Palo Alto,
le 8 juillet 2019

La planète s’arrêta de tourner à 10 heures et 11 minutes à la bourse de New York. Une tentative de prise de contrôle de la société Google venait d’être gelée. La nouvelle fit l’effet d’un 11 Septembre financier. Deux cent trente milliards de dollars avaient été saisis par les autorités boursières sur injonction du gouvernement américain. Toutes les cotations étaient suspendues par décision gouvernementale jusqu’au lendemain matin. Une première dans l’histoire du capitalisme. Un bref communiqué du secrétariat d’État à la Défense indiquait que les services de renseignements étaient au courant de ce projet de rachat de la majorité des actions Google depuis longtemps, et que le gouvernement était en possession de documents prouvant le caractère « hostile à la démocratie américaine et politiquement motivé de l’opération ». Le communiqué évoquait « une opération terroriste ». Le président Fernandez ferait une allocution télévisée dans l’après-midi pour expliquer au monde les raisons de cette intervention. Des preuves seraient fournies à la presse à cette occasion.

 

C’était une matinée superbe en Californie. Wayne soulevait de la fonte sur la terrasse en jetant de temps à autre un œil sur le mur d’écrans. Sergey regardait dix flux d’informations en même temps. La tentative de prise de contrôle de Google faisait disjoncter toutes les rédactions de la planète. Plusieurs milliers de journalistes surexcités s’impatientaient devant la bourse de New York et la Maison-Blanche. La communication avait été soigneusement orchestrée par Borstrom et le directeur de la CIA. Les informations sortaient au compte-gouttes selon un ordre méticuleusement établi. Les journalistes avaient besoin de grain à moudre. Il fallait faire monter la mayonnaise jusqu’à l’intervention solennelle du Président.

 

À 10 h 50, une huile de la CIA indiqua à un journaliste de CNN que le groupe d’investisseurs derrière la tentative de rachat d’une société stratégique américaine était composé de militants bioconservateurs. Le haut responsable indiqua qu’il ne pouvait en dire plus sur leur identité pour le moment, mais souligna que le travail des services de renseignements américains avait permis de connaître le but de cette opération boursière : la destruction de l’intelligence artificielle. Il s’agissait donc d’une opération à visée terroriste sur un secteur vital à l’économie du monde. Le président Femandez avait pris sa décision de saisir les fonds sur la foi d’innombrables documents accablants.

 

Caliente ! Sergey apprécia la prestation du fonctionnaire. Le type avait l’air sérieux et droit, parfaitement convaincant. Une bonne communication de crise nécessitait non seulement des preuves, mais aussi des acteurs à la hauteur. Comme toujours, Borstrom avait fait du bon boulot. Le casting était parfait.

 

La révélation du complot financier envoya les journalistes du monde entier au septième ciel. L’interview faussement improvisée de l’huile de la CIA à sa sortie de voiture tourna en boucle pendant une heure. Après deux semaines d’été sans événement majeur à se mettre sous la dent, la grande roue de l’information reprenait de la vitesse. Elle tournait à présent en sifflant comme une toupie. Les chroniqueurs économiques et politiques ouvraient des yeux ronds sans savoir sur quel pied danser. Les chancelleries occidentales attendaient d’en savoir plus avant de se prononcer. La prudence était de mise. Moscou regrettait de ne pas avoir été mis au courant plus tôt par Washington. Les Chinois déclaraient leur stupéfaction devant une décision unilatérale qui remettait en cause les principes de l’économie de marché. Les pays arabes condamnaient le principe sans oser aller plus loin.

 

Á 11 h 50, heure de New York, Sergey prit la direction de la salle de presse du Googleplex où une forêt de caméras et de micros l’attendait. Sa première déclaration publique depuis une éternité. Wayne lui tapa sur l’épaule et lui souhaita bon courage. Deux gélules neuropacifiantes et une épaisse couche de fond de teint lui donnèrent l’aplomb et la bonne mine d’un entrepreneur au sommet de son art.

 

Il parla deux minutes et seize secondes sur le ton de la surprise et de la consternation. Il venait d’apprendre la nouvelle en se levant et tombait des nues. Il n’avait pas d’informations particulières, et se déclara horrifié qu’une société comme la sienne puisse être la cible d’une attaque d’une telle ampleur. Il félicita les services de renseignements et attendait comme tout le monde l’intervention du président des États-Unis avec impatience. Si les forces bioluddites étaient derrière ce complot dans le but de détruire l’IA, les masques venaient de tomber. Les fondamentalistes avaient montré leur vrai visage. Désormais, chacun pouvait comprendre que la violence et le fascisme étaient du côté des ayatollahs bioconservateurs. Cette regrettable affaire était peut-être un mal pour un bien.

 

Sergey salua les journalistes sans répondre à la moindre question et remonta au pas de charge à son bureau. Eric Schmidt le félicita pour sa prestation. Il passa devant lui sans s’arrêter. Deux minutes et seize secondes de mondanité étaient plus qu’il ne pouvait en supporter.

 

 

 

Sergey s’effondra dans son fauteuil, vidé et satisfait. Il avait fait le plus dur. Il avait joué sa partition. Il lui suffisait à présent d’assister à la fin du film depuis sa tanière. Wayne avait enlevé son tee-shirt et reluquait ses triceps dans un miroir, peu concerné par la suite du scénario.

 

Borstrom appela de Washington. Brain caressait la cicatrice sur son crâne et répondit à contrecoeur.

 

— Bonjour, Sergey.

 

— Nick.

 

— Vous avez été parfait, monsieur.

 

— Dites-moi quelque chose que je ne sais pas.

 

— Même ces demeurés de Fox News ont été forcés de le reconnaître.

 

— Pourvu que Rupert Murdoch les fasse tous virer, Nick.

 

— Le téléphone sonne comme jamais à la Maison-Blanche. Le Président est harcelé par tous les chefs d’État. Les réactions sont positives, monsieur. La suite des événements devrait conforter la tendance.

 

— Parfait. Comment sentez-vous le Mexicain ?

 

— Nerveux comme un chat sous amphétamines, monsieur. Son médecin a dû lui donner des pilules. Il répète en ce moment son allocution pour se donner du courage.

 

— Quid de Milton Earle ?

 

— Je vais découvrir les images en même temps que vous, monsieur. Le FBI vient de passer à l’action. C’est une question de minutes…

 

— Bon travail, Nick.

 

Á 12 h 30, toutes les télés balancèrent les images de l’interpellation de Milton Earle. « Nouveau rebondissement dans la tentative de prise de contrôle terroriste de la société Google. Nous venons de recevoir ces images à l’instant », dit le présentateur de CBS. On voyait le sénateur du Texas, visage buriné, yeux hagards, sortant de l’hôtel Four Seasons de New York, protégé par un escadron de flics avec des blousons FBI. La cohue des photographes et des cameramen rappelait l’arrivée de John Gotti au tribunal. Milton Earle, menottes dans le dos, hurlait des obscénités aux fonctionnaires qui le prenaient en tenaille. Il passait un sale moment. Des veines grosses comme des câbles battaient à ses tempes. Il avait l’air coupable, dingo, et susceptible de claquer d’une crise cardiaque d’un instant à l’autre. Les agents le poussèrent sans ménagement dans un van noir aux vitres teintées et le convoi démarra toutes sirènes hurlantes. Sergey caressa sa cicatrice en plissant les yeux de bonheur.

 

Un porte-parole du FBI calma la foule de journalistes en répondant sèchement à quelques questions devant l’entrée du Four Seasons.

 

Oui, le sénateur des États-Unis Milton Earle avait été arrêté pour répondre de plusieurs chefs d’accusation liés à la tentative de prise de contrôle de la société Google.

 

Oui, d’autres arrestations avaient eu lieu, et d’autres suivraient dans la journée, aux États-Unis et peut-être à l’étranger. Les services de renseignements travaillaient main dans la main avec les services des pays alliés.

 

Non, il ne pouvait pas donner l’identité des présumés complices.

 

Non, le sénateur ne bénéficiait pas d’une immunité liée à son statut. La loi Obama ne nécessitait plus l’accord du Congrès. Le sénateur serait traité comme n’importe quel citoyen soupçonné d’avoir participé à un acte de sabotage contre un intérêt stratégique américain.

 

Oui, de plus amples informations seraient communiquées à la presse dès que possible.

 

Le type remit ses lunettes de soleil et décampa en déclarant qu’il ne pouvait en dire plus pour le moment. Crépitements de flashs, forêt de micros tendus, brouhaha de questions.

 

 

 

Anne lui laissa un message, visiblement affolée par la nouvelle. Elle arrivait à peine d’un voyage au Japon. Wayne l’encouragea à répondre. Elle le méritait, dit-il. Sergey se sentit suffisamment d’attaque pour parler à sa femme. Il s’enferma dans la salle de bains et prononça son nom. Le GPS tracker indiqua qu’elle se trouvait sur le tarmac de l’aéroport de Moffett Field, à quelques centaines de mètres du Googleplex.

 

— C’est moi, murmura-t-il.

 

— Comment vas-tu ? Qu’est-ce qui se passe ? Je viens de voir ton intervention à la télé…

 

— Tout va bien, ne t’en fais pas. On dirait que pour une fois Washington a fait du bon boulot.

 

— Je veux te voir, dit-elle. Puis-je venir te voir ?

 

— Pas maintenant. Pas possible…

 

Il réalisa soudain, le téléphone collé à l’oreille, à quel point Anne ne signifiait plus rien pour lui. Il fixa le sol en carrelage à la recherche d’une émotion, d’un sentiment égaré au plus profond de lui-même. Il n’y avait rien. Elle lui parlait avec chaleur, mais sa voix le laissait de marbre. Il avait changé. Il n’était plus le même homme. Chaque jour l’éloignait un peu plus de cette femme qu’il avait aimée dans une autre vie.

 

— Sergey, s’il te plaît. Je t’ai vu à la télévision. Tu es en pleine forme. Je veux te serrer dans mes bras…

 

— Je te rappellerai quand les choses seront rentrées dans l’ordre.

 

Elle pleura doucement.

 

— Sergey, je t’en prie…

 

Il raccrocha et se sentit coupable. Sa bonne humeur s’était envolée en l’espace d’une minute de conversation avec sa femme. Anne était toxique. Elle le détournait de l’essentiel et le mettait mal à l’aise. Il posa son front contre la paroi de marbre glacée et demeura immobile de longues minutes. Anne rappela trois fois. Il ignora ses appels et retourna devant le mur d’écrans, livide. Wayne le regarda avancer comme un zombie et n’osa pas lui demander un compte rendu de leur conversation.

 

Á 12 h 37, les images des arrestations de Francis Fokuyama et de Léon Kass redonnèrent de la vitesse à la grande roue médiatique.

 

Les éditorialistes bioconservateurs de Fox News parlèrent de chasse aux sorcières. Le président Fernandez profitait de la situation pour régler ses comptes avec les anciens conseillers de George Bush Jr. Même l’ancien président, depuis son ranch médicalisé de Crawford, y alla de sa déclaration de soutien à ses vieux amis. Bill O’Reilly, la vedette de la chaîne, décréta que toute cette histoire sentait mauvais. L’IA de Google n’était à ce jour pas plus intelligente qu’un cafard attardé mental. Qui serait assez fou pour dépenser des centaines de milliards de dollars pour un cafard en silicium ? O’Reilly parla d’une manipulation possible du président Fernandez, un traître à son propre camp, et invita les citoyens américains, les vrais patriotes, à se montrer méfiants. Les transhumanistes n’étaient-ils pas prêts à tout pour imposer aux hommes leur mode de vie dérangé ?

 

Á 12 h 45, la Maison-Blanche livra aux médias des extraits d’enregistrements vidéo calientes. On y voyait le sénateur Earle, Kass et Fokuyama parlant ouvertement de leur projet de destruction de l’IA dans une suite d’hôtel à La Havane. À 12 h 46, les éditorialistes de Fox News tiraient des têtes d’enterrement. O’Reilly était tétanisé. La régie envoya une longue page de pub pour que l’équipe retrouve une contenance.

 

Á 13 h 12, Al Jazeera annonça le suicide du sultan de Brunei. Le vieil homme faisait partie de la liste des investisseurs. Une source officielle du sultanat confirma qu’il était un des principaux bailleurs de fonds de l’opération.

 

Á 13 h 30, le milliardaire mexicain Carlos Slim se présenta devant la presse pour signifier sa participation à la tentative de prise de contrôle de Google. Il affirma qu’il ignorait tout des intentions terroristes, supposées ou réelles, du sénateur Milton Earle. Sa participation n’était rien d’autre qu’une opération de business comme une autre. Earle lui avait présenté l’idée comme un simple investissement, en aucun cas comme un complot contre Google. Slim jura la main sur le cœur qu’il avait le plus grand respect pour la société de Mountain View, s’excusait d’avoir été trompé, et souhaitait toujours entrer au capital de Google, « une compagnie innovante au futur pavé d’or ».

 

Á 13 h 49, un communiqué du secrétaire d’État indiqua qu’une liste des personnes impliquées dans le raid financier contre Google avait été transmise aux autorités de six pays. Des dossiers précis réunis par la CIA, prouvant leur participation active, avaient été fournis avec ce listing. Les États-Unis ne demandaient pas d’extradition, et faisaient toute confiance à la justice de ces pays pour juger sur pièces.

 

Toujours plus de grain à moudre. Le grand moulin à café médiatique tourbillonna de plus belle, Wizzzzzzzz. Les professionnels de la spéculation géopolitique spéculèrent. Le nom de la Chine était dans toutes les bouches.

 

Á 14 h 15, l’ambassadeur de Chine aux États-Unis nia « avec la plus grande fermeté » les rumeurs mensongères qui circulaient.

 

Á 14 h 30, le porte-parole de la Maison-Blanche profita d’un point presse pour confirmer que la Chine n’était pas concernée par cette affaire.

 

 

 

Nick Borstrom rappela. Sergey répondit dans un demi-sommeil provoqué par la longueur du film et les gélules de marijuana. Il se sentait comateux, vide, vaguement déprimé. Il était le moteur du transhumanisme, le cerveau derrière cette opération. Pourtant le monde n’en saurait jamais rien. Le Mexicain allait soulever la coupe à sa place. Il serait le sauveur des oubliés de la croissance. Jeff Fernandez deviendrait l’homme grâce à qui les perdants de la guerre économique allaient raccrocher les wagons. Cette idée lui retournait les tripes.

 

Borstrom le tira de sa léthargie avec le récit circonstancié du bordel colossal causé par le gel des fonds et l’arrestation du sénateur du Texas. La Maison-Blanche était une ruche sens dessus dessous, où s’écharpaient militaires, lobbyistes et gros bras du Parti républicain. On n’avait pas connu une telle effervescence à Washington depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Des visioconférences avaient lieu dans toutes les pièces disponibles. Plusieurs milliers de cameramen faisaient le pied de grue sur Pennsylvania Avenue. Jeff Femandez était dans un état de fébrilité terrible. Il suait comme un cochon. La climatisation du Bureau ovale était réglée au maximum pour lui éviter de transpirer pendant son intervention. Le staff présidentiel avait enfilé pulls et manteaux pour tenir le coup. Sergey s’imagina à la place du Mex et sa jalousie s’évapora comme par miracle. Il n’aurait voulu être à sa place pour rien au monde. La politique était un job idiot. On en prenait plein la figure pour un salaire de misère. Fernandez n’était qu’un pantin, un passeur de plats qui retomberait tout en bas de la chaîne alimentaire à la fin de son mandat.

 

— Les militaires sont furieux de ne pas avoir été mis dans la confidence, monsieur, ricana Borstrom. Le général McKinley a donné un coup de tête à un blanc-bec du service communication qui voulait lui interdire l’accès au bureau du secrétaire d’État.

 

— Les hommes en vert sont des brutes condamnées à disparaître, Nick. Et ils le savent.

 

— Le milliardaire indien Lakshmi Mittal vient d’être arrêté dans son ignoble palais plaqué or de Bombay. Le Premier ministre indien a appelé Fernandez en personne pour l’assurer de la coopération de son pays.

 

Mittal soutenait l’opposition bioconservatrice depuis des années…

 

— C’est un grand jour pour la science et l’avenir de l’homme, Nick.

 

— Les dominos bioluddites tombent les uns après les autres, monsieur.

 

— La route de la singularité s’est dégagée. Nous avons atteint le sommet du col. Nous pouvons reposer nos fesses sur la selle et nous laisser descendre tranquillement jusqu’à l’arrivée…

 

— Lance Armstrong aimerait cette image, monsieur.

 

 

 

À quinze heures tapantes, deux milliards de téléspectateurs, la plus forte audience depuis la finale de la Coupe du monde de football 2018 entre la Chine et les États-Unis, regardèrent l’allocution du président des États-Unis en direct du Bureau ovale.

 

Jeff Fernandez apparut tendu, mais sa voix ne flancha pas. Il lut le prompteur avec l’intonation adéquate. Le Mex évoqua la tentative de raid sur Google avec un air grave de circonstance. Les forces rétrogrades bioconservatrices avaient tenté de s’attaquer au mode de vie transhumaniste en visant la société Google, symbole de la réussite économique américaine, et futur moteur du progrès scientifique. L’attaque avait été déjouée, et les fonds saisis. Dans les prochaines heures, la Maison-Blanche donnerait à la presse tous les détails de cette opération terroriste déguisée en opération boursière.

 

La deuxième partie de son allocution s’adressait directement aux Européens. L’heure du speech n’avait pas été choisie au hasard. La plupart des Européens étaient chez eux, en famille, plantés devant la télévision. Fernandez s’invitait en prime time dans le salon des miséreux du Vieux Continent.

 

Sergey observait son numéro de Captain America basané en caressant machinalement sa cicatrice. Wayne était assis à ses côtés, un verre de jus d’orange à la main. Tout ce cirque le laissait perplexe. Après une destruction en règle de l’idéologie bioconservatrice, qui avait ruiné l’Europe et laissé sur le carreau la Russie et l’Amérique du Sud, Fernandez cita une partie du discours prononcé sur le campus de l’université de Harvard par George Marshall le 5 juin 1947 : « Il est logique que les États-Unis fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour aider à la reconstruction économique du monde. Il ne saurait y avoir de stabilité politique et de paix dans le monde sans un juste partage des richesses. Notre plan de sauvetage de l’Europe n’est pas dirigé contre un pays, mais contre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos. Tous les gouvernements qui le souhaiteront recevront l’assistance financière des États-Unis. »

 

Plus de soixante-dix ans après, Fernandez se glissait dans les souliers de Truman et tendait la main aux victimes de la guerre. L’ennemi n’était plus nazi et communiste, mais bioconservateur. La guerre n’était plus militaire, mais philosophique et économique. Fernandez vanta les mérites du confortable mode de vie américain, financé par la fabuleuse convergence des technologies NBIC. Il déclara anormal et scandaleux que la moitié de l’humanité ne puisse avoir accès à la médecine régénérative et à la génomique. L’aveuglement idéologique des politiciens bioconservateurs avait poussé une trop large partie du monde vers la banqueroute. Le vieux concept social-démocrate de l’État-providence avait périclité par la faute des ennemis de la science. Les lobbies religieux et écologistes avaient contribué à la marginalisation de millions d’innocents. Fernandez annonça que les États-Unis promettaient une aide conséquente à tous les pays qui abandonneraient leurs lois bioéthiques d’un autre âge et souhaitaient retrouver la prospérité. Il en allait du bonheur des peuples. Il en allait de l’équilibre du monde et du développement de la démocratie.

 

Sergey ne put s’empêcher de le trouver très bon. Le constat était dur à avaler, mais Fernandez passait bien à la télé. Le Mex lisait un texte, mais il y mettait de la conviction. Plus les minutes passaient, plus il était à son aise. Même Obama n’avait jamais été aussi convaincant. Le speech présidentiel était lumineux.

 

Fernandez rappela aux Européens le terrible attentat de Madrid, perpétré par des terroristes musulmans, au nom de la même folie bioluddite qui s’attaquait aujourd’hui à Google. Son visage se referma pour annoncer que l’origine des deux cent quarante milliards de dollars – soit six cents milliards d’euros — saisis par les autorités boursières serait connue dans les prochaines heures. Il annonça lentement, en détachant chaque mot, que les candidats au rachat de Google impliqués dans le complot visant à détruire l’IA ne reverraient jamais leur argent. Le gouvernement américain s’engageait à doubler la totalité de la somme confisquée aux terroristes pour financer un gigantesque plan Marshall 2. Ses mots provoquèrent une explosion de joie au sein de millions de familles désespérées.

 

Les chômeurs de Paris, Moscou et Buenos Aires allaient bientôt porter des tee-shirts à son effigie. La « fernandezmania » était sur les rails. Des foules considérables allaient descendre dans la rue pour réclamer le pognon. Aucun gouvernement ne pourrait résister à la vague transhumaniste. Les écologistes du Larzac et du bassin de la Ruhr devaient s’étrangler devant leur télé. Les OGM allaient débarquer sur l’Europe comme les GI’s en 1944 : sous les putains de vivats ! Les curés italiens allaient se jeter du haut de leur clocher. Les chevelus du mouvement Décroissance et Frugalité allaient s’immoler par le feu sous la tour Eiffel. La technorévolution était lancée.

 

Les leaders bioconservateurs avaient voulu payer pour détruire le moteur du transhumanisme et stopper le progrès. Ils allaient payer pour leur propre disparition.

 

Á dix-sept heures, la BBC annonça la mort de Rupert Murdoch, terrassé par une crise cardiaque pendant le discours du président des États-Unis.