129.
Nous étions le 6 juin. Jacobi nous convoqua, Rich et moi, dans son bureau. Il avait l’air vraiment contrarié, je ne l’avais jamais vu dans un état pareil.
— J’ai de mauvaises nouvelles. Alfred Brinkley vient de s’évader, nous annonça-t-il.
J’en restai abasourdie.
Personne ne s’évadait d’Atascadero ! C’était un établissement psychiatrique réservé aux fous criminels, ce qui signifie qu’il s’agissait d’une prison de haute sécurité davantage que d’un hôpital.
— Comment est-ce arrivé ? demanda Conklin.
— Il s’est tapé la tête contre le mur de sa cellule...
— Il n’était pas sous traitement ? Et sous haute surveillance pour éviter qu’il n’essaie de se suicider ?
Jacobi haussa les épaules.
— Aucune idée. Bref, le toubib va d’habitude dans la cellule, mais ce toubib-là, un certain Carter, a insisté pour qu’on lui amène le prisonnier dans son bureau. Sous bonne garde. Dans l’aile la moins sécurisée.
— Oh non..., fis-je, imaginant ce qui avait dû se passer. Le gardien avait une arme.
— Les gardiens sont armés uniquement quand ils transfèrent les prisonniers d’une aile à une autre, expliqua Jacobi. Donc le toubib a demandé à ce qu’on désenchaîne Brinkley afin de pouvoir le soumettre à des tests neurologiques.
Jacobi poursuivit en racontant que Brinkley s’était emparé d’un scalpel, qu’il avait désarmé le gardien et raflé son arme. Il avait ensuite enfilé les vêtements du médecin, utilisé les clés du gardien pour sortir et emprunté la voiture du médecin.
— Ça s’est passé il y a deux heures, précisa Jacobi. On a lancé un avis de recherche à toutes les patrouilles pour la Subaru Outback bleue du Dr Carter.
— Il a sans doute déjà abandonné le véhicule à l’heure qu’il est, fit observer Conklin.
— Ouais, approuva Jacobi. J’ignore ce que vaut ce renseignement, ajouta-t-il, mais d’après l’un des gardiens, Brinkley était à cran à cause d’Edmund Kemper, un tueur en série dont il avait lu l’histoire.
Conklin fit signe qu’il en avait entendu parler.
— Il a tué six jeunes femmes, je crois, et il vivait avec sa mère.
— C’est bien lui, confirma Jacobi. Un soir qu’il rentrait d’un rendez-vous, sa mère lui a sorti un truc du genre « et maintenant, je suppose que tu vas me faire chier en me racontant ce que t’as fait toute la nuit ».
— Sa mère était au courant de ses meurtres ? demandai-je.
— Non, elle n’en savait rien, répondit Jacobi. Elle était juste casse-couilles. Écoute, j’allais aux chiottes quand le téléphone a sonné, alors je peux terminer fissa mon histoire ?
— Faites, patron, dis-je avec un grand sourire.
— Bref, maman Kemper balance à son fiston : « Hein, que tu vas me faire chier ? » Alors Edmund Kemper a attendu qu’elle aille se coucher pour lui trancher la tête et la poser sur la cheminée. Puis il a raconté à la tête de sa mère ce qu’il avait fait cette nuit-là. La version longue, j’en suis sûr.
— Ce barjo s’est livré, si je me rappelle bien, dit Conklin.
Rich fit craquer ses jointures, ce qu’il faisait toujours quand il était nerveux.
J’étais terrorisée, moi aussi, à l’idée que Brinkley était dans la nature, armé, et gravement « atteint ». Je me rappelais la manière dont il avait toisé Yuki à l’issue de son procès, et la phrase qu’il avait prononcée : « Il faudra que quelqu’un paie. »
— Oui, Kemper s’est livré. Le hic, c’est qu’en avouant tout aux flics il leur a déclaré qu’en fait, il avait tué toutes ces filles à la place de sa mère. Tu me suis ?
Jacobi s’adressait à moi à présent.
— Il avait fini par tuer la bonne personne.
— Et d’après le gardien, Kemper avait de l’importance pour Alfred Brinkley ?
— Oui, me confirma Jacobi qui se leva en remontant son pantalon par la ceinture.
Il contourna les longues jambes de Conklin pour gagner la porte.