54.
Conklin et moi étions assis l’un en face de l’autre dans la salle de garde. Près de mon téléphone s’empilaient des messages auxquels on n’avait pas donné suite, de divers tuyauteurs qui signalaient avoir vu Madison Tyler partout et n’importe où... de Ghirardelli Square jusqu’à Osaka.
Le rapport d’autopsie du Dr Germaniuk concernant Paola Ricci était ouvert devant moi. Dernière ligne, cause de la mort : balle tirée dans la tête. Mode de décès : assassinat.
Le Dr G. avait collé un Post-it sur son rapport. Je le lus à haute voix à mon coéquipier :
Sergent Boxer,
Les vêtements ont été envoyés au labo. J’ai effectué un kit d’agression sexuelle, juste pour dire que je n’ai rien négligé, mais ne comptez pas sur un résultat positif vu la submersion totale etc. La balle a transpercé le crâne. On n’a pas retrouvé de projectile.
Tous mes respects.
H.G.
— Rideau sur la morte, dit Conklin en se passant la main dans les cheveux. Le meurtre ne pose pas de problème aux ravisseurs. C’est tout ce qu’on sait.
— Qu’est-ce qui nous échappe alors ? On a un témoignage visuel un peu bancal qui nous fournit une non-description des auteurs du kidnapping et de leur véhicule. On n’a pas de relevé de plaque d’immatriculation, aucune preuve matérielle provenant du lieu du délit : pas de mégot de cigarette, pas de chewing-gum, pas de douille, pas de trace de pneu. Et surtout, pas de lettre de demande de rançon.
— Les auteurs du kidnapping ont agi comme des hommes de main, continua Conklin pas comme des prédateurs sexuels. Flinguer Paola une minute après l’avoir capturée ? Ça veut dire quoi ?
— On dirait que ça démangeait le tireur. Qu’il était drogué et qu’il planait. Comme si le boulot avait été sous-traité aux membres d’un gang. Ou alors Paola était un poids pour eux et ils l’ont supprimée. Ou bien encore, elle s’est défendue et quelqu’un a paniqué.
» Il faut qu’on remette cette enquête dans le bon sens pour résoudre le meurtre de Paola Ricci, conclus-je en plaquant ma main sur le rapport d’autopsie. Même morte, elle pourrait nous mener jusqu’à Madison.
Conklin passait un appel au consulat italien quand Brenda fit pivoter son fauteuil dans ma direction. Elle couvrit le récepteur de sa main.
— Lindsay, vous avez quelqu’un sur la ligne quatre, il n’a pas voulu donner son identité. Il est bizarre. J’ai demandé à ce qu’on trace l’appel.
J’opinai, les battements de mon cœur s’accélérant d’un cran. Je pressai fortement le bouton sur le socle du téléphone.
— Ici le sergent Boxer.
— Je ne vous le dirai pas deux fois, asséna la voix modifiée numériquement.
Je fis signe à Conklin de se brancher sur ma ligne.
— Qui est à l’appareil ? demandai-je.
— Peu importe, répondit la voix. Madison Tyler est en bonne santé.
— Qu’en savez-vous ?
— Dis quelque chose, Maddy.
Une voix voilée, jeune et hésitante se fit entendre.
— Maman ? Maman ?
— Madison ? fis-je dans l’appareil.
— Dites à ses parents qu’ils ont commis une grosse erreur en prévenant la police. Rappelez vos chiens, ajouta mon interlocuteur, ou nous ferons du mal à Madison. De façon définitive. Si vous laissez tomber, elle restera vivante et en bonne santé. Mais dans un cas comme dans l’autre, les Tyler ne reverront jamais leur fille.
La communication fut coupée.
— Allô ? Allô ?
Je secouai jusqu’à obtenir la tonalité. Puis je raccrochai violemment.
— Brenda, appelez le centre d’appel.
— C’est quoi ce cirque ? s’écria Conklin. Ils ont commis une grosse erreur en prévenant la police ? Lindsay, est-ce que cette petite fille avait la voix de Madison ?
— Bon Dieu, je n’en sais rien.
— Et merde, grogna Conklin en balançant un annuaire contre le mur.
J’avais le tournis. Madison allait-elle vraiment bien ?
Pourquoi ses parents n’auraient-ils pas dû appeler la police, qu’est-ce que ça signifiait ? Y avait-il eu une demande de rançon ou un appel téléphonique dont nous ignorions tout ?
Tous les yeux étaient fixés sur moi. Jacobi se tenait juste derrière moi. C’est alors que le technicien rappela pour communiquer le résultat de la localisation téléphonique.
Mon interlocuteur avait utilisé un téléphone portable anonyme impossible à localiser.
— La voix était modifiée, informai-je Jacobi. Je vais envoyer la bande au labo.
— Fais-la d’abord écouter aux parents pour qu’ils identifient la voix de l’enfant.
— Il y a toujours la possibilité que ce soit un cinglé qui s’amuse, suggéra Conklin tandis que Jacobi s’éloignait.
— J’espère bien que c’est ça. Parce qu’on n’est pas près de « rappeler les chiens ».
Je ne pus exprimer le fond de ma pensée, à savoir que nous venions d’entendre les dernières paroles de Madison Tyler.