INTERLUDE
Dans la Légende, toute trace de vie humaine disparaissait, aussi bien sur Terre que sur les Lunes. Et c’était exact. Mais…
On se souvient peut-être que les dictateurs avaient envoyé sur le satellite artificiel de Blanchard un humain que les chirurgiens avaient précautionneusement mutilé.
Même vous, qui lisez cela, même moi qui l’écris, même les plus hautes sommités scientifiques de notre époque s’avéreraient incapables de préciser ce que l’on avait modifié dans cet organisme humain pour lui inculquer une idée fixe : détruire, tuer.
Une vulgaire lobotomie n’expliquerait pas tout. Mais peut-être, sans le savoir, avait-on modifié ses gènes. D’homme presque normal (il existait déjà en lui une tendance certaine à la brutalité) il était devenu monstre destructeur, instrument de mort.
Cela pour anéantir le satellite de Blanchard. Les chirurgiens avaient tout simplement oublié (à moins qu’ils n’eussent cru certaine sa disparition avec celle du satellite) qu’un tel être pouvait donner naissance à une race de destructeurs… de Tueurs.
Or, à bord du satellite de Blanchard, que Clara nommait Lune 2, vivait la jeune et belle Martha. Le robot humain n’était plus normal, mais on n’avait rien modifié à son système de sensibilité.
Après avoir lui-même (son instinct de Tueur) déclenché la mise en action de l’arme terrifiante dont disposait Blanchard, eh bien il s’était enfui dans une navette spatiale, avec Martha plus ou moins consentante.
Et longtemps après, quand toute vie humaine avait été balayée, il était revenu sur Terre, dans cette cuvette naturelle où il avait posé l’engin spatial, et il avait murmuré avec une tendresse de monstre :
— Nous deux, Martha, éternellement !
Et peu à peu leur descendance avait repeuplé la Terre.
Leurs premiers enfants étaient nés là. Et ils s’étaient affrontés. Et l’un d’eux avait tué son frère, parce que c’était un Tueur, comme son père, alors que l’autre était doux, calme et simple comme Martha.
Et par la suite il en fut toujours ainsi. Certains naissaient avec des instincts de Tueur et massacraient les autres, si bien que l’humanité finit pas se scinder en groupuscules, les uns tuant, les autres tentant de leur échapper.
Dans ces groupes isolés, pour qu’aucun « serpent » ne se distinguât de la masse, on décida d’éliminer les anormaux – par « anormal » on a toujours désigné celui qui ne ressemble pas aux autres.
Chez les uns, ce furent les bébés Tueurs, chez les autres les bébés limaces, à cette réserve près que, selon la position sociale du père, on découvrait parfois des accommodements avec la Loi. Si Clara et ses compagnons avaient vécu depuis des siècles et des siècles, ils auraient su qu’il en avait toujours été ainsi.