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À une heure, Ted Cartwright passa devant le club house du Washington Valley et se dirigea vers les écuries. « Zach est-il là ? » demanda-t-il à Manny Pagan, l’un des lads employés par le club.
Manny était en train de panser une jument que son propriétaire venait d’entraîner sans ménagement. « Du calme, du calme, ma fille », murmurait-il pour l’apaiser.
« Es-tu sourd ? Je t’ai demandé si Zach était là ! » hurla Cartwright.
Ulcéré, Manny était sur le point de lui répondre : « Trouvez-le vous-même. » Il se reprit en levant les yeux vers Cartwright, qu’il connaissait de vue, en constatant qu’il tremblait de rage. « Je crois qu’il déjeune à l’une des tables de pique-nique un peu plus loin. » Il indiqua un bosquet à une centaine de mètres de là.
Ted Cartwright les franchit en quelques secondes. Zach était en train de manger un hot dog quand il arriva. Ted s’assit en face de lui. « Pour qui te prends-tu, nom de Dieu ? » murmura-t-il d’un ton menaçant.
Zach mastiqua une bouchée de son hot dog et avala une gorgée de soda avant de répondre. « Ce n’est pas une façon très sympa de parler à un ami, dit-il calmement.
– En vertu de quoi te permets-tu d’aller visiter mon lotissement et de dire à mon attachée commerciale que je t’ai fait cadeau de la maison témoin ?
– T’a-t-elle dit que je lui avais téléphoné pour préciser que j’avais l’intention de m’installer pendant le week-end ? » dit Zach en guise de réponse. « Écoute, Ted, l’endroit où je vis est devenu un enfer. Les gosses de la proprio font la fête toutes les nuits, jouent de la batterie au point
de me crever les tympans, et toi tu as cette jolie maison au milieu de ton beau lotissement, et je sais que tu as envie qu’elle m’appartienne.
– J’appellerai la police si jamais tu y mets les pieds.
– Je ne sais pas pourquoi, mais je n’y crois pas vraiment », dit Zach en laissant son regard errer au-delà de Cartwright. « Zach, tu me saignes à blanc depuis plus de vingt ans. Il faut que tu t’arrêtes sinon, un jour, tu ne seras plus là pour continuer. – Ted, ces paroles constituent une menace, et je suis certain que tu n’en penses pas un mot. De mon point de vue, je t’ai épargné la prison pendant toutes ces années. Naturellement, si j’avais parlé à l’époque, tu aurais probablement purgé ta peine aujourd’hui, et tu recommencerais de zéro – sans ta société de promotion, sans ton entreprise de travaux publics, sans tes parcs industriels et tes centres de remise en forme. Tu serais en train de faire des conférences dans des écoles dans le cadre du programme de prévention de la délinquance juvénile.
– Le chantage est aussi passible de prison. »
Cartwright cracha littéralement ces mots.
« Ted, cette maison est une goutte d’eau pour toi, mais elle serait un immense réconfort pour moi. Mes vieux os sont perclus de douleurs et de crampes. J’adore m’occuper de mes chevaux, mais c’est un travail éreintant. Et j’ai aussi un problème de conscience. Suppose que je m’égare dans les parages du commissariat de police de Mendham, et que je leur raconte que j’étais au courant d’un accident qui n’en était pas un, que je leur démontre que j’en ai la preuve. Mais, avant d’aller plus loin, il faudrait que j’aie la garantie de ne pas être poursuivi. Je pense te l’avoir déjà dit. »
Cartwright se leva. Les veines de ses tempes saillaient, prêtes à éclater. Il s’agrippait au rebord de la table de pique-nique comme pour empêcher ses mains de pilonner l’homme qui lui faisait face. « Prends garde, Zach, prends garde.
– Je prends garde, lui assura Zach avec bonne humeur. Ne t’inquiète pas, s’il m’arrivait quelque chose, la preuve de ce que j’avance apparaîtrait au grand jour immédiatement. Bon, il faut que j’y retourne. J’ai une charmante dame qui vient prendre une leçon. Elle habite ton ancienne maison – tu te souviens, celle où on t’a tiré dessus ? Elle m’intrigue. Elle prétend qu’elle a fait du poney de temps en temps dans sa jeunesse, mais elle raconte des craques. C’est une bonne cavalière. En outre, elle semble s’intéresser à l’accident que nous connaissons bien toi et moi.
– Lui en as-tu parlé ?
– Bien sûr. Je lui ai tout raconté sauf le plus intéressant. Réfléchis, Ted. Tu pourrais demander toi-même à ton aimable attachée commerciale, Amy, de garnir le réfrigérateur avant mon arrivée samedi. Ce serait une attention sympathique de ta part, tu ne crois pas ? »