115.
Tôt, ce même soir, Conklin et moi nous trouvions au Q.G. du FBI sur Golden Gate Avenue, au douzième étage. Entassés dans une pièce en compagnie de quinze autres agents, nous regardions sur des moniteurs vidéo Dave Stanford et sa coéquipière interroger Renfrew.
Assise près de Conklin, j’observai Stanford et Heather Thomson disséquer les actes criminels commis par Paul Renfrew, connu aussi sous les noms de John Langer, David Cornwall et Josef Waller, celui qu’on lui avait donné à sa naissance.
— Il monopolise toute l’attention et il boit du petit-lait, dis-je à Conklin.
— Il a de la chance que je ne me trouve pas avec lui dans ce box, répondit-il. Je pourrais pas supporter ça.
« Ça », c’était l’affabilité auto-satisfaite de Waller. Au lieu de la ramener ou de se montrer arrogant, Waller s’adressait à Stanford et à Thomson comme s’ils étaient collègues, comme s’il s’attendait à avoir une relation suivie avec eux une fois qu’il aurait achevé l’habile récit de son parcours.
Macklin, Conklin et moi étions rivés à nos sièges tandis que Waller égrenait leurs noms d’un ton caressant : André Deveraux, Erica Whitten, Madison Tyler et aussi Dorothea Alvarez, une fillette originaire de Mexico.
Une enfant dont on n’avait rien su.
Une enfant qui était peut-être encore en vie.
Tout en sirotant son café, Waller révéla à Stanford et Heather Thomson le lieu où se trouvaient les trois enfants disparus, servant de sex toys à des individus fortunés dans leurs demeures, éparpillées sur le globe.
— C’est ma femme qui a eu l’idée de faire venir des jolies filles originaires d’Europe, disait Waller, et de les placer au pair dans des familles bien sous tous rapports. Puis de trouver des acheteurs pour les enfants. Je travaillais avec les nounous. C’était mon job. Mes filles étaient très fières des gamins les plus beaux, les plus intelligents et les plus doués. Et je les encourageais à tout m’apprendre sur eux.
— Donc, les nounous se bornaient à vous désigner les enfants sans jamais se douter du sort que vous leur réserviez, conclut Heather Thomson.
Renfrew sourit.
— Comment trouviez-vous vos acheteurs ? demanda Stanford.
— Par le bouche à oreille, répondit Renfrew. Tous nos clients étaient des hommes riches et de qualité. J’ai toujours senti que les enfants étaient entre de bonnes mains.
J’eus envie de vomir mais, agrippant les accoudoirs du fauteuil, je restai scotchée à l’écran qui me faisait face.
— Vous avez gardé Madison presque quinze jours, reprit Heather Thomson, ça me semble un peu risqué.
— On attendait un transfert de fonds, lâcha Waller sur un ton de regret. On nous avait promis un million et demi de dollars pour Madison mais l’affaire est tombée à l’eau. On avait une autre offre, pas aussi bonne, puis l’acheteur d’origine est revenu en lice. Ces quelques jours de trop ont causé notre perte.
— Revenons à l’enlèvement de Madison et de Paola, dit Stanford. Il y avait énormément de monde dans le parc, ce jour-là. C’était en plein jour. Ce kidnapping était très impressionnant, je dois dire. J’aimerais savoir comment vous avez réussi ce coup-là.
— Ah oui, mais il faut malgré tout avouer que ça a bien failli virer au désastre, admit Waller en soupirant, réfléchissant à la façon de présenter les choses. On a roulé avec le van jusqu’à l’aire de jeux de l’Alta Plaza, commença le psychopathe en costume à chevrons. J’ai demandé à Paola et à Madison de nous suivre. Vous voyez, les enfants faisaient confiance à leurs nounous, et leurs nounous, à nous.
— Génial, fit Stanford.
Renfrew acquiesça et, ayant reçu de tels encouragements, eut envie de poursuivre.
— On a dit à Paola et à Madison qu’il fallait retourner d’urgence chez les Tyler, qu’Elizabeth avait été victime d’une chute. J’ai endormi Madison avec du chloroforme sur le siège arrière, selon le plan précis qu’on avait suivi dans trois autres kidnappings. Mais Paola a tenté de s’emparer du volant. On aurait pu tous y rester. Je devais la neutraliser illico presto. Et vous, qu’auriez-vous fait ? demanda Renfrew à Dave Stanford.
— Je vous aurais étouffé au berceau, répondit Stanford. Bon Dieu, qu’est-ce que j’aurais aimé pouvoir le faire.