde ne m’est pas inconnu… Son organisation est-elle vraiment assez importante pour satisfaire les besoins d’Antilles ?

— D’après Camiss, le réseau de ce trafiquant est bien plus important qu’il ne paraît. Karrde garde un profil bas pour éviter les problèmes. Booster Terrik lui a fait une énorme commande, qu’il livre petit à petit. Les cargaisons sont remises à Booster Terrik, qui les convoie ensuite jusqu’au Q. G. d’Antilles.

— Camiss sait-elle où se trouve ce Q. G. ?

— Non, mais elle m’a donné le lieu du prochain rendez-vous. Le transfert aura lieu dans le système d’Alderaan.

— Symbolique, sans doute.

— Peut-être. Madame, l’important est la présence certaine des chasseurs et des cargos d’Antilles…

Envoyons le Lusankya sur place, avec les autres destroyers. L’embuscade sera fatale aux Rogues.

Isard sourit.

— Non, ministre Vorru, je ne vais pas envoyer tous mes vaisseaux. L’information pourrait être fausse… Je ne doute pas de toi ni de ta source, mais il suffirait qu’Antilles ait vent du piège pour ne pas se présenter. Il pourrait même en profiter pour attaquer un convoi et nous couvrir une fois de plus de ridicule… Mais ne t’inquiète pas, nous allons agir. Je vais envoyer Convarion et le Corrupteur. Il les a surpris une fois, il peut le refaire.

Vorru secoua la tête.

— Madame, si le Corrupteur apparaît, Antilles et ses hommes fuiront, comme d’habitude. Nous n’aurons rien obtenu.

— Au contraire, Vorru, dit Isard avant de lâcher un rire glacial. Nous aurons tout obtenu. Tandis que tu tissais une toile d’araignée pour attraper Antilles, j’ai cherché un marteau pour l’écraser. Je l’ai trouvé. Dans douze heures, je le confierai à Convarion pour la curée.

— Je ne comprends pas…

— C’est pourtant simple. J’ai loué à prix d’or l’Aggregator au haut amiral Teradoc.

— Un interdicteur ?

— Exact. Une fois ses puits de gravité branchés, Antilles et ses vaisseaux se trouveront « englués » dans le cimetière d’Alderaan. Un nouveau sacrifice dans un lieu ô combien symbolique… Et une grande victoire célébrée par l’Empire. Qu’en dis-tu ?

— Madame le directeur, j’accepte le verre, répondit Vorru en souriant. Trinquons à la victoire.