L’histoire de ce type qui renifle les femmes l’avait mis en appétit. Il était en manque. En manque de femelles. Les propos du gamin n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Le père passait la nuit à chasser. Lui allait pouvoir s’occuper de sa femme, la belle Zaltana… Depuis le début, elle le désirait, c’était évident. Elle n’attendait que ça. Ce soir, elle allait être servie. Ces Indiennes sont plus nature que les femelles des villes, se dit-il. Il fallait donc y aller cash.
La nuit tombée, Krakus attendit dans sa hutte que la lune se dresse haut dans le ciel pour être certain que tout le monde dorme. Puis il fouilla dans son sac. Il fouilla, fouilla, fouilla et enfin le trouva. Un caleçon shorty, rouge comme une fleur de canne congo, avec quelques lignes noires brodées verticalement, formant un galbe avantageux. Sûr, elle n’aurait jamais vu des mâles parés comme ça. Elle allait être impressionnée. C’est important, ça, de les surprendre. C’est comme ça qu’elles se laissent séduire. Ça les change de leur quotidien.
Il se déshabilla et enfila le caleçon. Il hésita à se rhabiller, puis opta pour son duvet de couchage, qu’il mit en cape sur ses épaules. Plus rapide à retirer.
Il alla se brosser les dents avec du dentifrice à la menthe ultra-forte. Ça allait la changer des sauvages qui avaient sûrement une haleine de caïman. Puis il se peigna soigneusement et observa le résultat dans un miroir miniature qu’il devait déplacer tout autour de son crâne pour parvenir à se voir morceau par morceau. Ses cheveux, pourtant coupés court, formaient un épi. Merde. Il mit un peu d’eau sur ses mains et passa ses doigts sur la mèche rebelle. Il regarda de nouveau dans la petite glace. L’épi le narguait toujours. Furieux, il fouilla de nouveau sans son sac. Il fouilla, fouilla, fouilla et ne trouva rien. Alors il renversa tout son contenu par terre et finit par apercevoir le tube miniature. Un échantillon de gel qu’il avait récupéré d’un client. Il en versa une grosse noix dans la paume de sa main et l’étala soigneusement sur sa tête. Froid et gluant. Ça sentait le malabar à plein nez. Tant mieux. Ça aussi, ça la surprendrait.
Il prit sa torche et sortit. La fraîcheur de la nuit le saisit, et il s’emmitoufla dans son duvet. Le vent soufflait assez fort dans les arbres, agitant les feuilles et les branches dans un sifflement lugubre. Parfait. On les entendrait moins. Il adorait quand les femmes criaient, ça l’excitait beaucoup. Mais là, il faudrait qu’elle se taise pour pas réveiller le morveux dans la pièce à côté. Heureusement, quand il avait fait le plan des huttes familiales, il avait pris soin de bien séparer les chambres par la pièce centrale. De toute façon, le mioche serait encore dans son premier sommeil. Un sommeil de plomb.
L’obscurité était totale. Krakus avança vers le village, ses pieds vaguement éclairés par le faisceau vacillant de sa lampe de poche. En approchant du centre, il vit la lune montante dans une trouée entre les arbres. Il contourna la place où le feu se mourait, offrant au vent ses dernières braises rougeoyantes. Il frissonna et continua son chemin. Enfin, il arriva en vue de la hutte de Zaltana et s’approcha. Aucun bruit. Seul le vent sifflait à ses oreilles, de plus en plus fort. Il regarda attentivement autour de lui. Personne. Il saisit à deux doigts le bord de la porte et l’entrebâilla doucement. Mais une rafale s’en empara et l’ouvrit d’un seul coup, la rabattant violemment contre la cloison. Krakus plaqua son bras pour la maintenir dans cette position et attendit quelques instants sans bouger.
Rien. Pas de réaction à l’intérieur.
Il s’introduisit et tira fermement la porte derrière lui, luttant contre le souffle déchaîné. Le calme qui régnait à l’intérieur offrait un contraste saisissant. L’air était imprégné de l’odeur des palmes de toulouri fraîchement coupées pour habiller les murs. La petite pièce était assez dénudée. Une souche en guise de table. Quelques pots de terre. Deux ou trois linges.
Krakus attendit quelques instants, puis laissa glisser son duvet par terre. Il réajusta soigneusement son caleçon et poussa la porte de la chambre. Zaltana avait bien suivi les consignes : elle avait renoncé à son hamac pour dormir sur une sorte de matelas bourré de paille. Elle était là, ensommeillée, le corps recouvert d’un grand tissu, ses beaux cheveux noirs éparpillés sur le drap écru. Krakus sentit l’excitation monter en lui. Dans quelques minutes, il allait la posséder. Il lui ferait découvrir des positions qu’elle ne connaissait pas. Ces sauvages devaient toujours s’y prendre de la même manière. Basique.
Il fit un pas dans sa direction. Ses seins pointaient sous le drap. Il se pencha, saisit le bord du tissu et tira doucement. Elle ouvrit les yeux et ne réagit pas en le voyant. Comme si elle n’était pas surprise. Il avait eu raison, elle n’attendait que ça.
— Je suis venu te tenir compagnie.
Elle le regarda sans répondre, visiblement encore engourdie de sommeil. Elle serait bientôt très réveillée.
Il inspira silencieusement pour gonfler légèrement ses pectoraux, et acheva de tirer le drap pour la dénuder totalement. C’est alors qu’une vision de cauchemar s’offrit à lui. Il y avait deux bambins dans son lit. Deux mômes qui dormaient, recroquevillés contre elle !
La colère monta en lui subitement.
— Qu’est-ce qu’ils foutent là ? s’écria-t-il.
Zaltana le regarda sans répondre, clignant des yeux.
— J’avais ordonné que les mioches dorment à part, dans leur chambre ! Pourquoi tu l’as pas fait ? Hein ?
Il ressentait un mélange d’impuissance et de frustration.
Elle gardait le silence, mais ne semblait pas le moins du monde perturbée par sa colère. Krakus s’en sentit encore plus diminué.
— Tu te rends compte ?
Non, elle n’avait pas l’air de se rendre compte.
— Tes enfants dorment dans le lit de leurs parents ! Le lit de leurs parents ! Un lieu malsain… un lieu… impur…
Était-elle encore endormie ou faisait-elle semblant de ne pas comprendre ?
— Tu te rends compte qu’ils se retrouvent… dans le lit où ton mari et toi… dans le lit de vos ébats ?
Elle bâilla et cligna de nouveau des yeux, aveuglée par la torche, puis elle se mit à parler d’une voix empreinte de sommeil.
— Roberto, pourquoi as-tu mis ce drôle de pagne pour venir me dire tout ça en pleine nuit ?