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Le mardi après-midi à seize heures, Henry Paley regagna l’agence immobilière. « Comment ça s’est passé ? demanda Robin.
– Je crois qu’on a décroché une vente. C’est la troisième fois que les Mueller visitent la maison et, la seconde fois, ses parents à lui les ont accompagnés. Visiblement, c’est le père qui signe les chèques. Le propriétaire était sur place et il m’a pris à l’écart et m’a demandé de réduire ma commission.
– Tel que je vous connais, je parie qu’il a fait chou blanc », dit Robin.
Henry lui sourit. « C’est exact, mais c’était plutôt un ballon d’essai. Je parie que M. Mueller senior lui a parlé, cherchant à faire baisser le prix. C’est le genre de type qui marchanderait pour gagner un penny sur un litre de lait. »
Il s’avança jusqu’à son bureau. « Robin, vous ai-je dit que vous étiez très excitante aujourd’hui ? Je ne crois pas que Georgette aurait approuvé ce pull plutôt révélateur, et je ne crois pas non plus qu’elle aurait apprécié votre petit copain si elle avait su de qui il s’agissait, n’est-ce pas ?
– Henry, je n’aime pas beaucoup ce genre d’allusions, fit Robin d’un ton neutre.
– Bien sûr que vous n’aimez pas. C’était une réflexion au passage, mais je me demande si Georgette n’avait pas des soupçons vous concernant. Peut-être pas, au fond. Elle n’a jamais su que vous sortiez avec Cartwright l’an passé. Sinon, elle vous aurait fichue dehors.
– Je connaissais Ted Cartwright avant de venir travailler à l’agence. Je n’ai jamais eu aucune relation personnelle avec lui. Le fait que je le connaissais n’a jamais ébranlé ma loyauté à l’égard de Georgette.
– Robin, c’est vous qui donniez au téléphone les renseignements concernant les propriétés à vendre. C’est vous qui receviez les visiteurs qui passaient à l’improviste. J’admets que je suis resté inactif pendant un certain temps, mais on ne peut pas en dire autant de vous. Ted vous payait-il pour décourager certains acquéreurs potentiels ?
– Vous voulez savoir s’il me donnait une prime comme celle qu’il vous avait promise pour inciter Georgette à vendre le terrain de la Route 24 ? demanda Robin d’un ton innocent. Non, il ne me payait pas. »
La porte qui donnait sur East Main Street s’ouvrit brusquement. Surpris, ils se retournèrent en même temps pour voir le sergent Clyde Earley pénétrer dans l’agence.
Clyde Earley se trouvait dans la première voiture de police qui était arrivée en fonçant chez Lorraine Smith dans Sheep Hill Road. Après l’avoir écoutée décrire avec épouvante comment elle avait découvert le corps de Charley Hatch, il avait ordonné à l’agent qui l’accompagnait de rester auprès d’elle et il avait traversé la pelouse en courant et fait le tour de la piscine. C’est alors qu’il avait trouvé le corps inanimé du paysagiste.
Il était resté une seconde planté devant lui, animé d’un sentiment de regret. Il n’avait pas l’intention d’admettre qu’il avait délibérément cherché à tourmenter Charley Hatch en laissant le sac-poubelle refermé devant sa maison afin qu’en rentrant de son travail ce dernier se rende compte que son jean, ses baskets et ses sculptures avaient disparu. Mais en contemplant le visage ensanglanté de l’homme qui gisait devant lui, Clyde avait compris que sa mort était devenue inévitable. Pris de panique, Charley avait dû appeler l’individu qui l’avait payé pour vandaliser la maison. Et ce dernier avait alors décidé que Charley représentait un risque inacceptable. Pauvre Charley, pensa Clyde. Ce n’était pas un mauvais bougre. C’était sans doute la première fois qu’il commettait un acte illégal. Il avait dû être bien payé pour ça.
Attentif à ne pas fouler l’herbe autour du corps de Charley, Earley avait examiné la scène. La tondeuse était derrière la maison. Charley s’était donc dirigé vers le fond du jardin pour y rencontrer quelqu’un. Mais qui et pourquoi ? Je suis sûr que Jeffrey va faire vérifier toutes les conversations téléphoniques de Charley. Ainsi que son compte en banque. À moins qu’on ne trouve un paquet de fric caché dans un placard. Une malédiction pesait sur cette maison d’Old Mill Lane. Charley l’avait vandalisée et il était mort. Georgette l’avait vendue et elle était morte elle aussi. Mme Nolan semblait constamment au bord de la crise de nerfs. Où cela s’arrêterait-il ?
D’autres voitures de police étaient arrivées. Clyde s’était occupé d’interdire l’accès de Sheep Hill Road, de boucler le périmètre du crime et de poster un flic au portail afin d’empêcher toute voiture étrangère de pénétrer dans la propriété. « Ce qui inclut les médias », avait-il précisé.
Clyde aimait avoir les choses en main. Il avait été vexé de constater que, dès leur arrivée, les hommes du procureur avaient délibérément tenu la police locale à l’écart. Jeffrey MacKingsley s’était certes montré plus aimable que les autres et avait gardé Clyde dans le périmètre, cependant il ne faisait aucun doute que dans l’ordre hiérarchique, les locaux étaient perdants.
En arrivant sur place, le procureur avait sèchement salué Earley. Oubliées les félicitations sur mon beau travail de policier lorsque j’avais découvert les affaires de Charley tachées de peinture, songea-t-il, amer.
Après que l’équipe médico-légale eut terminé son examen et qu’on eut emporté le corps, Clyde avait décidé de regagner le commissariat, mais il avait changé d’avis en route et s’était garé en face de l’agence Grove dans East Main Street. Il avait vu Robin Carpenter à son bureau en discussion avec Henry Paley. Il voulait être le premier à leur annoncer la mort de Charley Hatch et leur demander s’ils avaient été en contact avec lui, pour une raison ou une autre.
Je ne serais pas surpris que Charley ait été en rapport avec Paley, pensait Clyde en ouvrant la porte d’un air sombre. Je n’aime pas ce type.
« Je suis content de vous trouver tous les deux, dit-il. Vous connaissez Charley Hatch, le paysagiste qui prenait soin de la propriété de Holland Road, n’est-ce pas ?
– Je l’ai vu parfois dans le coin, répondit Paley.
– Il a été assassiné cet après-midi, entre une heure trente et deux heures, alors qu’il travaillait dans une maison de Sheep Hill Road. »
Robin se leva d’un bond, le visage soudain d’une pâleur extrême. « Charley ! C’est impossible ! »
Les deux hommes la regardèrent d’un air surpris.
« Charley était mon demi-frère, gémit-elle. Je ne peux pas croire qu’il soit mort. »