21
Le
visage tanné Dezach willet, son corps musclé et ses mains
calleuses témoignaient d’une existence passée au grand air. Zach
avait soixante-deux ans et travaillait au Washington Valley Riding
Club depuis l’âge de douze ans. Il avait commencé par nettoyer les
écuries pendant les week-ends. À seize ans, il avait abandonné
l’école pour travailler au club à plein temps.
« Je sais tout ce que j’ai besoin de savoir », avait-il déclaré au professeur qui protestait qu’un garçon aussi intelligent méritait de poursuivre ses études. « Je comprends les chevaux et ils me comprennent », avait-il ajouté.
Un manque d’ambition congénital l’avait empêché de dépasser le stade d’homme à tout faire au Washington Valley. Il aimait soigner et entraîner les chevaux et il s’en contentait. Il pansait les maux mineurs dont souffraient ses amis chevalins, et il savait entretenir et réparer leur harnachement. En complément, il faisait un petit commerce d’accessoires d’occasion à l’intention du milieu du cheval. Il avait deux types de clients : ceux qui remplaçaient leur équipement et ceux dont l’enthousiasme pour l’équitation avait faibli et qui étaient heureux de se débarrasser de l’attirail nécessaire à ce sport coûteux.
Lorsque les moniteurs du club n’étaient pas libres, il arrivait à Zach de donner des leçons d’équitation à leur place, mais ce n’était pas son activité préférée. Il s’irritait à la vue de ces gens qui n’avaient rien à faire sur un cheval et tiraient comme des malheureux sur les rênes, terrorisés dès que leur monture s’ébrouait.
Trente ans auparavant, Ted Cartwright avait mis ses chevaux en pension au Washington Valley. Deux ans plus tard, il avait préféré le Peapack Riding Club, le club voisin plus prestigieux.
Tôt dans l’après-midi du jeudi, la nouvelle de la mort de Georgette Grove s’était répandue au club. Zach aimait bien Georgette. Elle l’avait parfois recommandé à des propriétaires qui cherchaient où mettre leur cheval en pension. « Allez trouver Zach au Washington Valley. Soyez généreux avec lui et il soignera votre cheval comme un enfant », leur disait-elle.
« Pourquoi quelqu’un aurait-il voulu tuer une femme aussi gentille ? » Cette question était sur toutes les lèvres.
C’était à cheval que Zach réfléchissait le mieux. Le sourcil froncé, l’air songeur, il sella l’un des chevaux dont il avait la garde et s’engagea sur la piste cavalière qui montait dans les collines derrière le club. À l’approche du sommet, il obliqua vers un chemin où peu de gens s’aventuraient. La descente était trop raide et il fallait être un cavalier expérimenté pour l’emprunter, mais ce n’était pas la seule raison qui poussait Zach à l’éviter habituellement. Ce qui lui tenait lieu de conscience préférait oublier ce qui s’y était passé de nombreuses années auparavant.
Un type capable de faire ça à celui qui se met en travers de son chemin peut très bien recommencer, se disait-il, tout en maintenant le cheval au pas. Il savait de qui il s’agissait, ça ne faisait aucun doute, il était suffisamment au courant de ce qui se disait en ville pour savoir que Georgette s’était mise en travers de son chemin. Il a besoin du terrain dont elle était propriétaire sur la Route 24 pour construire sa zone commerciale, songea-t-il. Parions que les flics ne mettront pas longtemps à s’accrocher à ses basques. Si c’est lui qui a fait le coup, je me demande s’il a été assez stupide pour utiliser la même arme.
Zach songea à la douille tordue qu’il gardait cachée dans son appartement, au premier étage d’un petit immeuble à Chester. La veille au soir, lorsque Ted Cartwright lui avait glissé une enveloppe au Sammy’s Bar, la menace qu’il avait murmurée ne laissait pas de doute : « Fais gaffe, Zach. Ne tire pas trop sur la corde. »
C’est Ted qui tire sur la corde, pensa Zach en contemplant la vallée à ses pieds. À l’endroit précis où la piste tournait brusquement, il serra les rênes et le cheval s’arrêta. Zach tira son téléphone mobile de la poche de son gilet, visa et appuya sur le déclic. Rien ne vaut une bonne photo, pensa-t-il avec un sourire satisfait en pressant ses genoux contre les flancs de sa monture qui se remit docilement au pas sur la piste hasardeuse.