59.
— Les Renfrew ont un appartement ici, précisa Mary Jordan en nous faisant faire le tour de l’étage administratif. Elle nous désigna la porte cadenassée peinte en vert au fond du couloir.
— Pourquoi un cadenas ? lui demandai-je.
— Ils ferment seulement quand ils s’absentent tous les deux. Et c’est une bonne chose. Comme ça, je n’ai pas besoin de m’inquiéter si les filles vont fouiner là où elles n’ont rien à faire.
Des bruits de pas retentirent à l’étage au-dessus.
— La salle commune, c’est là-bas, continua Mary Jordan, poursuivant la visite guidée. La salle de conférences se trouve sur votre droite et le dortoir en haut. Les filles logent au Registre jusqu’à ce qu’on les place dans des familles. J’habite là-haut moi aussi.
— Il y a combien de filles ici ? questionnai-je.
— Quatre. Après le retour de Laura, nous en ferons rentrer quatre autres.
Conklin et moi passâmes le reste de la matinée à interroger les jeunes femmes au fur et à mesure qu’elles descendaient dans la salle de conférences. Elles avaient entre dix-huit et vingt-deux ans, elles étaient toutes originaires d’Europe, et parlaient bien voire très bien l’anglais.
Aucune d’elles n’avait ni indice, ni soupçon, ni mauvaise pensée en rapport avec les Renfrew ou Paola Ricci.
— Quand Paola était ici, elle récitait ses prières à genoux tous les soirs, affirma une fille nommée Luisa. Elle était encore vierge.
Nous retournâmes dans le bureau de Mary Jordan. La responsable administrative des Renfrew leva les bras au ciel quand on lui demanda si elle avait une idée de qui avait bien pu kidnapper Paola et Madison. Quand elle répondit au téléphone, Conklin s’adressa à moi.
— Tu veux que je fasse sauter ce cadenas ?
— Et toi, tu veux que ta carrière s’oriente prochainement vers les services sanitaires ?
— Ça vaudrait peut-être le coup.
— Tu rêves. Même si on avait un motif valable, Madison Tyler n’est pas ici. La cheftaine nous aurait déjà tout déballé.
Nous quittions la maison lorsque Mary Jordan nous rattrapa et agrippa le bras de Conklin.
— J’ai beaucoup réfléchi. Ça pourrait bien être des ragots et je ne veux causer de tort à personne, murmura-t-elle.
— Vous ne devez pas vous inquiéter de ça, Mary, répondit Conklin. Quoi que vous pensiez savoir, il faut nous le dire.
— Je venais de commencer à travailler pour les Renfrew, reprit Mary en lançant des coups d’œil vers la porte de la maison. L’une des filles m’a raconté quelque chose en me faisant jurer de n’en parler à personne. Elle m’a dit qu’une diplômée du Registre avait quitté ses employeurs sans préavis. Je ne veux pas dire par là qu’elle s’est comportée de façon impolie... les Renfrew avaient son passeport. Cette fille ne pouvait obtenir aucun autre poste sans cette pièce d’identité.
— La disparition de cette fille a-t-elle été signalée à la police ?
— Je crois. Tout ce que je sais, c’est ce qu’on m’a dit. Et on m’a dit qu’Helga Schmidt avait disparu et qu’on n’avait plus jamais entendu parler d’elle.