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Après avoir vu la maison vandalisée d’Old Mill
Lane, Dru Perry regagna directement les bureaux du Star-Ledger et rédigea son papier. Elle constata
avec satisfaction que la photo choisie pour l’accompagner était
celle qu’elle avait prise au moment où Celia Nolan s’était
évanouie. « Tu essayes de me piquer mon job ? la taquina
Charlie, le photographe du journal, qui était accouru sur les
lieux.
– Non. J’ai juste eu la chance d’être là au bon moment. »
C’était alors que Dru avait déclaré à son rédacteur en chef, Ken Sharkey, qu’elle voulait écrire un article de fond sur l’affaire Barton. « C’est le sujet rêvé pour ma série “L’Affaire derrière l’affaire”. »
– Vous n’avez aucune idée de l’endroit où Liza Barton pourrait se trouver actuellement ? demanda Sharkey.
– Non, pas le moindre indice.
– Le vrai coup de chance serait de retrouver Liza Barton et d’obtenir sa version des événements de cette nuit-là.
– C’est mon intention.
– Allez-y. Vous connaissant, vous allez dégoter quelque chose d’intéressant. »
Le rapide sourire de Ken Sharkey était une invitation à prendre congé.
« Au fait, Ken, j’ai l’intention de travailler à la maison demain.
– Pas d’inconvénient. »
Lorsqu’elle était arrivée de Washington cinq ans plus tôt, Dru avait déniché l’endroit parfait où habiter. Une petite maison dans Chestnut Street, à Montclair, d’où elle pouvait se rendre facilement au Star-Ledger, à Newark. Contrairement aux gens qui achetaient des appartements et des maisons de ville pour éviter d’avoir à entretenir un jardin et à déneiger, Dru aimait tondre sa pelouse et s’occuper de son petit jardin.
L’avantage supplémentaire était que la gare se trouvait à cent mètres de chez elle et qu’elle pouvait être à Manhattan en vingt minutes sans avoir à subir les encombrements et les problèmes de parking. Fan de théâtre et de cinéma, Dru sortait trois ou quatre fois par semaine.
Tôt le matin, confortablement vêtue d’un sweatshirt et d’un jean, la cafetière électrique branchée à côté d’elle, elle s’installa à son bureau dans la pièce qui aurait pu servir de seconde chambre. Le mur en face d’elle était recouvert d’un panneau de liège. Pendant qu’elle rédigeait un article, Dru y punaisait la documentation qu’elle avait téléchargée sur l’Internet. À la fin, le mur était recouvert de photos, coupures de presse et notes griffonnées qui n’avaient de sens que pour elle.
Elle avait téléchargé tout ce qui concernait l’affaire Liza Barton. Vingt-quatre ans auparavant, le drame avait occupé l’actualité pendant des semaines. Puis, comme dans toute histoire à sensation, les choses s’étaient calmées jusqu’au procès. Lorsque le verdict était tombé, l’histoire avait fait les gros titres à nouveau. Psychiatres, psychologues et pseudo-spécialistes de la santé mentale avaient été invités à commenter l’acquittement de Liza.
« Les psychiatres de service », marmonna Dru en lisant les citations de professionnels qui se disaient tous très préoccupés par le verdict et pour lesquels Liza Barton était un de ces enfants capables de préméditer et d’exécuter un meurtre de sang-froid.
Elle trouva une interview particulièrement vicieuse. « Laissez-moi vous donner un exemple, avait dit le psychiatre interrogé. L’année dernière j’ai soigné une enfant de neuf ans qui avait étouffé sa petite sœur. “Je voulais qu’elle soit morte, m’a-t-elle dit, mais je ne voulais pas qu’elle reste morte.” C’est la différence entre ma patiente et Liza Barton. Ma patiente ne comprenait pas le caractère irrémédiable de la mort. Ce qu’elle voulait, c’était que le bébé cesse de pleurer. D’après les indications que j’ai, Liza Barton voulait que sa mère soit morte. Elle pensait que sa mère avait trahi son père décédé en se remariant. Les voisins ont confirmé qu’elle était sans cesse en opposition avec son beau-père. Je ne serais pas étonné qu’elle ait su feindre ce soi-disant traumatisme quand elle est demeurée sans parler pendant des mois. »
C’était des gens de cette sorte qui avaient contribué à perpétuer le mythe de la Petite Lizzie, pensa Dru.
Dès qu’elle commençait la rédaction d’un de ses reportages, Dru inscrivait toujours sur son tableau les noms mentionnés au cours de l’affaire. Elle avait déjà rempli deux colonnes. La liste commençait par Liza, Audrey Barton et Ted Cartwright. Le nom suivant était celui du père de Liza, Will Barton. Il était mort d’une chute de cheval. Son mariage avec Audrey avait-il été aussi idyllique qu’on le disait ? Dru avait l’intention de le découvrir.
Un nom éveilla son attention. Celui de Diane Wesley. Mannequin, ex-petite amie de Ted Cartwright, elle avait posé pour les photographes lors du procès et rapporté sans se faire prier ce qu’elle avait dit à la barre bien qu’elle fût tenue au secret. Elle avait raconté aux journalistes qu’elle avait dîné avec Ted Cartwright le soir de la tragédie, qu’il lui avait confié qu’il voyait sa femme en secret et que la haine que lui portait l’enfant était la cause de leur rupture.
Le témoignage de Diane aurait accéléré la condamnation de Liza si l’une des amies de la jeune femme n’avait déclaré à la cour avoir entendu Diane se plaindre que Ted l’avait brutalisée durant leur liaison. Dans ce cas, pourquoi avait-elle si complaisamment soutenu la version de Ted lors du procès ? se demanda Dru. J’aimerais bien l’interviewer maintenant.
Benjamin Fletcher, l’avocat commis d’office pour défendre Liza, intéressait également Dru. En cherchant des informations à son sujet, elle avait découvert qu’il avait été inscrit au barreau à l’âge de quarante-six ans, avait pratiqué l’assistance judiciaire pendant deux ans, avant d’ouvrir un cabinet spécialisé dans les affaires de divorce, de testaments et de signatures d’actes immobiliers. Il exerçait toujours à Chester, une ville proche de Mendham. Dru calcula qu’il avait aujourd’hui dans les soixante-dix ans. Elle décida de commencer par lui. Il est probable que le tribunal ne me laissera pas consulter les dossiers des délinquants mineurs. Mais il était clair qu’il n’avait aucune expérience dans les affaires de délinquance juvénile. Pourquoi un avocat relativement inexpérimenté avait-il été nommé pour défendre une enfant accusée de meurtre ?
Les questions étaient plus nombreuses que les réponses. Elle se renfonça dans son fauteuil inclinable, ôta ses lunettes et commença à les tourner entre ses doigts, signe, selon ses amis, qu’elle flairait une piste.