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Le lundi en fin d’après-midi, Charley Hatch était assis dans son séjour et buvait une bière en attendant nerveusement l’appel qu’il devait recevoir d’une minute à l’autre. Il réfléchissait à la manière dont il expliquerait le problème. Je n’y peux rien, pensa-t-il. Après le départ de ce flic, Clyde Earley, vendredi après-midi, j’ai essayé d’appeler le numéro habituel, mais la ligne avait été interrompue et je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait. Ensuite, une minute plus tard, mon téléphone a sonné. On m’a dit d’aller acheter un de ces téléphones mobiles à carte qu’on ne peut pas repérer.

Puis, pour montrer que je prends mes précautions, j’ai mentionné que j’avais remarqué des taches de peinture sur mon jean et mes baskets et que je m’étais donné la peine de me changer avant de faire entrer ce flic. J’ai pensé que ça prouverait que je ne laissais rien au hasard, mais j’ai reçu l’ordre de me débarrasser du jean et des baskets et de m’assurer qu’il n’y avait aucune trace de peinture sur le camion. Finalement, je me suis fait traiter de crétin pour avoir taillé cette sculpture sur la porte.

Donc, pendant le week-end, j’ai fait un ballot du jean et des baskets que j’ai rangé avec toutes mes petites statuettes sur une étagère de la grange. Puis, par précaution, j’ai décidé de m’en débarrasser pour de bon. J’ai même pris la peine de sortir quelques-unes des vieilles fringues que j’avais l’intention de jeter, et je les ai fourrées en même temps que le jean et le reste dans un grand sac-poubelle. J’ai refermé le sac, bien serré, et l’ai mis dans la benne des ordures ménagères. J’ai même vidé le réfrigérateur et rajouté sur le dessus un sac plein de détritus, des restes de cuisine chinoise, une vieille pizza desséchée, du marc de café et des oranges pourries.

Le ramassage a lieu le mardi et le vendredi. J’ai cru bon de mettre mes sacs dans la poubelle dès le dimanche soir. Comment aurais-je pu savoir qu’un imbécile irait fouiller dans mes ordures ? Je parie que c’était ce fouineur de flic, le sergent Earley, et qu’il a trouvé mon jean, mes baskets et mes sculptures. En tout cas, ils ont disparu. Je dois avouer que c’était nul d’avoir enfilé un pantalon de velours côtelé par cette chaleur. Earley l’a remarqué tout de suite. Il m’a même dit quelque chose à ce sujet.

Le téléphone de Charley sonna. La gorge soudain serrée, il prit une profonde inspiration et répondit : « Allô.

– As-tu acheté un autre téléphone ?

– Tu m’as dit de l’acheter. Je l’ai acheté.

– Donne-moi le numéro.

– 973-555-0347.

– Je te rappelle. »

Charley avala une longue gorgée de bière, vida la bouteille. Lorsque son nouveau téléphone sonna, il le saisit. Au lieu de donner son explication soigneusement préparée, il dit tout à trac : « J’ai jeté mes baskets, mon jean et mes sculptures dans la poubelle. Quelqu’un les a récupérés. Je crois que c’est ce flic qui est venu me voir vendredi. » 

Le long silence qui suivit fut pire que l’engueulade à laquelle il avait eu droit précédemment pour avoir sculpté la tête de mort sur la porte de la maison d’Old Mill Lane.

Lorsque son interlocuteur parla enfin, sa voix était calme et unie : « Je peux savoir pourquoi tu avais mis ces affaires dans la poubelle ?

– Les ordures étaient censées être ramassées demain. J’étais trop nerveux à l’idée de les garder dans la grange, répondit Charley sur la défensive.

– Je ne t’ai pas demandé l’horaire du ramassage des ordures. Fourrer ces trucs dans ta poubelle plus d’un jour avant était débile. Tu aurais dû les foutre dans une décharge derrière un supermarché, et on n’en aurait plus entendu parler. Écoute et essaye de piger ce que je te dis. Je ne sais pas qui a tué Georgette Grove, mais si les flics ont une preuve que c’est toi qui t’es chargé du boulot sur la maison des Nolan, ils t’accuseront.

– Ils nous accuseront, rectifia Charley.

– Ne me menace pas, Charley. Je suis pratiquement certain que ce flic n’avait pas le droit de fouiller dans tes ordures et d’en retirer quoi que ce soit sans un mandat de perquisition, donc, même s’ils ont trouvé quelque chose de compromettant, ils ne peuvent pas l’utiliser contre toi. Ils peuvent essayer de te faire cracher le morceau, cependant. Prends un avocat et refuse de répondre à toutes leurs questions.

– Un avocat ! Qui va me payer un avocat ?

– Tu le sais très bien, c’est moi qui paierai. »

Il y eut un silence, puis son interlocuteur dit : « Charley, tu n’auras plus à te soucier d’argent si tu te sors de là sans tout bousiller.

– C’est le genre de nouvelle que j’aime entendre. »

Charley referma brutalement son mobile. Soulagé, il se dirigea vers le réfrigérateur et y prit une autre bière. S’ils ne pouvaient pas utiliser le jean et les baskets contre lui, qu’est-ce qu’il leur restait ? Ses petites figurines montraient sans doute qu’il avait du talent, mais elles ne faisaient pas de lui la seule personne au monde à avoir pu sculpter la tête de mort sur la porte.

Il emporta sa bière à l’extérieur, fit le tour de la grange et contempla son matériel de jardinier – la tondeuse, le taille-haie, les râteaux et les pelles, tous représentaient des heures, des jours, des mois, des années de travail harassant.

Bientôt, je payerai quelqu’un pour tondre ma pelouse, se promit-il.