58.
Mercredi matin, 8 h 30, quatre jours après l’enlèvement de Madison Tyler. Conklin et moi étions garés dans une zone en construction, non loin de l’angle de Waverly Place et Clay Street. La vapeur de nos cafés embuait les vitres de la voiture tandis que nous observions le slalom de la circulation autour des camionnettes de livraison garées en double file, et les piétons se répandre dans les rues étroites et sombres de Chinatown.
J’avais un immeuble particulier dans le collimateur : un bâtiment de deux étages en brique rouge, à quelques mètres de Waverly Place. La pharmacie chinoise Wong se trouvait au rez-de-chaussée. Les deux étages étaient loués par Registre Westwood.
Mon instinct me soufflait qu’on trouverait au moins des réponses partielles à cette adresse, un lien entre Paola Ricci et l’enlèvement.
À 8 h 35, la porte d’entrée de la maison de brique s’ouvrit et une femme en sortit, tirant la poubelle sur le trottoir.
— Il est temps d’entrer dans la danse, annonça Conklin.
Nous traversâmes la rue et interceptâmes la femme avant qu’elle ne redisparaisse à l’intérieur, et lui montrâmes nos badges.
De race blanche, la trentaine, des cheveux noirs et raides lui tombaient sur les épaules, son joli minois gâté par des rides d’inquiétude qui lui barraient le front.
— Je me demandais quand nous aurions des nouvelles de la police, dit-elle, la main sur la poignée de porte. Les propriétaires sont absents. Pouvez-vous revenir vendredi ?
— Bien sûr, dit Conklin. Mais on a quelques questions à vous poser dès aujourd’hui, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Brenda, notre assistante, se pâmait devant Conklin en affirmant que c’est un « piège à filles », et elle avait raison. Il ne travaillait pas son look, mais il était naturellement séduisant.
Je vis la femme brune hésiter, observer Conklin avant de nous ouvrir grand la porte.
— Je me présente : Mary Jordan. Responsable administrative, comptable, cheftaine, etc. C’est au gré de votre imagination. Entrez donc...
Je décochai un franc sourire à Conklin. Nous franchîmes le seuil à la suite de Mary Jordan, puis nous la suivîmes jusqu’à son bureau. C’était une pièce exiguë, la table de travail poussée dans l’angle opposé à la porte. Deux chaises à haut dossier faisaient face au bureau et une photo encadrée de Mary Jordan, entourée d’une demi-douzaine de jeunes femmes – sans doute des nounous – était accrochée au mur.
Je jugeai les signes de nervosité de la jeune femme dignes d’intérêt. Se mordillant la lèvre inférieure, elle se leva, déplaça une pile de classeurs au sommet d’un meuble de rangement, se rassit, tira sur sa montre, tripota un crayon. J’avais le tournis rien qu’en la regardant.
— Que pensez-vous de l’enlèvement de Paola Ricci et Madison Tyler ? lui demandai-je.
— Ça me dépasse complètement, répondit-elle en secouant la tête.
Puis elle continua, s’arrêtant à peine pour reprendre sa respiration. Elle nous apprit qu’elle était la seule employée à plein temps de l’agence. Il y avait également deux professeurs – deux femmes – qui travaillaient quand c’était nécessaire. Le copropriétaire mis à part, un quinquagénaire de race blanche, aucun homme n’était associé au Registre, et l’agence ne possédait aucun minivan.
Les propriétaires du Registre Westwood étaient les époux Renfrew, Paul et Laura, nous apprit Mary Jordan. Pour l’heure, Paul démarchait des clients potentiels au nord de San Francisco et Laura était partie recruter en Europe. Ils avaient quitté la ville avant le double enlèvement.
— Les Renfrew sont des gens bien, assura Mary Jordan.
— Depuis combien de temps les connaissez-vous ?
— J’ai commencé à travailler pour eux juste avant qu’ils ne se délocalisent de Boston, il y a huit mois environ. Les affaires ne sont pas encore des plus florissantes, poursuivit Mary Jordan. Et maintenant, avec Paola morte et Madison Tyler disparue, ça n’est pas une très bonne publicité...
Ses yeux s’emplirent de larmes. Elle tira un mouchoir en papier rose d’une boîte posée sur son bureau et s’en tamponna le visage.
— Ms Jordan, dis-je en me penchant sur son bureau. Quelque chose vous ronge. Qu’est-ce que c’est ?
— Non, rien, vraiment. Tout va bien.
— À d’autres...
— C’est juste que j’aimais beaucoup Paola. Et c’est moi qui l’ai présentée aux Tyler. Moi. Si je ne l’avais pas fait, Paola serait encore en vie !