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L’inspecteur Mort Shelley pénétra dans l’agence avec l’album de Georgette Grove sous le bras. Tous les hommes du bureau du procureur, y compris MacKingsley lui-même, avaient examiné en détail chaque page de l’album, sans trouver une seule coupure de journal pouvant les mettre sur la piste d’une personne que Georgette aurait pu subitement reconnaître. L’album couvrait de nombreuses années, et la plupart des photos représentaient Georgette dans des réunions officielles, recevant une distinction, souriant à côté de gens plus ou moins connus à qui elle avait vendu une propriété dans les environs.

« Elle gardait peut-être cet album dans son bureau, mais la personne qu’elle aurait soi-disant reconnue ne s’y trouve pas », avait conclu Jeffrey.

En revanche, il peut m’être utile, songea Shelley. En le rapportant, j’en profiterai pour avoir un nouvel entretien avec Robin ou Henry.

Robin était à son bureau et leva les yeux en entendant la porte s’ouvrir. Son sourire professionnel s’effaça quand elle vit qui était son visiteur.

« Je viens uniquement vous rendre cet album, comme promis, lui dit simplement Shelley. Et vous remercier de nous l’avoir confié.

– J’espère qu’il a été utile », dit Robin.

Une quantité de papiers jonchaient son bureau et elle s’y replongea, toute son attitude indiquant ouvertement qu’elle préférait ne pas être dérangée davantage.

Avec la mine décontractée d’un homme qui a tout son temps devant lui, Mort s’installa dans l’un des éléments du canapé modulable qui faisait face au bureau de Robin.

Visiblement contrariée, elle leva les yeux vers lui. « Si vous avez une question à me poser, je serai heureuse d’y répondre. »

Mort tira son imposante carcasse de son siège. « Ces coussins sont trop profonds pour moi. Je ferais mieux de m’asseoir sur une chaise.

– Monsieur, euh... excusez-moi. Je sais que nous avons été présentés, mais j’ai oublié votre nom.

– Shelley, comme le poète. Mort Shelley.

– Monsieur Shelley, je me suis rendue hier au bureau du procureur, M. MacKingsley, pour lui raconter tout ce que je savais pouvant être utile à votre enquête. Je n’ai rien à ajouter, et tant que cette agence fonctionne encore, j’ai mon travail à faire.

– Moi aussi, mademoiselle Carpenter, moi aussi. Il est midi et demi. Avez-vous déjeuné ?

– Non, j’attends le retour d’Henry Paley. Il est sorti avec un client.

– M. Paley est très occupé, semble-t-il.

– Oui, il est très occupé.

– Supposons qu’il ne rentre pas avant, mettons quatre heures. Vous ferez-vous livrer un plat tout préparé ? J’imagine que vous n’attendrez pas tout ce temps pour déjeuner, n’est-ce pas ?

– Non. J’accrocherai l’écriteau habituel à la porte puis j’irai en vitesse manger un morceau au café d’en face.

– N’est-ce pas ce que vous avez fait hier ?

– Hier je vous ai dit que j’avais apporté mon déjeuner à l’agence parce qu’Henry devait s’absenter avec un client.

– Oui, mais vous ne nous avez pas dit que vous accrochiez parfois l’écriteau avec la petite horloge en carton juste avant deux heures. La charmante vieille dame qui tient la boutique de rideaux un peu plus loin dans la rue nous a dit avoir remarqué la pancarte sur la porte quand elle est passée hier devant l’agence. Il était deux heures cinq.

– De quoi parlez-vous ? Ah oui ! je comprends où vous voulez en venir. Avec tout ce qui s’était passé, j’avais attrapé un affreux mal de tête. Je me suis précipitée à la pharmacie pour acheter de l’aspirine. Je suis entrée et ressortie en coup de vent.

– Euh, bon. Passons à autre chose. Mon collègue, l’inspecteur Ortiz, s’est entretenu avec votre ex-demi-belle-sœur, si je puis dire.

– Lena ?

– C’est ça, Lena. Vous nous avez dit que vous n’aviez pas parlé à Charley depuis trois mois. Or Lena affirme que vous avez dîné avec lui chez Patsy à New York, il y a moins de deux semaines. Qui dit vrai ?

– Moi. Voilà environ trois mois j’ai téléphoné à Charley parce que ma voiture refusait de démarrer. Il m’a proposé de la faire repartir et de la conduire chez le concessionnaire. Ce soir-là, j’avais rendez-vous avec un ami chez Patsy, et Charley m’y a déposée. Il m’a dit qu’il voulait que je l’invite dans ce restaurant pour son anniversaire et j’ai accepté en riant. Ensuite, lorsqu’il m’a laissé un message sur mon répondeur pour me rappeler mon invitation, je lui en ai laissé un à mon tour, disant que ce n’était pas possible. Le pauvre avait cru que ma promesse était sérieuse.

– Êtes-vous liée à un homme en particulier en ce moment ?

– Non. Je présume que “l’homme en particulier” est Ted Cartwright dans votre esprit. Comme je vous l’ai dit hier, dans le bureau du procureur, Ted est seulement un ami. Nous sommes quelquefois sortis ensemble. Un point c’est tout.

– Une dernière question, mademoiselle Carpenter. L’ex-épouse de votre demi-frère nous a dit qu’en l’absence des propriétaires vous passiez parfois la nuit avec votre ami dans certaines des maisons dont Charley avait la charge. Est-ce exact ? »

Robin Carpenter se leva. « C’est assez, monsieur Shelley. Dites à M. MacKingsley que si lui ou l’un de ses sbires veulent me poser d’autres questions, ils peuvent contacter mon avocat. Je vous communiquerai son nom dès demain. »