CHALEUR

Sainte-Magdalen, 2012 apr. J.-C.

Je fermai la porte du labo de bio et retournai devant l’écran. Cette histoire m’intriguait. Des cellules envahies ne disparaissaient pas comme ça ! J’avais vu des cellules exploser mais il subsistait toujours des traces visibles, outre la bactérie ou le virus multiplié qui nageait plus loin pour envahir d’autres cellules. Jamais une évaporation totale comme celle-ci.

Il fallait que j’observe ce phénomène à nouveau. Je me dépêchai de repasser la séquence, cinq cents fois moins vite, c’est-à-dire aussi lentement que le programme le permettait.

Le ralentissement ne me fournit aucune information supplémentaire. La disparition totale se reproduisit, un peu moins rapidement.

Frustrée, je tournai le dos à l’écran et manquai trébucher sur le coffret ouvert par terre du professeur Ambrose. J’y jetai un coup d’œil et m’aperçus qu’il n’avait rangé ni le tube à essais ni le compte-gouttes. Ils étaient toujours sur la table à côté du microscope. Mon cœur se mit à battre très fort car ma décision était prise.

Si je voulais reproduire l’expérience, il me fallait des lymphocytes T normaux…

Facile, j’en avais un corps entier. Je sortis en vitesse un compas de ma trousse, m’enfonçai la pointe dans le doigt et déposai le sang sur une lamelle neuve. Puis je m’emparai du petit tube, ajoutai une goutte à la surface, la plaçai sous le microscope et réglai la lentille.

— Je n’y crois pas ! m’exclamai-je en regardant le ralenti.

Même lentement, cela se passait si vite ! Invasion, réplication, multiplication, explosion… disparition… puis un écran immobile et vide.

Je le fixai quelques minutes. Il s’agissait de science pure, il devait donc y avoir une explication logique. J’avais sûrement raté quelque chose. Je me levai pour réitérer l’expérience.

Je trouvai une lamelle propre, saisis mon compas, me piquai à nouveau le doigt, pris le tube à essais…

— Eva Koretsky ! Que fabriques-tu encore ici ?

Mme Franklin et le professeur Ambrose revenaient de déjeuner. J’étais tellement perdue dans mes pensées que je sursautai de surprise. Le contenu du précieux tube se déversa sur mes doigts puis sur le sol.

— Oh, mon Dieu ! Je suis désolée !

Le visage pétrifié, le professeur Ambrose regardait le tube à moitié vide.

— Eva, tu sais pourtant que les laboratoires sont interdits en l’absence d’un enseignant. J’espère que cet échantillon n’avait pas de valeur, professeur Ambrose ?

Je retins mon souffle.

Le professeur fixa quelques instants la petite flaque sur le carrelage puis, sans lever les yeux, il répondit :

— Non, non. J’en ai des quantités astronomiques.

— Voilà qui me rassure. OK Eva, tu ferais mieux d’aller au self.

— Je suis sincèrement désolée. Je pars dès que j’ai nettoyé les dégâts.

— File, Eva, me conseilla le professeur Ambrose en me poussant vers la sortie. Je m’en occupe. Madame Franklin, vous avez du papier absorbant ?

Elle partit en chercher.

— Eh bien… Euh… Merci, professeur Ambrose et encore désolée, marmonnai-je tout en ouvrant la porte. Au revoir.

— Au plaisir, Eva. Je crois que nous nous reverrons bientôt.

J’avais six minutes devant moi. Je piquai un sprint jusqu’à la cantine déserte mais j’avais raté le service. Je me rendis donc directement en maths, les questions se bousculant dans mon cerveau.

À la fin du cours, la tête me tournait un peu. Il faut que je grignote avant la répétition, pensai-je, tandis que je ramassais mes affaires et me levais. Trop vite. Gros vertige. Je chancelai méchamment, au point que Rob Wilmer dut me soutenir.

— Ça va ? me demanda-t-il.

— J’ai sauté le déjeuner… et le petit déj’, maintenant que j’y pense. Une minute…

— Tiens !

Il m’offrit une moitié de Mars.

Je le remerciai tout en enlevant les peluches sur la barre chocolatée.

Au bout d’une demi-heure d’histoire de l’art, je commençai à avoir chaud. Très chaud. J’ôtai mon sweat à capuche, mais je transpirais encore. Je m’essuyai le front, il était bouillant.

Je n’avais franchement pas le temps d’attraper la grippe. Au moment où je pensais cela, mon estomac se souleva. Ne pas vomir, ne pas vomir… Saleté de Mars ! Depuis combien de temps croupissait-il dans la poche de Rob ? Je me levai d’un bond. Grosse erreur. La salle se mit à tourbillonner violemment. Je tentai de l’arrêter assez longtemps pour localiser la porte. Mais tandis que je la cherchais, ma vision s’embua et la pièce s’obscurcit. J’entendis un grand fracas : moi qui heurtais le sol.