LE FIANCÉ

Londinium, 152 apr. J.-C.

Cassius Malchus, le fiancé de Livia, était assis dans son bureau en compagnie de Blandus, son comptable en chef. Blandus déroulait des rouleaux et Cassius vérifiait les colonnes de chiffres. Chaque rouleau contenait un audit des taxes collectées dans les provinces de Britannia les trois mois précédents – un audit rondement mené.

En tant que procurateur, Cassius était responsable de la collecte, de la distribution et de la répartition de l’argent. Il s’agissait d’une position éminente et honorable, qui convenait à un homme de grande intégrité. Malheureusement, tyran sans scrupules et âpre au gain, Cassius ne correspondait pas à cet idéal. Le rôle de procurateur lui conférait donc un pouvoir immense et dévastateur.

À la tête d’une telle richesse, il achetait qui il voulait, sachant que tout homme était corruptible si les enjeux en valaient la chandelle.

Blandus, son ingénieux comptable, lui était redevable depuis treize ans, le jour où Cassius était tombé sur ses activités commerciales frauduleuses. Quand son escroquerie parvint aux oreilles de Cassius, Blandus avait déjà accumulé une petite fortune. La condamnation romaine pour un tel crime était le bannissement et la saisie de tous les biens. À la place, Cassius lui offrit la position importante et lucrative de comptable en chef. Il lui suffisait de continuer ses écritures créatives sur une bien plus grande échelle.

Cassius savait qu’il pouvait avoir totalement confiance en Blandus. Primo, celui-ci risquait très gros financièrement et secundo, il voulait vivre. Personne ne comprenait mieux que lui la profondeur et l’étendue de la cruauté de Cassius. S’il souhaitait un jour se dégager des liens qui le liaient au procurateur, ni lui, ni sa femme, ni leurs deux fillettes ne verraient le jour suivant se lever.

Quand Cassius eut terminé de signer les audits de la province, Blandus se racla la gorge.

— Nous avons rencontré un petit problème avec Janus, le marchand d’olives.

Cassius pencha la tête vers Blandus et attendit.

— Il a exprimé un certain… malaise devant sa… « prime d’assurance ».

Cassius haussa les épaules.

— Eh bien il aura la visite de la garde spéciale demain.

La garde spéciale possédait des talents spécifiques. Les trois colosses les plus doués – Otho, Pontius et Rufus – patientaient sans mot dire à la porte. Personne n’entrait sans être invité. Ces trois-là le servaient depuis la légion. Cassius, leur capitaine à l’époque, les avait surpris en train de battre à mort deux autres soldats pour une dette de jeu. Il avait immédiatement reconnu en eux la soif de sang sadique dont il aurait besoin au cours de son activité future. Au lieu de leur infliger une punition, il les embaucha. Afin de cimenter leur engagement et leur obéissance, il leur procura des épouses richement dotées.

La sauvagerie et l’insensibilité de ces guerriers faisaient d’eux des gardiens efficaces et puissants, mais aussi des collecteurs d’impôts parfaits. Même si Cassius n’avait pas besoin de sa garde spéciale pour ses recouvrements officiels, ils étaient responsables de l’application de sa « prime d’assurance » additionnelle, celle que les propriétaires de magasins et les marchands payaient pour protéger leur propriété des incendies et du vandalisme… deux dommages qui arrivaient inexplicablement s’ils ne s’en acquittaient pas. En général, un entrepôt rempli d’un stock inutilisable suffisait à ouvrir la bourse d’un marchand, mais s’il refusait encore de régler la taxe, un membre de sa famille finissait très vite par flotter sur le ventre dans la Tamesis, le fleuve vaste et profond de Londinium. Une troisième visite de la garde spéciale était rarement nécessaire.

Bien que Cassius eût un réseau immense et compliqué d’agents à son service, ces trois-là travaillaient pour lui depuis le début et diligemment. Ils aimaient leur emploi et il les estimait.

Cassius scellait le dernier rouleau quand Otho frappa avec déférence à la porte et entra.

— Qu’y a-t-il, homme ? demanda Cassius, les sourcils froncés.

— Monsieur, Domitus Natalis et les dames Flavia et Livia vous attendent.

— Ah ! Merci, Otho. Conduis-les dans l’atrium et offre-leur du vin épicé. J’arrive tout de suite.

Cassius rangea les rouleaux dans son coffre-fort et tourna la lourde clé en fer.

— Blandus, il me faudrait des fonds supplémentaires. Je veux que mon mariage soit un événement mondain digne d’un empereur.