SURCHARGE
Seth s’entendit respirer. Il était donc… vivant. Le martèlement dans sa tête en témoignait. Il remua une main, tenta de deviner où il se trouvait. Des images s’entrechoquaient dans son esprit, des images connues tout en étant inconnues.
Où était-il ? Dans l’arène ? Il tendit la main. Non, il n’y avait pas de sable. Il se tenait à l’horizontale, étendu sur le dos. Une surface dure sous lui. Les yeux fermés. Lessivé.
Il se laissa un peu aller puis se réveilla en sursaut. Il bougeait. Quelqu’un l’avait saisi par les pieds et le traînait sur le sol.
Il grommela, essayant de se concentrer. Il avait les idées tellement embrouillées qu’il ne parvenait pas à réfléchir. Venait-il d’être blessé dans l’arène ? Protix était-il mort ? Non, il y avait très longtemps que cela s’était passé…
Peu à peu, il revint à lui. Il ne pouvait pas être dans l’arène puisqu’on le traînait au bas de plusieurs marches.
— Argh ! lâcha-t-il quand il leva les bras pour se protéger la tête.
Il ouvrit les yeux et murmura :
— Zachary ?
Celui-ci se tourna vers lui et, à cet instant, il comprit que ce type allait le tuer.
Il s’efforça de se raisonner. On ne mourait pas à Parallon, pas vrai ?
Malgré son état d’affaiblissement extrême, il put compter sur son fameux instinct de survie. Ils se rendaient au fleuve !
Essoufflé, Zachary grognait sous l’effort, mais ils étaient pratiquement arrivés. Seth chercha avec affolement un objet auquel s’accrocher – un mur, un poteau, n’importe quoi pour arrêter sa progression.
Ils habitaient Parallon et, comme il l’avait souhaité, un poteau en bois apparut à côté de lui. Il s’y accrocha à deux bras.
Zachary tituba et manqua de lâcher les jambes de Seth, ce qui lui donna l’occasion de frapper son ravisseur. Tandis que Zachary basculait en arrière, Seth bondit sur ses pieds et imagina un poignard dans sa main.
Zachary se leva lentement et, l’air froid, fit face à Seth.
— Un pauvre poignard ne te sera d’aucune utilité, tu le sais.
Seth écarquilla les yeux. Il ne parlait pas latin mais utilisait la langue inconnue, celle dans laquelle il conversait avec les autres ! Seth ne pouvait l’expliquer, mais une partie de son cerveau la comprenait désormais.
— Je n’en ai plus besoin, déclara Seth dans la langue de Zachary, avant de jeter le couteau par terre.
L’homme plissa les yeux, jaugea le physique impressionnant du gladiateur devant lui et sut que Seth avait raison. Il chercha un allié autour de lui.
Seth l’observait, mal à l’aise.
— Pourquoi me détestez-vous ? lui demanda-t-il.
— Mauvaise question, Sethos.
De colère, Seth serra des dents mais patienta.
— Je ne te déteste pas, grogna-t-il. Comment le pourrais-je ? Tu es à présent la chose la plus proche de moi qui ait jamais existé…
Seth n’en revint pas. Cela n’avait aucun sens !
— Pourquoi vouloir ma mort ?
— Meilleure question. Réponse simple : Parallon est trop petit pour nous deux.
— C’est pour cette raison que vous m’avez expédié à Londinium ?
— Je ne t’ai pas « expédié » à Londinium. J’ai présumé que tu voulais te rendre là-bas. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas comment tu as pu survivre. Tu es resté trop longtemps…
— Juste une nuit.
— Une nuit entière dans ton temps ? Impossible. J’ai mesuré le séjour le plus long : personne ne survit plus de deux heures. Tu n’as pas eu l’impression de disparaître ? Que ta vie filait entre tes doigts ?
Seth haussa les épaules, préféra ne pas se rappeler la lutte incroyable contre lui-même pour s’obliger à regagner le fleuve.
— Soit tu as une force exceptionnelle, soit tu as eu une chance extraordinaire. C’est l’instinct primaire qui nous pousse à vouloir assister à notre propre mort, voilà pourquoi tu es arrivé là-bas. Ton séjour a duré trop longtemps, tu aurais dû être piégé dans ton propre temps.
— Piégé ?
— Oui ; tu ne repars jamais. Tu deviens un fantôme.
— Vous espériez que je subisse ce sort.
— Bien entendu ! Explique-moi pourquoi tu es revenu ? Tu en avais assez de Parallon !
Seth allait lui mentionner Matthias quand il changea d’avis. Zachary ne savait rien de son ami et, selon lui, il était dans l’intérêt de Matt que cela demeure ainsi.
— Non seulement tu survis à la visite, mais tu survis au vortex. Tu reviens, tu pénètres par effraction dans mon bureau, tu te connectes à mon terminal et tu…
— … parviens on ne sait comment à acquérir des connaissances qui ne sont pas utiles à un esclave en temps normal, compléta Seth.
— Et ce n’est rien de le dire.
— Zachary…
— Sethos, l’interrompit celui-ci, les deux mains en avant. J’ai besoin de réfléchir. Laisse-moi à présent. Nous reparlerons demain matin. Retrouve-moi ici à onze heures.
— Onze heures ? Comment évaluerai-je le temps ?
— Pour l’amour de Dieu, Sethos, nous sommes à Parallon. Procure-toi une montre !