RÉUNION

Sainte-Magdalen, 2013 apr. J.-C.

Seth ignorait combien de temps s’était écoulé depuis son départ de Londres. Il avait tellement hâte de retourner à Sainte-Magdalen que ses intentions ne se révélaient pas cohérentes. Et il était impératif d’être précis quand on empruntait le vortex. Il fallait se concentrer sur une date et une heure exactes, lui avait appris Zachary. Effectivement, ce système avait toujours marché. Il ne s’était absenté de Parallon que quelques minutes alors qu’il avait passé plusieurs semaines à Londres. Cette fois-ci, une seule pensée l’obsédait : elle. Eva continuait à l’obnubiler quand il s’extirpa du fleuve et courut, trempé, jusqu’à l’entrée de l’institut.

Comme il faisait nuit quand il pénétra dans la cour, il gagna l’internat et sa chambre. Ses affaires n’avaient pas bougé de place. Il ôta vite ses vêtements mouillés et rejoignit la cour. Il y avait beaucoup de monde aux alentours. Pendant quelques instants, il se demanda par où commencer à chercher en premier.

— Seth ! Tu es revenu ! Ruby va être tellement soulagée, s’exclama Mia qui se rendait au réfectoire. Allons lui apprendre la bonne nouvelle ensemble !

La cour grouillait d’étudiants à présent.

— Dis ! répliqua Seth qui ne se rappelait plus son prénom. Tu sais où je peux trouver Eva ?

Seth ne déployait ses capacités à pleine puissance qu’en cas d’extrême nécessité. Là, il décida que c’en était une. Il fixa Mia qui fut incapable de détourner le regard. Elle écarquilla les yeux, entrouvrit les lèvres tandis qu’elle cherchait la réponse à sa question. Elle brûlait de l’aider bien qu’elle ignorât l’emploi du temps d’Eva. Ruby la tuerait si elle s’intéressait de près ou de loin à elle. Par chance, Harry passait non loin.

— Harry ! l’interpella-t-elle.

Celui-ci se détourna vers eux et n’en crut pas ses yeux quand il reconnut l’interlocuteur de Mia.

— Seth, c’est toi ? Où étais-tu passé ? On a cru que tu avais disparu de la surface de la planète !

Tu ne crois pas si bien dire, pensa Seth, désabusé.

 Seth cherche Eva. Tu ne saurais pas où elle est par hasard ?

— Bâtiment de musique, rétorqua aussitôt Harry. Je les ai vues se rendre en répétition après les cours. Hé, Seth, viens manger un morceau. Tu dois avoir un tas de trucs à nous raconter !

— Plus tard, Harry, répondit Seth en souriant.

Il n’eut pas besoin d’entrer pour l’entendre. Sa voix enchanteresse flottait doucement vers lui. Il s’adossa contre un mur et l’écouta, perdu dans ce son mélodieux.

Quand le chant cessa, il se crispa. Il avait tellement hâte de la voir que son cœur battait plus fort. Combien de temps devrait-il attendre ? Quelques secondes plus tard, il entendit des pas lents dans le couloir, la porte du hall s’ouvrit.

Il se retourna et se retrouva face à face avec la fille qu’il aimait.

— Seth ? murmura-t-elle, sous le choc. Tu es revenu ?

Elle le regardait avec les yeux de Livia, la chaleur de Livia… l’amour de Livia. Sans réfléchir, il la serra tendrement dans ses bras.

Pendant un instant divin, les bras d’Eva furent autour de son cou, ses lèvres effleurèrent les siennes et la passion qu’il réprimait depuis si longtemps brûla entre eux. Soudain, les bras d’Eva mollirent.

— Livia ? chuchota-t-il, au bord du désespoir.

Affolé, il regarda son corps pâle et inerte. Il n’aurait jamais dû revenir. La scène d’Ophélie était prémonitoire, tel un avertissement. Il semblait être condamné à la voir mourir une seconde fois…

— S’il te plaît, Livia, grogna-t-il sans qu’elle bouge un cil.

Il entendit des voix derrière lui.

— Oh, mon Dieu ! Eva ! cria Rob qui sortait en courant par les portes en verre du hall, suivi par Astrid et Sophie. Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Misérable, Seth se contenta de secouer la tête.

Astrid prit aussitôt le contrôle de la situation.

— Hé ! Ho ! Les garçons ! On se calme ! Eva est malade. Rob, ne me dis pas que tu ne l’avais pas remarqué ?

Rob se mordit la lèvre. Bien sûr que si.

— Seth, enchaîna Astrid, est-ce que tu peux la porter jusqu’à l’infirmerie ? Rob, pars devant et préviens Rose Marley.

Rob s’envola alors que Seth demeurait indécis. Il tenait encore Eva dans ses bras mais était convaincu d’être à l’origine de son malaise.

— Je crois que c’est ma faute, bafouilla-t-il. Je ferais mieux de ne pas l’approcher.

— N’importe quoi, répliqua Astrid. Eva est malade depuis des semaines. Il y a deux mois, avant même ton arrivée ici, elle a failli mourir à l’hôpital. Son état n’a absolument rien à voir avec toi. Allez, avance !

Loin d’être convaincu, Seth obéit néanmoins. À l’infirmerie, Rose Marley jeta un coup d’œil à Eva et appela une ambulance. Elle lui prit le pouls (irrégulier et faible), vérifia sa tension (très basse) et remarqua qu’elle avait la peau moite et froide. L’infirmière la couvrit avec des polaires et se pencha à son oreille.

— Eva ? demanda-t-elle d’une voix ferme. Eva, tu m’entends ?

Mais celle-ci ne remua pas.

Quand l’ambulance arriva et qu’Eva fut équipée d’un masque à oxygène puis allongée, Rose grimpa à côté du brancard et chassa les curieux qui s’amoncelaient. Les nouvelles circulaient vite. Entre trente et quarante élèves se dispersèrent à contrecœur.

Seth, lui, refusa de partir. Sans bouger d’un pouce, il planta son regard dans celui de Rose Marley. Quelques secondes plus tard, il la rejoignait à bord de l’ambulance. Rose ne comprit pas pourquoi elle autorisait ce garçon hors du commun dans le véhicule. Sa présence allait à l’encontre du protocole mais elle était tellement réconfortante. Ces dernières semaines, elle s’était attachée à Eva et elle reconnut aussitôt le même sentiment chez ce garçon. Par contre, elle ignorait l’ampleur des émotions qu’il tentait de contrôler.

Pendant que Rose donnait des détails sur la maladie d’Eva et que les ambulanciers prenaient des notes, Seth fixait la jeune fille en essayant de comprendre ce qui se passait. Il paraissait toujours convaincu d’avoir provoqué cette syncope. Rose Marley pouvait parler de rechute, il aurait été idiot de nier que sa condition n’avait rien à voir avec sa proximité. Après tout, elle s’était quasiment évanouie quand il l’avait touchée dans la salle commune ! À présent, elle luttait pour survivre.

L’infirmière l’observait du coin de l’œil. Il scrutait Eva avec une telle intensité que sa seule volonté semblait la garder en vie. Elle pinça les lèvres afin de réprimer un étrange pressentiment.