CHAPITRE XXVI

Vorru regarda les deux femmes s’affronter devant lui. Si elles avaient eu des sabrolasers, elles se seraient entretuées.

— L’amiral Teradoc m’a retiré l’Aggregator, et c’est votre faute ! cria Ysanne Isard.

— Ma faute ? s’étrangla Erisi Dlarit. Par quel algorithme êtes-vous arrivée à cette conclusion… madame ?

— Le raisonnement est assez simple pour qu’un esprit étroit comme le vôtre le comprenne. (Isard serra les poings.) Vos pilotes étaient sur l’Aggregator et sur le Corrupteur. Ils devaient éliminer les Rogues. Ils ont échoué, et je suis devenue la risée de la galaxie… Teradoc a eu le culot de me dire qu’il me prêterait ses jouets si je promettais de ne pas les casser ! L’Empereur l’aurait fait pendre par les tripes pour une telle insulte !

— C’est vous qui avez voulu envoyer les Thyferriens sur cette mission, protesta Erisi. Je vous avais dit de prendre mes pilotes d’élite, mais vous avez choisi des débutants !

— Leurs évaluations – vos évaluations, devrais-je dire – étaient excellentes.

— Oui, mais ils n’avaient jamais été au combat. (Les yeux d’Erisi étincelaient de rage.) Vous avez envoyé des bleus contre le meilleur escadron de la galaxie…

— Un escadron dont vous ne faites plus partie, et qui ne veut plus de vous…, déclara perfidement Isard.

Erisi ne répondit pas à l’insulte.

— Mes pilotes d’élite auraient pu écraser les Rogues, dit-elle. Si vous les aviez envoyés, Teradoc se prosternerait aujourd’hui devant vous en vous suppliant d’accepter son allégeance. À la place, il rit, parce que vous avez perdu trois escadrons. Il vous avait pourtant averti du danger en refusant d’envoyer ses pilotes contre ceux d’Antilles…

Vorru regarda avec inquiétude Isard préparer sa réponse. Si rien n’était fait, Erisi risquait de payer cher sa franchise.

Le ministre arrêta rapidement sa décision. En prenant la défense d’Erisi, il risquait de s’attirer la colère d’Isard, mais le jeu en valait la chandelle. Malgré l’humiliation du père d’Erisi, la famille Dlarit avait une influence considérable sur Thyferra. Et si Isard venait à être… écartée par la Nouvelle République, Vorru trouverait en Erisi une alliée de poids.

Je pourrais même dire que je travaillais depuis toujours pour Xucphra…

Si Isard perdait la bataille, il faudrait un nouveau dirigeant au cartel. Avec l’appui de la hiérarchie de Xucphra, Vorru serait un choix tout indiqué.

— Madame le directeur, dit-il doucement, vous ne pouvez écarter la possibilité que les Rogues aient prévu notre attaque. Ils s’étaient peut-être préparés à l’éventualité d’une trahison. Le croiseur d’Alderaan est une antiquité, c’est vrai. Mais allié aux ailes X, il devenait un adversaire de poids. Il n’est pas étonnant que Convarion ait été puni de son imprudence…

Isard le foudroya du regard.

— Tu accuses Convarion pour que j’oublie ta responsabilité dans cette affaire, Vorru. Si les Rogues s’attendaient à notre arrivée, c’est qu’il y a dans nos rangs un espion que tu n’as pas réussi à repérer…

Vorru constata que sa tactique avait fonctionné : Isard avait détourné sa colère sur une cible plus familière.

Le ministre et Erisi échangèrent un regard ; Vorru lut la gratitude dans les yeux de la jeune femme.

Erisi était belle. Vorru n’était pas insensible à ses charmes, et la perspective de fêter leur alliance par une union physique lui traversa un instant l’esprit.

Mauvaise idée. C’est la raison qui doit nous conduire, non l’émotion.

Vorru savait qu’à la place où il était, nul ne lui était inaccessible, pas même une jolie jeune femme comme Erisi.

Dont l’intelligence et la capacité de séduction pouvaient d’ailleurs devenir dangereuses…

Isard attendait sa réponse. Vorru s’inclina poliment.

— Cette possibilité n’est pas à écarter, bien sûr, madame. Mais Antilles a toujours été prudent. C’est pour cela qu’il est encore en vie. Il s’est peut-être simplement méfié de son fournisseur…

— Oui, son fournisseur ! cracha Isard. Débarrassez-vous de ce Karrde.

Vorru secoua la tête.

— Mauvaise idée ! Si nous changeons d’attitude envers lui, Karrde se doutera que nous avons un agent dans son organisation, et nous perdrons une source d’information essentielle. Ce n’est qu’un trafiquant, sa loyauté peut être achetée… Quand nous voudrons sa coopération, nous l’aurons.

« Je crains, madame, que vous ne vous montriez injuste envers le commandant Dlarit. Ses pilotes ne pouvaient rien contre les Rogues… Le capitaine Convarion croyait que l’apparition de son vaisseau paralyserait ses ennemis. Il pensait qu’ils fuiraient, comme la première fois. Mais Antilles n’a pas répété sa bourde. Convarion aurait dû insister pour que nous lui donnions les meilleurs pilotes… S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il jugeait leur rôle secondaire dans l’attaque.

— Eh bien, on dirait que je me suis trompée sur tout ! lança Isard avec une fausse gaieté. Peut-être vas-tu m’expliquer maintenant ce qu’il faut faire ?

— Selon toute probabilité, commença le ministre, Antilles et les autres vont continuer leurs raids… qui, je vous le rappelle, sont plus impressionnants qu’efficaces. Les Rogues essayeront aussi de s’infiltrer dans nos équipages pour détourner des cargos. Nos pertes – car nous en aurons – seront minimes…

— Ce qui est minime pour nous est important pour eux, rétorqua Isard. Notre bacta servira à financer leur guerre ! À part trouver leur base et la détruire, quel plan suggères-tu ?

Vorru hésita.

— La méthode la plus efficace serait d’ouvrir nos stocks et d’inonder la galaxie de bacta.

— Non !

Erisi et Ysanne avaient réagi en même temps ; elles se regardèrent, surprises.

— Le prix du bacta s’effondrerait, protesta Isard, et nos clients ne seraient plus dépendants de notre bon vouloir. Ce serait une catastrophe…

— À laquelle nous survivrions… mais pas Antilles ! (Vorru soupira.) Le prix élevé du bacta est le cheval de bataille des Rogues… Retirons-leur cet argument, et ils perdront tout : leurs alliés, leur popularité, leurs fournisseurs et leur motivation. Offrez une récompense à qui vous livrera leur tête, et le problème sera réglé.

En exposant son plan, Vorru savait qu’Isard le rejetterait.

Ce serait pourtant la manière la plus simple et la plus pacifique de se débarrasser des Rogues. Mais le niveau de vie des Xucphrans baisserait, et Isard perdrait leur soutien… ce qu’elle ne peut encore se permettre.

Et elle veut se venger…

— Antilles m’a défiée, dit Ysanne Isard. Il a détruit un de mes destroyers. Je veux qu’il meure, et qu’il sache que c’est moi qui l’ai tué. Enfin, s’il est facile de baisser le prix du bacta, il serait plus difficile de le faire remonter. Proposition rejetée. La suivante ?

— C’est la technique que nous appliquons en ce moment, dit Vorru. Nous cherchons la base d’Antilles. Quand nous l’aurons trouvée, nous la détruirons. Le seul défaut de cette méthode est sa lenteur. Les recherches peuvent prendre trois mois, six mois, un an…

— Trop long. (Isard secoua la tête.) Je ne vais pas laisser Antilles nous ridiculiser si longtemps. Je veux du sang, et j’entends que ses pilotes le versent, ajouta-t-elle en regardant Erisi. Votre « escadron d’élite » parviendra sûrement à tuer quelques civils…

Vorru frissonna.

Halanit a été un désastre, et elle veut recommencer…

— Madame le directeur, protesta-t-il, un nouveau raid nous coûtera inutilement des hommes et des munitions. Et nos clients pourraient ne pas apprécier…

— Le raid prouvera à l’amiral Teradoc et à cet imbécile d’Harssk qu’on ne se moque pas de moi impunément. Quant à l’opinion de nos « clients », elle m’importe peu. J’ai le monopole du bacta. C’est à eux de me plaire, non le contraire.

— Madame, les gens respectent votre puissance… Un nouveau massacre comme celui d’Halanit risquerait de les terroriser…

— La terreur est mon but, Vorru. Mais je prends note de ton inquiétude. Épargnons les « clients » pour l’instant… Ça ne m’empêchera pas d’avoir mon raid. (Isard se tourna vers Erisi, qui pâlit.) Commandant, préparez une expédition punitive contre les Ashems. Trouvez une cible – un dépôt de munitions, un camp rebelle, un village allié – et rasez tout. Pas d’avertissement, pas de pitié, pas de survivants. Le pouvoir est dans mes mains, et je ne permettrai à personne d’en douter.