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Le cadre qui autrefois entourait un miroir et où aujourd’hui étaient exposés les souvenirs des vingt-cinq ans de carrière de Zach Willet avait été posé sur un grand bureau dans une pièce inoccupée en face du bureau de Jeffrey MacKingsley.

Liz Reilly appartenait au service du procureur depuis peu, et elle était impatiente de suivre une affaire criminelle. On lui avait confié la tâche de passer au crible les cartes, lettres et billets collés sur le tableau et d’étudier avec soin chaque photo sur laquelle pourrait apparaître une balle fichée soit dans un arbre, soit dans une palissade voire un hangar. Photos qui pouvaient avoir été agrandies. Il était possible qu’y soient représentées des allées cavalières, peut-être une pancarte avec le panneau DANGER à l’entrée d’une des pistes. Les inspecteurs passaient également au peigne fin l’appartement de Willet, dans l’espoir d’y trouver une balle et sa douille.

Liz avait l’intuition que quelque chose d’important pouvait sortir de l’incroyable fatras contenu dans ce tableau. Passionnée par la recherche des indices, elle sautait sur toutes les occasions de participer à une enquête criminelle, et était arrivée chez Zach immédiatement après le départ de l’équipe médico-légale.

Ce méli-mélo était un endroit idéal pour dissimuler une photo ou un petit objet, se dit-elle. Une cachette bien plus sûre qu’un tiroir par exemple. Le ruban adhésif qui maintenait les photos et les notes était craquelé et sec, et se détachait sans mal du panneau de liège que Zach avait inséré dans le fond. Liz eut bientôt rassemblé plusieurs piles de photos autour du cadre. Elle s’amusa à lire les premières notes de félicitations : « Aux vingt-cinq suivantes, Zach », « À cheval cow-boy », « Bonnes pistes pour toi. »

Elle les inspecta toutes, l’une après l’autre, à mesure qu’elle les ôtait du cadre.

Elle eut bientôt l’impression qu’elle n’aboutirait à rien. Elle continua néanmoins, jusqu’à ce qu’il ne reste que la caricature de Zach au milieu du tableau. Elle avait été dessinée au crayon gras sur un carton épais et était agrafée et non collée sur le panneau de liège. Je ferais aussi bien de l’ôter également, pensa Liz. Après l’avoir détachée, elle retourna la caricature ; collée au dos se trouvait une enveloppe de grand format, scellée par du ruban adhésif. Liz jugea préférable de l’ouvrir devant témoin.

Elle parcourut le couloir jusqu’au bureau du procureur. La porte était ouverte et Jeffrey MacKingsley se tenait debout devant la fenêtre.

« Monsieur MacKingsley, puis-je vous montrer quelque chose ?

– Bien sûr, Liz. De quoi s’agit-il ?

– Cette enveloppe était collée au dos de la caricature de Zach Willet. »

Le regard de Jeffrey passa de l’enveloppe à Liz puis revint à l’enveloppe. « Si c’est ce que j’espère... », dit-il. Sans terminer sa phrase, il alla à son bureau et prit un coupe-papier dans un tiroir. Il fendit le ruban adhésif, ouvrit l’enveloppe et en secoua le contenu. Deux objets tombèrent sur son bureau avec un bruit métallique.

Jeffrey plongea sa main dans l’enveloppe et en retira une lettre manuscrite ainsi qu’une demi-douzaine de photos. Sur la première on voyait en gros plan une main osseuse pointée vers un arbre dans lequel une balle était clairement fichée. Un journal était placé sous le trou et on pouvait lire la date – le 9 mai – et l’année, celle de la mort de Will Barton. Une deuxième photo, une coupure du journal portant la même date, montrait Ted Cartwright arborant fièrement son pistolet.

Une lettre de deux pages, écrite d’une main ferme mais bourrée de fautes d’orthographe et adressée à « toute personne concernée », contenait une description imagée mais étonnamment précise des circonstances de la mort de Will Barton.

Zach racontait comment Ted Cartwright, sur son puissant cheval, avait foncé sur la jument nerveuse que montait Will Barton, cavalier peu expérimenté et incapable de garder son calme. Il racontait avoir vu le cheval de Ted forcer la jument à s’engager sur la piste dangereuse. Lorsqu’elle s’était approchée de la falaise, il avait vu Ted tirer le coup de feu qui avait affolé l’animal, envoyant cheval et cavalier par-dessus bord, vers leur chute fatale.

MacKingsley se tourna vers Liz. « Bravo. C’est une trouvaille d’une importance capitale, sans doute l’élément qui va tout faire basculer. »

Liz était aux anges quand elle sortit du bureau du procureur.

MacKingsley resta seul, plongé dans ses réflexions. Il avait la preuve désormais que tout ce que lui avait dit Celia était vrai. Il fut interrompu à nouveau par l’inspecteur Nan Newman qui se précipitait dans son bureau. « Patron, vous n’allez pas le croire. Rap Corrigan, le gosse qui a découvert le corps de Zach Willet, avait rendez-vous chez nous pour faire sa déposition. Pendant qu’il se trouvait ici, Ted Cartwright est arrivé à la réception avec son avocat. Rap a mis une seconde à réagir quand il a vu Cartwright, et il m’a pratiquement traînée dans le couloir pour me parler. Jeffrey, Rap jure que Ted Cartwright, sans sa perruque blonde, est l’un des deux prétendus déménageurs qu’il a introduits hier dans l’appartement de Zach Willet. »