120.
Quand Yuki entra dans la salle d’audience, Léonard Parisi, son boss, était assis près de David Hale à la table de la défense. Yuki avait appelé Len dès qu’elle avait appris la tentative de suicide de Brinkley, mais elle ne s’était pas attendue à le trouver au tribunal.
— Léonard, ça fait du bien de vous voir, lui dit-elle tout en se demandant s’il allait lui reprendre l’affaire.
— Les jurés sont tombés d’accord ? lui demanda Parisi.
— C’est ce qu’ils ont dit au juge. Personne ne tient à ce que le procès soit annulé. Mickey n’a même pas demandé d’ajournement.
— Bien. J’adore ce salopard qui se la pète, marmonna Parisi.
De l’autre côté, Sherman parlait à son client. Brinkley avait le tour des yeux noir et bleu et une large bande de gaze collée sur le front. Il portait une blouse d’hôpital bleu pâle en coton sur un pantalon de pyjama rayé. Tête baissée, il s’arrachait les poils du bras tout en écoutant Sherman. Il ne releva même pas les yeux quand l’huissier annonça l’entrée de la cour.
Le juge s’installa, se versa un verre d’eau puis demanda à Yuki si elle était prête à faire son réquisitoire.
Cette dernière acquiesça, puis s’avança jusqu’au pupitre, le sang battant à ses tempes. Elle s’éclaircit la gorge puis, après avoir salué les jurés, elle entama son réquisitoire.
— Nous ne sommes pas ici pour décider si Mr Brinkley a des problèmes psychologiques, commença Yuki. Nous avons tous des problèmes et certains d’entre nous les gèrent mieux que d’autres. Mr Brinkley a déclaré entendre une voix agressive dans sa tête, c’est peut-être vrai.
» Nous ne pouvons pas le savoir et ça n’a pas d’importance. La maladie mentale n’est pas un permis de tuer, mesdames et messieurs, et entendre des voix dans sa tête ne change rien au fait qu’Alfred Brinkley savait que ce qu’il faisait était mal quand il a exécuté quatre innocents, y compris le plus innocent de tous : un petit garçon de neuf ans.
» Comment pouvons-nous être sûrs que Mr Brinkley savait que ce qu’il faisait était mal ? demanda-t-elle aux jurés. Parce que son comportement, ses actes l’ont trahi.
Yuki marqua une pause et balaya la salle du regard. Elle nota la carrure et l’air pincé de Len Parisi, les yeux mauvais de Brinkley, puis s’aperçut que tous les jurés étaient suspendus à ses lèvres, attendant qu’elle poursuive.
— Considérons le comportement de Mr Brinkley, reprit-elle. Primo, il était porteur d’un Smith & Wesson modèle 10 chargé sur le bac.
» Puis il a attendu que le ferry arrive à quai afin de ne pas se retrouver coincé au milieu de la baie sans aucune issue.
» Ces actes prouvent qu’il avait tout prévu, qu’il y a eu préméditation.
» Pendant l’accostage du Del Norte, continua Yuki sans quitter les jurés des yeux, Alfred Brinkley a visé soigneusement cinq êtres humains avant de décharger son arme sur eux. Ensuite, il a pris la fuite. Il a détalé comme s’il avait le diable à ses trousses. Cela prouve qu’il avait conscience de sa culpabilité.
» Mr Brinkley n’a été arrêté qu’au bout de deux jours, après s’être livré lui-même à la police et avoir avoué ses crimes... parce qu’il savait que ce qu’il avait fait était mal.
» Nous ne saurons peut-être jamais avec précision ce que Mr Brinkley avait dans la tête le jour du 1er novembre, mais nous savons ce qu’il a fait.
» Et nous savons avec certitude ce que Mr Brinkley nous a dit avec ses propres mots, hier après-midi.
» Il a mis en joue ses victimes.
Mimant une arme avec sa main et lui faisant lentement décrire un demi-cercle, à hauteur d’épaule, elle balaya et la tribune et le box des jurés.
— Il a pressé la détente à six reprises. Et il a affirmé être un homme dangereux. La meilleure preuve de la santé mentale de Mr Brinkley est qu’il est d’accord avec nous sur deux points : sa culpabilité, et la nécessité de lui appliquer la peine maximale prévue par la loi. Je vous en prie, accordez à Mr Brinkley ce qu’il vous a réclamé afin que nous n’ayons plus jamais à nous inquiéter de le savoir armé.
Rouge d’excitation, Yuki se rassit près de Len Parisi.
— Superbe réquisitoire, Yuki, lui chuchota-t-il. De première classe.