108.
Le lendemain matin, Rich et moi étions sur des charbons ardents à nos bureaux, attendant que Mary Jordan franchisse le portillon. Elle arriva avec dix minutes de retard, l’air passablement secouée.
J’invitai la responsable administrative du Registre Westwood à nous suivre dans cette cellule sans fenêtre qui nous servait de cantine. Rich avança une chaise pour Mary, et je lui préparai un café : noir, deux sucres, comme la dernière fois qu’on l’avait vue.
— J’ai prié pour Madison, dit-elle en se tordant les mains.
Elle avait de grands cernes mauves sous les yeux.
— Je sens tout au fond de mon cœur que j’ai fait ce que Dieu voulait que je fasse.
Ses paroles suscitèrent une légère appréhension au creux de mon estomac.
— Qu’avez-vous fait, Mary ?
— Quand Mr Renfrew est sorti ce matin, je suis retournée dans son bureau. Et j’ai fouillé encore un peu.
Elle déposa sur la table son grand sac à main en simili cuir, et en retira un livre de comptes à l’ancienne, avec une couverture en toile bleu ardoise. On lisait sur une étiquette : grand livre queensbury.
— C’est l’écriture de Mr Renfrew, indiqua Mary Jordan en nous désignant du doigt les lettres capitales et les chiffres nettement tracés. Il s’agit du registre d’une agence que les Renfrew possédaient à Montréal il y a deux ans.
Elle l’ouvrit à la page marquée d’un morceau de papier, puis le tourna vers nous.
C’était la photographie d’un petit garçon blond, âgé d’environ quatre ans, avec des yeux bleu-vert incroyables.
— Vous avez quelques minutes ? demandai-je à Mary Jordan.
Elle acquiesça.
Étant montée en ascenseur avec Kathy Valoy, je savais que celle-ci était à son bureau. Je l’appelai et lui parlai de la photo du petit garçon.
— Les Renfrew, poursuivis-je, se baladent sur tout le continent américain, ouvrant et fermant des agences. Je suppose qu’on a sous les yeux la photo d’une autre victime.
Kathy dut dévaler l’escalier quatre à quatre car à peine avais-je eu le temps de raccrocher qu’elle fit son apparition.
Elle demanda à Mary Jordan si elle avait déterré ce renseignement de son propre chef et Mary lui jura une fois de plus qu’elle ne nous servait pas d’auxiliaire.
— Je vais contacter le juge Murphy, déclara Kathy Valoy tout en fixant la photo et en se passant la main dans ses cheveux bruns coupés court. Je vais voir ce que je peux faire.
Quelques minutes après que nous eûmes raccompagné Mary Jordan jusqu’à l’ascenseur, j’avais Kathy Valoy au bout du fil.