18.
Monsieur Météo avait annoncé de la pluie, même si le soleil brillait haut dans le ciel laiteux. Quand Fred Brinkley tendit la main, il vit pile au travers.
Il se dirigea vers l’obscurité du métro, descendant au trot les marches de la station Civic Center qu’il empruntait quand il travaillait encore.
Brinkley baissa la tête, mesurant ses pas sur le sol dallé familier bordé de granit noir, traversant tranquillement l’entresol, sans lever les yeux vers les esclaves en col blanc en train d’acheter leurs billets, des fleurs ou des bouteilles d’eau, avant de prendre leur navette. Il n’avait pas envie de surprendre leurs idées provenant de leurs cerveaux de hamster, ne désirait pas apercevoir les regards inquisiteurs filtrant de leurs yeux aux paupières tombantes.
Il prit l’escalator jusqu’aux tunnels, mais au lieu de se sentir plus calme, il eut conscience que plus il m’enfonçait dans le sol, plus il devenait agité et en colère.
Les voix en avaient à nouveau après lui. Elles l’insultaient.
Tête baissée, Brinkley gardait les yeux rivés au sol et fredonnait intérieurement Ay, ay, ay, BART-a-lito-lindo, tâchant de réprimer les voix, essayant de leur faire barrage.
À peine descendu de l’escalator au second niveau, il comprit son erreur. Le quai était bondé de banlieusards revenant chez eux après le boulot.
On aurait dit des nuées d’orages avec leurs manteaux foncés. Leurs yeux le transperçaient, le prenant au piège.
Un flux d’images, qu’il avait vues sur le mur d’écrans télé dans la vitrine de la boutique d’électronique, défilaient dans la tête de Fred. Des images de lui tirant sur les passagers du bac.
Il avait fait ça !
Brinkley se faufila à travers la foule, marmonnant et fredonnant entre ses dents. Puis il s’arrêta au bord du quai, les orteils dans le vide.
Il ressentait la haine et la condamnation de ses actes tout autour de lui, et sa propre rage en était multipliée. Les murs carrelés de blanc semblaient se renfler, animés d’une pulsation qui leur était propre. Fred voyait du coin de l’œil les gens se tourner vers lui et déchiffrer ses pensées.
Il eut envie de hurler. Je devais le faire ! Faites gaffe. Ça pourrait être votre tour.
Il fixa les rails en contrebas, sans bouger ni regarder quiconque, gardant les mains dans ses poches, la droite refermée sur Bucky.
Ils sont au courant, rugirent les voix à l’unisson. Ils t’ont percé à jour, Fred.
Une voix aiguë s’éleva derrière lui :
— Hé !
Brinkley se retourna et vit une femme, mâchoire anguleuse et minuscules yeux noirs, le montrer du doigt.
— C’est lui ! Il était sur le bac. Il y était. C’est le tireur du bac. Il faut appeler la police !
Les choses se disloquaient désormais. Tout le monde savait qu’il avait fait quelque chose de mal.
T’es qu’une merde. Un raté.
Aya yai, aya yai, aya yai yai y ai.
Fred tira Bucky de sa poche, le brandit au-dessus de la foule. Tout le monde, autour de lui, s’écarta à grands cris.
Un grondement dans le tunnel.
Des wagons aérodynamiques, bleu et argent, défilèrent en flèche dans la station, le bruit oblitérant tout autre son et toute autre pensée.
Le train s’arrêta. Des agrégats de passagers s’échappèrent à gros bouillons des wagons, tels des rats, tandis que d’autres s’y précipitaient par vagues, souffletant Fred comme la marée, l’envoyant valdinguer contre un pylône.
Il en eut le souffle coupé.
Se libérant, Fred pataugea à contre-courant de la cohue et regagna l’escalator. À grandes enjambées bondissantes, il fonça pour remonter l’escalier roulant, dépassa ce peuple de rongeurs et regagna enfin l’air libre et la rue.
La voix hurlait dans sa tête. Cours ! Tire ton cul d’ici vite fait !