31.
Cindy Thomas travaillait chez elle, dans le bureau qu’elle s’était aménagé dans son nouvel appartement. CNN en fond sonore, elle était plongée dans l’article qu’elle écrivait sur le procès à venir d’Alfred Brinkley. Elle hésita à répondre au téléphone quand il sonna. Puis, jetant un coup d’œil au nom qui s’affichait, elle décrocha.
— Mr Tyler ? fit-elle.
La voix d’Henry Tyler était presque méconnaissable, d’une étrangeté sinistre. Elle crut d’abord qu’il lui faisait une blague, mais ce n’était pas du tout son genre.
Scotchée au combiné, hoquetant des « Non... oh non », elle s’efforçait de comprendre l’homme en pleurs, qui perdait le fil de son discours au point de devoir demander à Cindy ce qu’il venait de dire.
— Elle portait un manteau bleu, dit Cindy, lui servant de souffleur.
— Oui, c’est ça. Un manteau bleu foncé, un pull rouge, un pantalon bleu, des souliers rouges.
— Vous aurez l’article dans une heure, fit Cindy. D’ici là, ces salopards vous auront donné des nouvelles en vous précisant le montant de la rançon à payer pour récupérer Maddy. Car vous allez la récupérer.
Cindy prit congé de l’éditeur associé du Chronicle. Puis elle se posa un moment, s’agrippant aux accoudoirs de son fauteuil, saisie de peur et de vertige. Elle avait « couvert » assez de kidnappings pour savoir que, si l’enfant n’était pas retrouvée aujourd’hui même, les chances de la découvrir vivante diminueraient de cinquante pour cent. Et encore de cinquante si on ne la retrouvait pas demain.
Elle repensa à la dernière fois qu’elle avait vu Madison. C’était au début de l’été, quand la fillette était passée au bureau avec son père.
Pendant une vingtaine de minutes, Madison n’avait cessé de faire pivoter le fauteuil en face de Cindy, de l’autre côté de son bureau.
Gribouillant sur un bloc sténo, elle faisait semblant d’être une journaliste qui interrogeait Cindy sur son boulot.
— Pourquoi on appelle une « deadline » comme ça ? Vous n’avez pas peur quand vous rédigez un article sur des « gens méchants » ? C’est quoi le papier le plus débile que vous ayez écrit ?
Maddy n’avait rien d’une enfant gâtée, elle était délicieuse et drôle. Cindy avait été chagrinée quand la secrétaire de Tyler était revenue en déclarant : « Venez, Madison. Miss Thomas a du travail. »
Cindy avait plaqué un baiser sur la joue de la fillette en lui disant :
— Tu es mignonne, non pas comme un, mais comme dix cœurs, tu le sais, ça ?
Madison avait jeté ses bras autour de son cou et lui avait rendu son baiser.
— À plus, ma puce, lui avait lancé Cindy.
Et Madison s’était retournée, tout sourires, pour lui rétorquer :
— À toute, ma choute !
Cindy fixa à nouveau l’écran de l’ordinateur, paralysée à l’idée que Madison était retenue prisonnière. Elle se demanda si la fillette était ligotée dans le coffre d’une voiture, si elle avait subi des violences sexuelles, si elle était déjà morte.
Cindy ouvrit un nouveau dossier sur son ordinateur et, après quelques faux départs, sentit les mots affluer. « La fillette de cinq ans de Henry Tyler, l’éditeur associé du Chronicle, a été enlevée ce matin à quelques rues de son domicile... »
Elle entendait la voix étranglée de chagrin d’Henry Tyler dans sa tête : « Écrivez l’article, Cindy. Et Dieu fasse que Madison soit de retour avant qu’il ne paraisse. »