OMBRE

Seth n’aurait pas été aussi calme s’il avait su que Matthias ne se trouvait pas à Parallon… mais à Londres, à quelques kilomètres de lui, pelotonné dans un canapé moelleux bien qu’un peu défoncé, contre Elena, la fille du café qui avait prêté des vêtements à Seth.

Matthias n’était pas idiot. Et récemment, les activités de Seth lui avaient mis la puce à l’oreille. Ou son manque d’activités, pour être plus précis. Seth n’était pas homme à lambiner à la villa, par épuisement. Il suivait une routine quotidienne rigoureuse : course dès l’aube, entraînement l’après-midi. Et peu importaient les distractions alléchantes que Matthias lui proposait. L’emploi du temps de Seth était réglé comme du papier à musique ; Matthias ne pouvait que remarquer le changement. Il ne voulait pas que Seth replonge dans la dépression qui l’avait accablé si longtemps.

Malgré le nombre de personnes et de divertissements qui jalonnaient la vie de Matthias, Seth passait en premier. Matt aimait beaucoup Georgia, mais il s’intéressait aussi à Claire, vu qu’elle ne semblait pas plaire à Seth. À vrai dire, dès qu’il s’agissait de filles, Matt était intéressé. Voire passionné. Si l’une d’entre elles lui prêtait attention, il réagissait vite. En parallèle, il ne comprenait pas pourquoi Georgia se mettait en colère quand il passait la soirée en compagnie de Claire, ou d’Anna, ou de Rebecca. Cela n’avait rien de déloyal. Ils disposaient de tout le temps du monde, sans la moindre contrainte. Pourquoi ne pas en profiter ?

Matthias avait toujours aimé les filles, au sens purement physique. Pas question de tomber amoureux ! Encore moins de penser au mariage ! Même à Londinium, ses rêves de liberté n’incluaient pas l’achat de terres ou le choix d’une épouse. Matt souhaitait agir à sa guise et en profiter un maximum. Parallon lui offrait cette opportunité et il ne comptait pas s’en priver. Pourquoi Seth ne voyait-il pas les choses ainsi ? Pourquoi se pensait-il en mission ?

Mais Seth était la seule personne qui comptait vraiment aux yeux de Matthias. La seule qu’il aimait. Alors que lui arrivait-il ? Seth lui cachait forcément quelque chose et il espérait bien découvrir quoi.

Aux aurores un jour, il avait donc suivi Seth dehors. Celui-ci portait sa veste de survêtement et un short. Il n’était pas question que Matt le file à pied vu que son ami courait aussi vite que le vent. Pendant une seconde, Matthias faillit abandonner, quand il se souvint de la Ford de Georgia, garée dans l’allée. Par chance, elle lui avait appris à conduire, même si sur le moment il n’en avait pas vu l’utilité. Matthias récupéra les clés sur la table de l’entrée et fonça. Il demeura à une distance raisonnable de son ami qui prenait la direction du fleuve.

Un homme grand et mince l’attendait. Ils discutèrent quelques minutes avant de se rendre sur la berge. Matthias se gara de l’autre côté du pont et descendit aussi discrètement que possible. Une seconde ils parlaient au bord de l’eau ; la seconde suivante ils avaient disparu. Matthias se précipita pour les secourir. Aucun signe d’eux. Son estomac se noua. Seth avait-il de nouveau des envies de suicide ? Il était sur le point de sauter à son tour quand les deux hommes réapparurent à la surface. Matt bondit derrière un tas de tonneaux tandis qu’ils se hissaient sur la berge, trempés jusqu’aux os.

Matthias se frotta les yeux : ils portaient des habits totalement différents !

Puis ils s’engouffrèrent dans un grand bâtiment et, environ dix minutes plus tard, Seth ressortit vêtu d’une tenue de sport sèche. Matthias ne prit pas la peine de se cacher cette fois-ci. Il savait où Seth se rendrait : à la villa.

Il arriva quelques minutes avant le gladiateur.

— Café ? lui demanda-t-il nonchalamment quand Seth pénétra dans la cuisine.

Seth ne réussit pas à masquer son étonnement de le voir debout si tôt.

— Oui, merci, répondit-il en se posant sur une chaise.

— Tu es allé où ? s’enquit Matt sur un ton aussi banal que possible.

— Comme d’habitude.

Matt n’insista pas : il n’en saurait pas davantage.

Le lendemain, il se trouvait déjà dans la Ford quand Seth sortit de la maison en survêtement. Matt répéta les mêmes gestes que la veille, mais cette fois-ci, quand son ami et l’inconnu sautèrent dans le fleuve, il plongea lui aussi. Il le regretta dès qu’il fut happé par l’atroce vortex qui l’attirait dangereusement vers le fond.

Une seule pensée l’aida à supporter cette épreuve terrifiante : ne pas perdre Sethos.