LUMIÈRE
Seth ouvrit les yeux quand son corps rebondit contre une surface dure et rugueuse. Il regarda autour de lui, les idées embrouillées, et avala une gorgée d’eau du fleuve par inadvertance. Toussant et tremblotant, il se hissa sur la berge. Il était gelé, trempé jusqu’aux os et épuisé. Où avait-il atterri cette fois-ci ? Ayant trop froid pour se mouvoir, il se tint assis là quelques minutes afin de s’éclaircir les idées.
Une seule pensée cohérente lui parvint : Je dois me sécher. Aussitôt, il ressentit le confort d’une tunique propre et sèche, le poids d’une épaisse cape en laine sur ses épaules. Il ne faisait plus de doute : il était de retour à Parallon.
Comme ses sandales avaient disparu, il s’en créa une nouvelle paire et les enfila. Tandis qu’il les attachait, il remarqua avec soulagement la robustesse de ses mains. Il n’avait pas apprécié d’incarner une ombre et était finalement content d’être revenu.
Il était prêt à partir et affronter Matthias. Quand il se leva, il entendit du bruit.
Des voix, des éclats de rire. Il longea la berge et monta les marches en silence. Accroupi dans l’ombre d’un bâtiment immense, il les vit. Seth compta onze personnes assises à des tables rondes et blanches sur une plateforme en bois. Une lumière vacillait au milieu de chaque table ; ils buvaient dans des récipients transparents, discutaient dans l’étrange langue qu’il avait entendue auparavant et ils souriaient.
Zachary serpentait entre eux, approuvait, riait, écoutait. Seth s’approcha. Il se sentait tel un mendiant regardant une fête de famille par la fenêtre. Et il sut soudain que tous ces gens appartenaient à cet endroit. Pas lui. Zachary n’avait-il pas sous-entendu quelque chose dans ce genre l’autre fois ? Qui était Zachary ? Comment en savait-il autant sur ce monde ? Seth se jura de le découvrir.
Finalement, Zachary bâilla, dit au revoir au groupe et s’éloigna en direction d’une grande tour luisante. Sans réfléchir, Seth le suivit.
Toujours caché, il le regarda gravir trois marches jusqu’à un porche et une imposante porte noire. Au lieu de l’ouvrir, il dessina quelque chose avec ses doigts sur le panneau lisse couvert de boutons à droite. La porte s’entrebâilla et Zachary disparut à l’intérieur. Seth pouvait-il le suivre ? Le devait-il ?
Qu’avait-il à perdre ?
Zachary ne représentait aucune menace. Frêle, il manquait franchement de muscles. Mais les prouesses physiques n’avaient virtuellement aucun sens à Parallon. En vérité, sans s’éterniser sur le sujet, Seth croyait de plus en plus que Zachary détenait une sorte de pouvoir ici, un pouvoir bien plus fascinant que sa simple force de gladiateur.
Il hésita un long moment. Pouvait-il se faufiler devant les gens sans être remarqué ? Il avait de bonnes chances de réussir… Il choisit un moment de joie animée pour foncer sur la plateforme sans un bruit et grimper les marches. Il essaya d’ouvrir. La porte était verrouillée.
Il examina le panneau que Zachary avait touché et le tapota. Rien ne se passa. Des symboles étaient gravés sur les boutons. Une sorte d’entrée codée ? Il appuya sur les touches au hasard sans déverrouiller la porte. Il ferma les yeux et s’efforça de se rappeler les gestes exacts de Zachary… Il avait tracé une formule que Seth s’appliqua à imiter. Au troisième essai, la porte émit un petit bruit long et s’entrouvrit. Seth s’engouffra dans l’immeuble et la porte se referma derrière lui.
Il pénétra dans un grand hall blanc. Des tentures rectangulaires et colorées ornaient les murs. Il découvrit une porte lambrissée à sa gauche et un escalier droit devant.
Il écouta, absolument immobile. Où se trouvait Zachary à cet instant ? Il perçut des bruits de pas légers au-dessus de lui. Bien. Il ne risquait pas d’être découvert tout de suite. Il ignorait si Zachary et lui étaient seuls, mais il fallait qu’il explore les lieux.
Très doucement, il poussa la porte lambrissée et n’en crut pas ses yeux. Rien ne l’avait préparé à l’amoncellement de couleurs et d’inventions qui se présentait à lui. Un grand écran rectangulaire sur lequel bougeaient des images et des motifs dominait la pièce. Il était flanqué d’autres écrans plus petits, noirs et inertes. De longues tables blanches occupaient le mur opposé. Elles accueillaient plusieurs instruments larges et cylindriques ainsi que deux écrans supplémentaires. Le troisième mur comportait des boutons colorés qui clignotaient sur des boîtes en argent.
Seth observait depuis le seuil de la porte.
Soudain, ses jambes suivirent une trajectoire inexorable, attirées par le magnétisme irrésistible des couleurs et des mouvements sur le grand écran devant lui. Son cœur battait fort sous sa poitrine. Avec un émerveillement impartial, il tendit la main pour en toucher la surface. Au moment où ses doigts entraient en contact, une chaleur soudaine se diffusa dans sa main, le long de son bras, dans tout son corps. Puis la chaleur se transforma en brûlure insupportable. La pièce se mit à tourbillonner autour de lui. Il ferma les yeux et tenta de s’extirper de là, mais ses doigts restaient collés. Des millions d’images et de sons furent projetés dans son cerveau à une telle rapidité que, bientôt, il ne put plus suivre ni respirer, ni en encaisser. Quelqu’un hurla, emplit l’espace de sa terreur puis une douleur blanche et aveuglante explosa dans sa tête… Il perdit connaissance.