77.
Je venais de passer une nuit agitée sur le canapé de Cindy, me réveillant plusieurs fois pour aller patrouiller dans les couloirs de Blakely Arms. J’avais vérifié les sorties de secours, les cages d’escalier, le toit et le sous-sol et n’avais vu personne à l’exception d’une vieille dame solitaire faisant sa lessive à 2 heures du matin. Au lever du jour, je fis un saut chez moi pour me changer. À présent assise à l’extérieur de la salle d’audience, je sentis un filet d’adrénaline s’insinuer dans mon sang quand l’huissier appela mon nom.
Je pénétrai dans le prétoire en franchissant les doubles portes et le vestibule, puis gagnai le box des témoins où je prêtai serment.
Yuki m’accueillit dans les règles puis me questionna sur mes références :
— Reconnaissez-vous l’homme qui a avoué être l’auteur de la fusillade du bac ? me demanda-t-elle ensuite.
— Oui, répondis-je avant de pointer du doigt l’ordure assise près de Mickey Sherman.
Alfred Brinkley avait l’air fort différent depuis la dernière fois que je l’avais vu. Son visage s’était rempli, ses yeux hagards s’étaient apaisés. Rasé et tondu, il paraissait six ans plus jeune que lors de ses aveux de la fusillade du Del Norte.
C’était effrayant, mais il avait à présent l’air inoffensif, tel un cousin lambda ou un Monsieur Tout-le-monde.
Yuki pivota sur ses talons aiguilles et me demanda :
— Avez-vous été surprise quand l’inculpé est venu sonner à votre porte ?
— J’ai même été sidérée. Mais quand il m’a fait venir à la fenêtre et m’a demandé de descendre l’arrêter, je n’ai pas hésité un seul instant.
— Et qu’avez-vous fait ?
— Je l’ai désarmé, menotté, puis j’ai appelé du renfort. Avec le lieutenant Warren Jacobi, nous l’avons ensuite emmené au poste de police où Mr Brinkley a été interrogé.
— Avez-vous lu ses droits à Mr Brinkley ?
— Oui, devant chez moi, et une nouvelle fois au commissariat.
— Vous a-t-il semblé comprendre ce que vous lui disiez ?
— Oui. Je l’ai soumis à un test d’évaluation de santé mentale pour m’assurer qu’il connaissait son nom, savait où il se trouvait et ce qu’il avait fait. Il a renoncé à ses droits par écrit et m’a répété avoir tiré sur ces passagers du Del Norte.
— Vous a-t-il paru sain d’esprit, sergent ?
— Oui. Il était agité, débraillé. Mais le lieutenant Jacobi et moi-même l’avons jugé lucide et conscient de lui-même, ce qui équivaut pour moi à être sain d’esprit.
— Merci, sergent Boxer, fit Yuki. Le témoin est à vous.
Les yeux des jurés se tournèrent vers l’homme fringant assis au côté d’Alfred Brinkley. Mickey Sherman se leva et, boutonnant la veste de son élégant costume anthracite, il me décocha un sourire éblouissant.