51.
Trois jours s’étaient écoulés depuis l’enlèvement de Madison Tyler dans Scott Street et le meurtre de sa nounou, à quelques mètres seulement de l’Alta Plaza Park.
Nous étions tous dans la salle de garde, ce matin-là — Conklin, quatre inspecteurs de la criminelle de l’équipe de nuit qui faisaient des heures sup, Macklin, une demi-douzaine de flics du service du grand banditisme et moi.
Macklin balaya la petite pièce du regard.
— Je vais faire bref, annonça-t-il, pour qu’on se mette vite au boulot. Nous n’avons rien. Rien d’autre que le groupe de pros réunis dans cette pièce. Donc, continuons à faire ce que nous faisons, du bon travail de police, tout ce qu’il y a de sérieux. Et pour ceux d’entre vous qui recourent à la prière... qu’ils demandent un miracle.
Il répartit les missions et nous demanda si nous avions des questions... on ne lui en posa aucune. Tout le monde s’ébroua dans un raclement de chaises. Je parcourus la nouvelle liste de pervers que Conklin et moi étions chargés d’interroger.
Je me levai et, traversant la salle tapissée de lino éraflé, gagnai le bureau de Jacobi.
— Entre, Boxer.
— Jacobi, les kidnappeurs étaient deux. Le type qui les a contraintes à monter dans le van, plus le conducteur. Tu ne trouves pas ça bizarre qu’un pédophile bosse en tandem ?
— Tu as d’autres idées, Boxer ? Je suis tout ouïe.
— Je veux retourner à la case départ. Au témoin. Je veux lui parler.
— Vaut mieux entendre ça qu’être sourd : tu veux réinterroger quelqu’un que j’ai déjà interrogé..., rouspéta Jacobi. Attends, j’ai sa déposition juste là.
Je soupirai en voyant Jacobi déplacer son café, son petit déjeuner et son journal avant de soulever une pile de chemises en papier Kraft. Il fouilla parmi elles et, ayant trouvé celle qu’il cherchait, l’ouvrit.
— Gilda Gray. Voici son numéro.
— Merci, lieutenant, dis-je en m’emparant de la chemise.
Je ressentis un coup au cœur, comme si ma langue avait fourché. Je n’avais jamais appelé Jacobi « lieutenant » jusque-là. J’espérai qu’il ne l’avait pas remarqué, mais si. Jacobi me regardait, l’air radieux.
Je lui souris par-dessus mon épaule, puis revins à mon bureau, face à celui de Conklin, et composai le numéro de Gilda Gray.
— Je ne peux pas venir maintenant, j’ai une présentation client à 9 h 30, protesta-t-elle.
— Il s’agit de la disparition d’un enfant, Ms Gray.
— Écoutez, je peux tout vous raconter en dix secondes. Je promenais notre chienne sur Divisadero Street. Je la suivais, en me débattant avec mon journal, quand cette petite fille et sa nounou ont traversé la rue.
— Que s’est-il passé ?
— J’avais la tête baissée, j’essayais de plier mon journal, vous voyez ? J’ai cru entendre crier un enfant... mais quand j’ai relevé la tête, j’ai seulement vu quelqu’un en manteau gris ouvrir la portière d’un minivan. Et j’ai aperçu le dos du manteau de la nounou qui montait dans le véhicule.
— Avez-vous vu la personne qui était au volant ?
— Non. J’ai jeté le journal à la poubelle, puis j’ai entendu le van tourner au coin. Puis, comme je l’ai dit, j’ai entendu un violent coup de feu et aperçu du sang – du moins ça y ressemblait, éclabousser la vitre arrière. C’était horrible...
— Pouvez-vous dire autre chose – n’importe quoi – sur l’homme au manteau gris ?
— Je suis presque certaine qu’il était de race blanche.
— Grand, petit, des signes distinctifs ?
— Je n’ai pas fait attention.
Je demandai à Ms Gray quand elle pourrait passer examiner des photos.
— Vous avez des photos de la nuque des gens ? répliqua-t-elle.
— Merci quand même, dis-je en raccrochant.
Je fixai Conklin et me perdis une demi-seconde dans la contemplation de ses yeux noisette.
— Bon, on reprend la tournée chez les pervers, c’est ça ? demanda-t-il.