RÊVES
Sainte-Magdalen, 2013 apr. J.-C.
Cela faisait maintenant trois semaines que Seth avait disparu et tous les matins, je me réveillais avec la douleur sourde du vide. Jamais je n’avais ressenti pareil malaise. Étant donné ma vaste collection d’émotions négatives, ce fut un choc. J’avais beau me raisonner – je le connaissais à peine, il n’était pas fait pour moi, c’était probablement mieux pour le karma du lycée s’il ne revenait pas… –, il avait remué trop de choses en moi.
Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à lui. Il me manquait. Tellement. Comme si le centre de mon monde s’était brusquement effondré. Cette sensation était à la fois étrange et humiliante. Comment avais-je pu devenir une de ces cruches qui se définissaient à travers le garçon dont elles étaient tombées amoureuses ?
Histoire d’empirer les choses, je dormais vraiment mal. Des cauchemars terrifiants remplis de sang et de morts ne me donnaient pas envie de me coucher. Je lisais donc jusqu’à trois heures du matin mais, au bout d’un moment, mes yeux se fermaient tout seuls et les cauchemars commençaient.
Un matin j’étais assise au bord de mon lit, nauséeuse et la tête lourde à cause de la fatigue, quand on frappa avec insistance à ma porte. Le bruit mit du temps à pénétrer dans mon cerveau embrumé. J’allai ouvrir en titubant. Rose Marley n’attendit pas mon signal pour entrer.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Eva ?
— Rien, marmonnai-je, sur le seuil.
— Tu ne nous ferais pas une rechute, ma fille ?
Maintenant qu’elle le disait, la fatigue et les étourdissements ne me paraissaient pas normaux. J’avais des difficultés à tenir une journée entière et je me donnais des coups de pied pour me rendre aux répétitions du groupe.
— Non, évidemment.
Pas question. N’importe qui serait dans mon état avec trois heures de sommeil perturbé par nuit.
— Je ne dors pas beaucoup en ce moment.
Rose s’assit sur le lit à côté de moi.
— Raconte-moi, Eva. Quelque chose te tracasse ?
Oui ! voulais-je lui hurler. Je suis tombée amoureuse d’un garçon que je connais à peine, il a disparu de la surface de la terre et, chaque nuit, je tourbillonne à l’intérieur d’un terrifiant nuage noir, rempli de silhouettes menaçantes. En plus, il a le goût de la mort. Je cours sans savoir où je suis, qui je fuis… On dirait un clip de mauvaise qualité qui tourne en boucle dans ma tête. Quelque chose me tracasse, à votre avis ?
Évidemment, je ne lui débitai pas un tel discours. Je n’avais pas l’intention de revêtir une camisole pour le restant de mes jours.
— Tout va bien… mis à part quelques cauchemars. Je devrais peut-être arrêter le fromage.
— Veux-tu quelque chose pour t’aider à dormir ? J’ai des plantes médicinales très efficaces…
J’y avais pensé. Rose m’offrait-elle l’oubli total ?
— Merci, chuchotai-je. Ce serait super.
Ce soir-là, j’avalai deux tablettes fournies par Rose et me pelotonnai sous ma couette. Une heure plus tard, je me réveillai en hurlant. Ses remèdes avaient réussi à ajouter une dimension supplémentaire à l’horreur de mes cauchemars ! J’étais désormais paralysée, incapable de courir. Je me levai et bus un grand verre d’eau. Appuyée contre le lavabo, je me dis que c’était mauvais signe.
Lasse, je pris un livre et me préparai à affronter une nouvelle nuit blanche.